Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la métropole Nice Côte d'Azur à lui verser la somme de 148 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de travaux dans le cadre de la réalisation d'une ligne de tramway à Nice.
Par un jugement n° 1401713 du 27 juin 2017, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 4 septembre 2017, le 12 novembre et le 27 novembre 2018, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret ", représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 juin 2017 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de condamner la métropole Nice Côte d'Azur à lui verser la somme de 148 000 euros ;
3°) de mettre les frais d'expertise à la charge de métropole Nice Côte d'Azur, ainsi que la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la créance n'est pas prescrite ;
- le lien de causalité entre les désordres et les travaux publics est établi ;
- les préjudices dont il demande l'indemnisation sont établis.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2018, la métropole Nice Côte d'Azur, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " ;
2°) de mettre à la charge du syndicat des copropriétaires la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la créance est prescrite ;
- les autres moyens soulevés par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Merenne,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., substituant la Selarl Lestrade-A..., représentant la métropole Nice Côte d'Azur.
Considérant ce qui suit :
1. L'immeuble " Le Rouret " est une copropriété située aux numéros 1 à 14 du boulevard Henri Sappia à Nice. Il est composé de deux bâtiments : " Le Riviera " et " Le Bretagne ". Après un constat confié à cinq experts par une ordonnance du 1er juillet 2004 du juge des référés du tribunal administratif de Nice, la communauté d'agglomération Nice Côte d'Azur, devenue la métropole Nice Côte d'Azur, a fait construire au voisinage immédiat de cet immeuble un complexe destiné à servir de pôle d'échange et de centre de maintenance pour l'exploitation du tramway. Un nouvel expert a été désigné par une ordonnance du 6 octobre 2010 du même juge des référés. Le rapport d'expertise, déposé le 30 avril 2013, se prononce notamment sur trois désordres : la dégradation du local télécom du bâtiment " Le Riviera ", la désolidarisation des auvents des entrées A, B et C du bâtiment " Le Bretagne ", et les fissures affectant l'escalier B du bâtiment " Le Bretagne ".
2. Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " fait appel du jugement du 27 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis, qu'il estime imputables à l'opération de travaux publics conduite sous la maîtrise d'ouvrage de la communauté d'agglomération Nice Côte d'Azur.
Sur l'exception de prescription :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article premier de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de ladite loi : " La prescription est interrompue par : / (...) / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) / (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Enfin, aux termes de son article 3 : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que la connaissance par la victime de l'existence d'un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale. Le point de départ de cette dernière est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine de ce dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration.
En ce qui concerne la dégradation du local télécom du bâtiment " le Riviera " :
4. Il résulte de l'instruction que les dommages ayant affecté le local télécom du bâtiment " Le Riviera " sont survenus en 2005 à la vue des occupants de l'immeuble, et notamment de ses copropriétaires. Compte tenu de leur nature et des conditions dans lesquelles s'est déroulée l'opération de travaux publics, le syndicat de copropriétaires et le syndic de l'immeuble disposaient ainsi d'éléments suffisants pour supposer que ces dommages pouvaient être imputables à cette opération indépendamment de la réalisation d'une expertise judiciaire. Cette circonstance les a conduits à exposer à un huissier mandaté pour la rédaction d'un procès verbal de constat le 20 novembre 2009, soit antérieurement au dépôt du rapport d'expertise, que ces parties de la copropriété avaient été endommagées lors de l'exécution des travaux. Il suit de là que le syndicat de copropriétaires n'était pas dans l'ignorance légitime de sa créance. La prescription quadriennale a donc couru à compter du 1er janvier 2006 et a été acquise le 1er janvier 2010, soit antérieurement à la date à laquelle le syndicat des copropriétaires a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'une demande d'expertise, le 1er septembre 2010.
En ce qui concerne la désolidarisation des auvents des entrées A, B et C du bâtiment " Le Bretagne " :
5. Le constat réalisé par les cinq experts préalablement à la réalisation des travaux a mis en évidence, par des relevés effectués le 30 janvier 2005, la désolidarisation des auvents des murs de façade pour les entrées A et B du bâtiment " Le Bretagne " à hauteur de trois centimètres. Le phénomène s'est, toutefois, ultérieurement aggravé, l'écart s'élevant, selon les relevés effectués par l'expert le 4 novembre 2011, à cinq centimètres pour l'entrée A, huit centimètres pour l'entrée B et deux centimètres et demi pour l'entrée C.
6. Il ressort du rapport d'expertise que cette aggravation a continué au moins jusqu'à mi-2006, période correspondant à la fin de la phase la plus active des travaux, et a pu se poursuivre au-delà du fait d'un phénomène de décompression des sols. Il suit de là que la prescription quadriennale n'a commencé à courir au plus tôt, pour ce dommage, qu'à compter du 1er janvier 2007. La saisine par le syndicat des copropriétaires du juge des référés d'une demande d'expertise a interrompu la prescription le 1er septembre 2010, de sorte que celle-ci n'est pas acquise.
En ce qui concerne les fissures affectant l'escalier B du bâtiment " Le Bretagne " :
7. Les marches escalier B du bâtiment " Le Bretagne " sont désolidarisées et fragilisées par des fissures. Il résulte des rapports d'expertise réalisés à titre préventif que ces désordres ne préexistaient pas à l'opération de travaux publics.
8. Les pièces du dossier ne permettent pas de fixer en 2005 la date d'apparition de ces désordres de façon certaine, alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, les travaux se sont poursuivis au moins jusqu'à mi-2006. Le point de départ de la prescription quadriennale ne peut donc être fixé au 1er janvier 2006 comme le soutient la métropole, et, à supposer qu'il soit fixé au 1er janvier 2007, le délai a été interrompu dans les conditions prévues au point 6.
9. Il résulte de ce qui précède que la métropole Nice Côte d'Azur n'est fondée à opposer la prescription quadriennale qu'aux préjudices résultant de la dégradation du local télécom du bâtiment " le Riviera ".
Sur les dommages matériels :
En ce qui concerne la désolidarisation des auvents des entrées A, B et C du bâtiment " Le Bretagne " :
10. Il résulte de l'instruction que si les désordres initiaux ne sont pas imputables à l'opération des travaux publics, celle-ci est en revanche à l'origine de leur aggravation par les vibrations résultant du forage des tirants et du terrassement des déblais dans un sol d'assise peu compact, et ce, alors que le maître d'ouvrage n'avait pas fait réaliser d'étude géotechnique destinée à la reconnaissance des fondations des avoisinants. L'aggravation des désordres du fait de l'opération de travaux publics est de nature à engager la responsabilité sans faute de la métropole Nice Côte d'Azur en sa qualité de maître d'ouvrage.
11. L'expert envisage deux solutions pour remédier aux désordres : soit la reprise des joints avec des systèmes adaptés et une surveillance régulière, pour un coût estimé à 4 415 euros toutes taxes comprises, soit, pour la stabilisation définitive des ouvrages, la reprise en sous-oeuvre des cages d'entrée par micro-pieux forés après une étude géotechnique appropriée, pour un coût total estimé à 104 000 euros toutes taxes comprises. Seule la première correspond aux travaux strictement nécessaires pour remédier aux désordres sans apporter de plus-value à l'immeuble. Pour évaluer le coût des travaux de reprise imputables à la seule aggravation des désordres, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de retenir la moitié de celui fixé par l'expert pour y remédier dans leur totalité, de sorte que ce préjudice doit être indemnisé à hauteur de la somme de 2 207,50 euros.
En ce qui concerne les fissures affectant l'escalier B du bâtiment " Le Bretagne " :
12. Il résulte de l'instruction que la dégradation de ce perron résulte d'un important charroi lors de la reconstruction de l'alimentation électrique de la copropriété entreprise par l'un des cotraitants suite aux travaux réalisés en sous-oeuvre. Ce dommage est en conséquence de nature à engager la responsabilité sans faute de la métropole Nice Côte d'Azur en sa qualité de maître d'ouvrage. Le coût des travaux de reprise a été évalué par l'expert à la somme non contestée de 11 050 euros.
Sur le préjudice de jouissance :
13. Les désordres affectant les auvents et l'escalier B du bâtiment " Le Bretagne " n'ont pas affecté l'usage des entrées. Le syndicat des copropriétaires n'est en conséquence pas fondé à demander l'indemnisation d'un préjudice de jouissance.
14. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Il y a lieu en conséquence de condamner la métropole Nice Côte d'Azur à lui verser la somme de 13 257,50 euros.
Sur les frais liés au litige :
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais d'expertise, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, à la charge de la métropole Nice Côte d'Azur.
16. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la métropole Nice Côte d'Azur le versement de la somme de 2 000 euros au syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
17. Les dispositions du même article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la métropole Nice Côte d'Azur sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Les articles 2 à 5 du jugement du 27 juin 2017 du tribunal administratif de Nice sont annulés.
Article 2 : La métropole Nice Côte d'Azur est condamnée à verser la somme de 13 257,50 euros au syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret ".
Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de la métropole Nice Côte d'Azur.
Article 4 : La métropole Nice Côte d'Azur versera au syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions du syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " et les conclusions présentées par la métropole Nice Côte d'Azur sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat des copropriétaires de l'immeuble " Le Rouret " et à la métropole Nice Côte d'Azur.
Copie en sera adressée pour information à l'expert judiciaire.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2019, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente de la cour,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique le 2 mai 2019.
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N° 17MA03816