Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H...E..., Mme B...E..., Mme C...E..., M. G... D...et M. F...D...ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de La-Salle-les-Alpes à leur verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice de jouissance qu'ils estiment avoir subi du fait des infiltrations d'eau lors de la fonte des neiges et d'enjoindre à la commune de réaliser les travaux préconisés par l'expert judiciaire.
Par un jugement n° 1601525 du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes et mis à leur charge les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 16 299,30 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 février 2018 et le 19 décembre 2018, Mme E...et autres, représentés par MeA..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 décembre 2017 ;
2°) de condamner la commune de La-Salle-les-Alpes à leur verser la somme de 20 000 euros à titre d'indemnité en réparation des préjudices subis ;
3°) d'enjoindre à la commune de La-Salle-les-Alpes de réaliser les travaux prescrits par l'expert judiciaire ;
4°) de mettre à la charge de la commune de La-Salle-les-Alpes la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les frais d'expertise.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité de la commune de La-Salle-les-Alpes est engagée pour défaut de conception et d'entretien du parking public et en raison du stockage de la neige ;
- le dommage est continu et lié à la création du parking en 1983 et aux aménagements successifs dont il a fait l'objet ;
- la créance n'est pas prescrite dès lors que la construction du parking s'est poursuivie jusqu'en 2010 et que le dommage ne s'est révélé dans toute son ampleur que lors du dépôt du rapport d'expertise le 31 juillet 2015 ;
- le lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage est établi ;
- la réalité du préjudice de jouissance du garage et du jardin et des fissurations du corps principal du bâtiment est justifiée ;
- le coût des travaux n'est pas excessif pour l'intérêt général.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2018, la commune de La-Salle-les-Alpes, représentée par la SELARL Gil, Cros, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme E...et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la créance indemnitaire est prescrite ;
- aucune erreur de conception ou défaut d'entretien normal du parking ne peut lui être reprochée ;
- le lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage n'est pas établi ;
- la réalité des désordres n'est pas démontrée ;
- les désordres sont liés à la présence d'une ancienne zone humide et à la localisation du terrain dans un secteur soumis aux glissements de terrain ;
- en raison de sa situation, la parcelle constitue un réceptacle naturel des eaux de fonte des neiges ;
- à défaut, la vétusté des bâtiments doit être pris en compte ;
- le coût des travaux préconisés par l'expert est trop élevé par rapport aux désordres.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office, tiré de ce que compte tenu de la substitution de la communauté de communes du Briançonnais à la commune de La-Salle-les-Alpes pour l'exercice de la compétence " Eaux Pluviales " et des droits et obligations qui y sont liés en application de l'article L. 5211-17 du code général des collectivités territoriales, les conclusions de Mme E... et autres doivent être regardées comme dirigées contre la communauté de communes du Briançonnais.
Par un mémoire, enregistré le 31 janvier 2019, Mme E...et autres, en réponse au moyen relevé d'office, dirigent contre la communauté de communes du Briançonnais les conclusions qu'ils avaient présentées dans leurs précédentes écritures à l'encontre de la commune de La-Salle-les-Alpes, par les mêmes moyens.
Par un mémoire, enregistré le 14 février 2019, la communauté de communes du Briançonnais sollicite sa mise hors de cause.
Elle soutient que par délibération du 18 décembre 2018, le conseil communautaire a décidé la suppression de la compétence " assainissement des eaux pluviales " et sa restitution aux communes membres.
Par un mémoire, enregistré le 20 février 2019, Mme E...et autres concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant Mme E...et autres.
Une note en délibéré, enregistrée le 18 avril 2019 a été présentée pour Mme E...et autres.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de Mmes E...et MM. D...tendant à la condamnation de la commune de La-Salle-les-Alpes à leur verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice de jouissance qu'ils estiment avoir subi du fait des infiltrations d'eau dans leur propriété à l'occasion de la fonte des neiges et à ce qu'il soit enjoint à la commune de réaliser les travaux préconisés par l'expert judiciaire. Dans le dernier état de leurs écritures, les requérants doivent être regardés comme sollicitant la condamnation de la commune de La-Salle-les-Alpes et de la communauté de communes du Briançonnais à les indemniser de ce préjudice.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité de la commune de La-Salle-les-Alpes et de la communauté de communes du Briançonnais :
2. La mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics est subordonnée à la démonstration par cet administré de l'existence d'un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage ou cette opération. Les personnes mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers.
3. Mmes E...et MM. D...sont propriétaires en indivision d'un terrain sur lequel sont édifiés une maison d'habitation et un garage sur le territoire de la commune de La-Salle-les-Alpes jouxtant un parking public. Ils imputent les infiltrations d'eaux dans leur garage et leur jardin en provenance de ce parking aménagé par la commune, à l'occasion de la fonte des neiges, au défaut de conception de celui-ci, à la conception et au dysfonctionnement du réseau public d'évacuation des eaux de ruissellement dont la communauté de communes du Briançonnais est désormais maître d'ouvrage à la suite du transfert de la compétence de gestion des eaux pluviales par la commune de La-Salle-les-Alpes à compter du 1er janvier 2018 ainsi qu'aux travaux de déneigement assurés par la commune.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée le 13 août 2013 par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, que les ruissellements d'eau dans la propriété des requérants ont pour origine, d'une part, un rehaussement du parking par rapport au terrain appartenant à l'indivision, d'autre part, le stockage de la neige issue des opérations de déneigement de l'aire de stationnement le long de la propriété ainsi qu'une trop faible pente du réseau d'évacuation des eaux, un défaut d'étanchéité du réseau et un mauvais raccordement de la partie busée du canal de l'Ayas sur le collecteur existant. Par ailleurs, la présence de glace et de neige devant les grilles des avaloirs situés au point bas du parking à proximité immédiate de la parcelle des requérants interdit l'évacuation des eaux dans le réseau. Contrairement à ce qui est allégué par la commune, la nappe phréatique située sous la parcelle des requérants est sans lien avec le sinistre, tout comme la présence d'une ancienne zone humide et la localisation du terrain dans un secteur de risque modéré à faible de glissements de terrain. Il en est de même de l'absence d'entretien du canal de l'Ayas par Mmes E...et MM. D...dès lors que celui-ci a été busé. Ainsi, le lien de causalité entre les ouvrages et travaux publics et le préjudice est établi.
5. Il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité respective de la commune de La-Salle-les-Alpes et de la communauté de communes dans la survenance des dommages subis par les requérants en la fixant à 50 % chacune.
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de La-Salle-les-Alpes :
6. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ".
7. Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée au titre d'un dommage causé à un tiers par un ouvrage public, les droits de créance invoqués par ce tiers en vue d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.
8. Il résulte de l'instruction, et notamment du courrier adressé par les requérants au maire de la commune, que les infiltrations sont apparues au début de l'année 2008. Toutefois, l'origine des désordres affectant l'immeuble appartenant aux requérants n'a pu être déterminée qu'à la suite du dépôt, le 7 août 2015, du rapport d'expertise. Ainsi, l'action de Mmes E...et MM. D...tendant notamment à l'indemnisation des préjudices causés par les ouvrages et travaux publics n'était pas prescrite lorsqu'ils ont saisi, le 24 février 2016, le tribunal administratif de Marseille. Par suite, l'exception de prescription opposée par la commune de La-Salle-les-Alpes doit être écartée.
En ce qui concerne les préjudices :
9. Mmes E...et MM. D...subissent du fait de l'impossibilité dans laquelle ils se trouvent chaque année, depuis 2008, lors de la fonte des neiges, d'utiliser leur garage et une partie de leur jardin, un trouble de jouissance qui présente un caractère anormal et spécial. Il sera fait une juste appréciation de la réparation due à ce titre aux intéressés par le versement d'une somme de 6 000 euros, à la charge pour moitié de la communauté de communes du Briançonnais et de la commune de La-Salle-les-Alpes.
10. En revanche, il résulte des conclusions du rapport d'expertise, non sérieusement contestées sur ce point, que les fissures qui affectent le garage proviennent d'un affaissement de l'angle nord-est de la maison, éloigné du lieu d'infiltrations des eaux. En l'absence d'établissement d'un lien de causalité certain entre ces dommages et ces infiltrations, il n'y a donc pas lieu d'indemniser les requérants à ce titre.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
11. Une autorité saisie d'une demande tendant à ce que l'administration procède à des travaux ayant vocation à prévenir ou faire cesser des dommages de travaux publics doit prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la situation existante entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, d'autre part, les conséquences de la réalisation des travaux pour l'intérêt général dont elle a la charge, compte tenu, notamment, de leur coût et apprécier, en rapprochant ces éléments, si la réalisation des travaux n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général. Il appartient au juge saisi de la contestation du refus opposé à une telle demande d'apprécier si ce refus n'est pas, à l'aune de ces critères, entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. Les requérants demandent qu'il soit enjoint à la commune et à la communauté de communes de réaliser les travaux préconisés par l'expert, pour un coût total évalué à 127 549,20 euros TTC, comprenant la création d'une chambre de collecte, la dépose du collecteur principal, la pose d'un nouveau collecteur avec regards adaptés, le déplacement du regard situé derrière l'atelier au niveau du raccordement de la canalisation annelée, la réfection de la voirie, le remplacement d'un regard et la pose de glissière en béton armé en bordure du parking. Toutefois, l'importance et le coût de ces travaux apparaissent disproportionnés par rapport aux dommages subis par la seule propriété de Mmes E...et MM.D..., alors que l'entretien régulier de l'avaloir, en enlevant la glace bloquant l'entrée des eaux de fonte nivale, et l'entreposage des amas de neige à un autre endroit de la commune sont, à eux seuls, de nature à réduire significativement les dommages qu'ils subissent.
13. Il n'y a donc lieu que d'enjoindre à la commune et à la communauté de communes de procéder à un entretien régulier des avaloirs de l'aire de stationnement et de ne pas entreposer des amas de neige en limite de la propriété des requérants.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes E...et MM. D...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes indemnitaires et leurs conclusions à fin d'injonction.
Sur les frais d'expertise :
15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, qui ont été fixés à la somme de 16 299,30 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Marseille du 12 novembre 2015, à la charge définitive de la communauté de communes du Briançonnais et de la commune de La-Salle-les-Alpes.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens, la somme que la commune de La-Salle-les-Alpes demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la communauté de communes du Briançonnais et de la commune de La-Salle-les-Alpes une somme de 1 000 euros chacune au titre des frais exposés par Mmes E...et MM.D....
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 décembre 2017 est annulé.
Article 2 : La communauté de communes du Briançonnais et la commune de La-Salle-les-Alpes sont condamnées à verser à Mmes E...et MM. D...la somme de 3 000 euros chacune.
Article 3 : Il est enjoint à la communauté de communes du Briançonnais et la commune de La-Salle-les-Alpes de procéder à un entretien régulier des avaloirs de l'aire de stationnement jouxtant la propriété de Mmes E...et MM. D...et de ne pas entreposer des amas de neige en limite de cette propriété.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mmes E...et MM. D...est rejeté.
Article 5 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 16 299,30 euros, sont mis à la charge pour moitié de la communauté de communes du Briançonnais et de la commune de La-Salle-les-Alpes.
Article 6 : La communauté de communes du Briançonnais et la commune de La-Salle-les-Alpes verseront à Mmes E...et MM. D...une somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Les conclusions de la commune de La-Salle-les-Alpes présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H...E..., pour l'ensemble des requérants, à la commune de La-Salle-les-Alpes et à la communauté de communes du Briançonnais.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2019 où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère.
Lu en audience publique, le 2 mai 2019.
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N° 18MA00745