Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA Banque d'Escompte a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Théoule-sur-Mer à lui verser la somme de 220 000 euros en réparation des préjudices causés par l'emprise irrégulière d'une route communale, d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune a refusé de démolir l'ouvrage, et d'enjoindre à la commune de régulariser ce dernier.
Par un jugement n° 1403751 du 2 janvier 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2018, la SA Banque d'Escompte, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 2 janvier 2018 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de condamner la commune de Théoule-sur-Mer à lui verser la somme de 220 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 février 2008 ;
3°) d'enjoindre à la commune de démolir l'ouvrage, ou, à titre subsidiaire, de le régulariser ;
4°) de mettre à la charge de la commune la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a omis de statuer sur ses conclusions tendant au constat de l'irrégularité de l'emprise ;
- sa demande indemnitaire n'était pas prescrite, dès lors que son action tendait au rétablissement de droits réels et que le fait que les précédents propriétaires ne pouvaient être regardés comme ignorant l'existence de la créance ne pouvait lui être opposé ;
- ses conclusions tendant à l'annulation du refus de démolir n'étaient pas irrecevables, dès lors qu'elles ne constituaient pas des prétentions nouvelles et qu'il appartenait au tribunal administratif de surseoir à statuer dans l'attente du jugement à intervenir dans une instance ayant le même objet.
La clôture de l'instruction a été fixée au 14 décembre 2018 par une ordonnance du 6 novembre 2018.
Un mémoire présenté par la commune de Théoule-sur-Mer a été enregistré le 31 janvier 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Merenne,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la SA Banque d'Escompte.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Théoule-sur-Mer a fait construire en 1986 au lieu dit du Vallon de l'Autel une voie communale, devenue la rue Jean-Baptiste Pastor, traversant par une emprise irrégulière plusieurs parcelles, dont la parcelle cadastrée section A n° 217. La SA Banque d'Escompte est devenue propriétaire de ce terrain par un jugement d'adjudication du 21 septembre 2006. Elle fait appel du jugement du 2 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Théoule-sur-Mer à lui verser la somme de 220 000 euros en réparation des préjudices causés par l'emprise irrégulière de la voie communale, à l'annulation la décision implicite par laquelle le maire de la commune a refusé de démolir l'ouvrage, et enfin, à enjoindre à la commune de régulariser ce dernier.
Sur le constat de l'irrégularité de l'emprise :
2. La demande de la SA Banque d'Escompte devant les premiers juges tendant au constat de l'irrégularité de l'emprise constituait non des conclusions dont le juge du fond peut utilement être saisi à titre principal, mais un moyen à l'appui de ses conclusions indemnitaires et de celles dirigées contre le refus de démolir. La SA Banque d'Escompte n'est en conséquence pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait omis de statuer sur de telles conclusions.
Sur l'annulation du refus de démolir :
3. Le tribunal administratif, pour rejeter les conclusions présentées par la SA Banque d'Escompte par un mémoire enregistré le 30 mai 2017 à l'encontre de la décision implicite née le 29 mai 2017 par laquelle le maire de la commune a rejeté sa demande tendant à la démolition de l'ouvrage, a jugé, au point 6 du jugement attaqué, que " ces conclusions, alors que la requête, enregistrée le 6 septembre 2014, ne tendait qu'à la mise en cause de la responsabilité de la commune assortie d'une demande d'injonction, constituent des prétentions nouvelles tardivement présentées ".
4. Pour contester le motif d'irrecevabilité opposé par le tribunal, la SA Banque d'Escompte fait valoir, d'une part, que ces conclusions ne constituaient pas des " prétentions nouvelles ", et d'autre part, qu'il appartenait au tribunal administratif de surseoir à statuer sur celles-ci dans l'attente du jugement à intervenir dans une instance également introduite par la SA Banque d'Escompte devant le tribunal administratif de Nice ayant le même objet, sans soutenir que la demande introduite le 30 mai 2017 à l'encontre de la décision née le 29 n'aurait pas été tardive.
5. Or et d'une part, ces conclusions, alors que la SA Banque d'Escompte n'avait jusqu'alors présenté devant le tribunal que des conclusions indemnitaires et des conclusions accessoires tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de régulariser l'ouvrage, constituaient bien des prétentions nouvelles, c'est-à-dire des conclusions différentes présentées par un nouveau mémoire s'ajoutant à celles présentées par l'acte introductif d'instance, et, d'autre part, il était loisible au tribunal administratif, qui dirige l'instruction, de statuer sur la demande de la SA Banque d'Escompte sans attendre l'issue d'une autre instance introduite devant lui.
6. La SA Banque d'Escompte n'est en conséquence pas fondée, par les moyens qu'elle invoque, à contester l'irrecevabilité opposée par les premiers juges à ces conclusions à fin d'annulation.
Sur les conclusions indemnitaires :
7. La SA Banque d'Escompte a demandé devant les premiers juges non l'indemnisation des préjudices des précédents propriétaires de la parcelle dans les droits desquelles elle aurait été subrogée, mais de ses préjudices propres à compter de l'acquisition du terrain par voie d'adjudication le 21 septembre 2006. L'assignation de la commune par la banque devant le tribunal de grande instance de Grasse le 2 septembre 2008 a interrompu le délai de la prescription quadriennale jusqu'au 4 février 2014, date du jugement par lequel le tribunal de grande instance s'est finalement déclaré incompétent pour connaître du litige. Il suit de là que la prescription quadriennale n'était pas acquise à la date à laquelle la SA Banque d'Escompte a introduit sa demande devant le tribunal administratif de Nice, le 6 septembre 2014. C'est en conséquence à tort que le tribunal administratif a retenu l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Théoule-sur-Mer aux conclusions indemnitaires de la SA Banque d'Escompte.
8. L'emprise irrégulière de la voie communale, qui a débuté en 1986, n'a pas entraîné de perte de valeur vénale du terrain depuis son acquisition par la banque le 21 septembre 2006. Ce préjudice doit donc être écarté.
9. S'il résulte de l'instruction que la banque avait été informée par la commune de l'existence d'une emprise irrégulière sur la parcelle en question et qu'elle disposait de l'ensemble des informations disponibles sur cette emprise préalablement à l'adjudication, la banque n'a pas pour autant nécessairement consenti au maintien de cette emprise pour l'avenir, laquelle constitue une atteinte à son droit de propriété qui, étant susceptible d'être régularisée, n'a pas entraîné l'extinction définitive de celui-ci. En revanche, la banque s'est exposée en toute connaissance aux difficultés résultant de cette emprise irrégulière. La commune de Théoule-sur-Mer n'est en conséquence fondée à exciper du risque accepté par la SA Banque d'Escompte que dans cette mesure.
10. Compte tenu des conditions dans lesquelles elle a acquis le terrain et de la finalité qu'elle poursuivait, la banque n'a pas été exposée à d'autres troubles de jouissance que celui lié à l'impossibilité de vendre ce terrain. Si la SA Banque d'Escompte évalue la valeur vénale de celui-ci, classé en zone UA, à 200 000 euros en l'absence d'emprise, l'expert foncier et agricole qu'elle a elle-même nommé l'a évaluée en 2016 à 100 000 euros du fait de la topographie des lieux. Le service des domaines l'avait pour sa part évaluée en 2006 à 20 000 euros. Enfin, le terrain occupé n'a pas trouvé d'enchérisseur lors de l'adjudication après une mise à prix à 50 000 euros. Le préjudice de jouissance subi par la banque, qui n'est pas égal au taux du placement du produit de la vente du terrain sans emprise, doit être évalué, pour la période comprise entre le 21 septembre 2006 et la date du présent arrêt, compte tenu de ces éléments et de ce qui a été dit au point précédent, à la somme de 7 000 euros tous intérêts compris.
11. Enfin, la SA Banque d'Escompte fait valoir qu'elle a subi un préjudice résultant de la surévaluation des taxes foncières, qu'elle chiffre à 20 000 euros. Il ressort des avis d'imposition produits au dossier que la taxe foncière sur les propriétés non-bâties s'est élevée à 84 euros pour l'année 2013, 87 euros pour l'année 2014 et 86 euros pour l'année 2015. Il ne résulte pas de l'instruction que la présence d'un tronçon de route aurait été à l'origine d'une majoration de cette taxe. Ce préjudice doit donc également être écarté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'auteur d'un recours indemnitaire tendant à la réparation de préjudices imputables à l'implantation irrégulière d'un ouvrage public peut assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à cette implantation irrégulière.
13. Il résulte de l'instruction qu'une régularisation de l'emprise est possible soit par la vente amiable du terrain d'assiette, soit par l'engagement d'une procédure d'expropriation. Selon les informations fournies par les parties, celles-ci, après avoir entamé des pourparlers postérieurement à l'introduction d'une action devant le juge administratif, ont trouvé un accord pour une cession amiable. Il y a lieu d'enjoindre à la commune de réaliser toutes les démarches nécessaires en vue de la régularisation de l'ouvrage dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
14. En revanche, compte tenu de l'utilité que présente l'ouvrage pour la desserte des lieux avoisinants, la démolition de la portion de route litigieuse porterait, malgré les inconvénients qu'ils présentent pour le propriétaire du terrain d'assiette, une atteinte excessive à l'intérêt général. Il n'y a dès lors pas lieu d'enjoindre à la commune de procéder à cette démolition à défaut de la régularisation ordonnée ci-dessus.
15. Il résulte de ce qui précède que la SA Banque d'Escompte est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Théoule-sur-Mer en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative le versement de la somme de 2 000 euros à la SA Banque d'Escompte au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La commune de Théoule-sur-Mer est condamnée à verser la somme de 7 000 euros à la SA Banque d'Escompte.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Théoule-sur-Mer de régulariser l'emprise sur la parcelle cadastrée section A n° 21 dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Théoule-sur-Mer versera à la SA Banque d'Escompte la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le jugement du 2 janvier 2018 du tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Banque d'Escompte et à la commune de Théoule-sur-Mer.
Délibéré après l'audience du 28 février 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 avril 2019.
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N° 18MA00707