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11/04/2019 | FRANCE | N°18MA00539

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 11 avril 2019, 18MA00539


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 16 mai 2014 par laquelle le maire de la commune de Ramatuelle a rejeté sa demande indemnitaire et de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 300 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la réalisation de travaux sur le sentier du littoral.

Par un jugement avant dire droit n° 1404404 du 1er décembre 2017, le tribunal administratif de Toulon a ordonné une expertise h

orticole et sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la demande.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 16 mai 2014 par laquelle le maire de la commune de Ramatuelle a rejeté sa demande indemnitaire et de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 300 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la réalisation de travaux sur le sentier du littoral.

Par un jugement avant dire droit n° 1404404 du 1er décembre 2017, le tribunal administratif de Toulon a ordonné une expertise horticole et sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 février 2018, le 20 avril 2018 et le 30 novembre 2018, M.C..., représenté par la SELARL Otto Associés, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement avant dire droit du 1er décembre 2017 du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il a exclu de la mission de l'expert les dommages situés dans l'emprise de la servitude de passage ;

2°) de compléter la mission de l'expert ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Ramatuelle la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.

Il soutient que :

- il a la qualité de tiers par rapport aux travaux d'entretien et de sécurisation de la servitude de passage des piétons le long du littoral, quand bien même ces travaux ont été réalisés sur sa propriété ;

- la servitude de passage n'a pas été délimitée conformément aux dispositions de l'article R. 160-9 du code de l'urbanisme ;

- le tracé de la servitude n'a pas été modifié par arrêté préfectoral et repose sur un simple usage ;

- la mission de l'expert ne peut pas se limiter à évaluer les préjudices causés aux seuls arbres et végétaux plantés en dehors de l'emprise de la servitude de passage dès lors que les terrains constituant l'assiette de la servitude d'une largeur de trois mètres font partie de sa propriété ;

- l'article L. 160-6 du code de l'urbanisme ne prévoit pas de transfert de propriété des terrains traversés par le sentier du littoral ;

- le constat et l'expertise ne peuvent pas être contestés devant la Cour dès lors que le tribunal n'a pas définitivement statué sur l'étendue du litige ;

- l'expertise présente une utilité afin de chiffrer contradictoirement le préjudice.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 11 octobre 2018 et le 31 janvier 2019, la commune de Ramatuelle, représentée par la SCP Imavocats, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 1er décembre 2017 ;

- de rejeter la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Toulon ;

3°) de mettre à la charge de M. C...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le lien de causalité entre les travaux d'entretien de la partie du terrain faisant l'objet d'une servitude de passage et les dommages n'est pas établi ;

- la partie du terrain grevée par la servitude de passage était obstruée à divers endroits imposant la réalisation de travaux de coupes ;

- aucune intervention n'a été effectuée en dehors de l'emprise de la servitude de passage ;

- les opérations de constat n'ont pas été réalisées contradictoirement en méconnaissance de l'article R. 621-7 du code de justice administrative ;

- l'expert n'a pas pris en compte les observations orales de la commune ni ses dires ;

- le tracé de la servitude ne peut pas être remis en cause ;

- les sommes demandées au titre des préjudices sont injustifiées et surévaluées ;

- l'expertise ne présente pas d'utilité ;

- à défaut, elle ne s'oppose pas à l'extension de la mission de l'expert.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de Me B...représentant la commune de Ramatuelle.

Considérant ce qui suit :

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

1. D'une part, aux termes de l'article L. 121-31 du code de l'urbanisme : " Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d'une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons. " L'article R. 121-26 du même code dispose : " La servitude entraîne pour les propriétaires des terrains et leurs ayants droit : (...) 3° L'obligation de laisser l'administration compétente (...) effectuer les travaux nécessaires pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons (...) ". Aux termes de l'article R. 160-25 du même code, dans sa rédaction applicable : " La servitude entraîne pour les propriétaires des terrains et leurs ayants droit : / a) L'obligation de laisser aux piétons le droit de passage ; / b) L'obligation de n'apporter à l'état des lieux aucune modification de nature à faire, même provisoirement, obstacle au libre passage des piétons, sauf autorisation préalable accordée par le préfet, pour une durée de six mois au maximum ; / c) L'obligation de laisser l'administration compétente établir la signalisation prévue à l'article R. 160-24 et effectuer les travaux nécessaires pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons, sous réserve d'un préavis de quinze jours sauf cas d'urgence. "

2. D'autre part, aux termes de l'article R. 621-7 du code de justice administrative, dans sa version alors en vigueur : " Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise (...) / Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport (...) ". L'article R. 621-7-1 du même code dispose : " Les parties doivent remettre sans délai à l'expert tous documents que celui-ci estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission. (...) ". En application du premier alinéa de l'article R. 621-9 du même code : " Le rapport est déposé au greffe en deux exemplaires. Des copies sont notifiées par l'expert aux parties intéressées (...) ". En vertu de l'article R. 531-2 du même code, les règles régissant les expertises sont applicables aux constats mentionnés à l'article R. 531-1.

3. Enfin, la mise en jeu de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un justiciable qui est tiers par rapport à un ouvrage public ou une opération de travaux publics est subordonnée à la démonstration par cet administré de l'existence d'un dommage anormal et spécial directement en lien avec cet ouvrage ou cette opération. Les personnes mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers.

4. Il n'est pas contesté par la commune de Ramatuelle qu'elle a procédé à des travaux de coupe et d'élagage d'arbres et de végétation afin d'entretenir et de sécuriser la servitude de passage des piétons le long du littoral grevant la propriété de M.C.... Ces travaux, alors même qu'ils sont exécutés sur une propriété privée, ont été effectués par une collectivité publique dans un but d'intérêt général. Ils présentent ainsi le caractère de travaux publics. Le requérant a la qualité de tiers par rapport à ces travaux.

5. En l'absence de dépossession et d'extinction du droit de propriété, le litige relatif aux dommages causés par l'exécution de ces travaux relève de la compétence du juge administratif. Les travaux pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons ayant été effectués par l'administration sur le fondement de l'article R. 160-25 du code de l'urbanisme, la méconnaissance par la commune de Ramatuelle du préavis de quinze jours prévu par ces dispositions ne peut, par suite, être qualifié de voie de fait.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du constat ordonné le 26 juin 2014 par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, qu'une cinquantaine d'arbres et d'arbustes appartenant à M. C...ont été coupés ou détériorés lors des opérations de taille exécutées à la demande de la commune de Ramatuelle. La circonstance que les opérations de ce constat seraient entachées d'irrégularité est sans incidence sur l'appréciation par le juge d'appel de l'utilité de l'expertise ordonnée avant dire droit par le jugement attaqué. Au demeurant, la commune était représentée aux opérations de constat du 27 octobre 2014 et ses observations ont été consignées dans le rapport de l'expert. La commune ne produit, en outre, aucun élément de nature à remettre en cause les constatations des dommages effectuées par l'expert, lesquelles sont au surplus corroborées par les procès-verbaux de constat d'huissier, auxquels sont annexés des documents photographiques, qui ont été dressés à la demande du requérant les 30 décembre 2013, 5 mars 2014 et 29 septembre 2014. Ainsi, le lien de causalité entre les travaux publics et les préjudices est établi.

7. Il résulte de l'instruction que, l'état du dossier ne permettant pas aux premiers juges d'évaluer les dommages causés à la propriété du requérant, la mesure d'expertise ordonnée par le tribunal revêt un caractère d'utilité pour déterminer l'étendue des préjudices subis par M.C....

8. Par ailleurs, l'institution de la servitude en cause implique nécessairement l'entretien de la partie grevée par celle-ci pour empêcher des arbustes et végétaux de porter atteinte au libre passage et la sécurité des piétons. Les moyens invoqués par M. C... et tirés de ce que l'emprise de la servitude n'aurait pas été délimitée par le préfet et qu'elle serait située hors des limites fixées par l'article R. 160-8 du code de l'urbanisme ne sont pas assortis de précisions suffisantes pour permettre à la Cour d'en apprécier la portée et le bien-fondé. Le requérant ne justifie dès lors pas de l'utilité d'une extension de la mission de l'expert à l'évaluation des préjudices résultant des dommages causés aux végétaux poussant dans la partie du terrain grevée de la servitude de passage.

9. Il suit de là que c'est à bon droit que le tribunal a, d'une part, retenu que la responsabilité sans faute de la commune de Ramatuelle à raison des dommages causés par les travaux d'entretien de la partie de sa propriété grevée d'une servitude de passage des piétons le long du littoral était engagée à l'égard de M. C...et, d'autre part, ordonné une expertise à fin de déterminer le nombre et la nature des végétaux détruits ou détériorés à la suite de ces travaux situés en dehors de l'emprise de la servitude et d'évaluer les préjudices en résultant pour le requérant.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon n'a pas inclus dans la mission de l'expert le recensement du nombre et des caractéristiques des végétaux situés dans l'emprise de la servitude de passage. La commune de Ramatuelle n'est pas non plus fondée à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation de ce jugement.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties en litige la charge de ses propres frais de procédure et de rejeter les conclusions qu'elles ont présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Ramatuelle présentées par la voie de l'appel incident et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et à la commune de Ramatuelle.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2019 où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président de chambre,

- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère,

- M. Merenne, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 avril 2019.

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N° 18MA00539

kp


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA00539
Date de la décision : 11/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Compétence - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction - Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel - Liberté individuelle - propriété privée et état des personnes.

Procédure - Instruction - Moyens d'investigation - Expertise - Recours à l'expertise - Mission de l'expert.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Agnes BOURJADE
Rapporteur public ?: M. ARGOUD
Avocat(s) : OTTO - ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-04-11;18ma00539 ?
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