Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme M...B..., Mme I...B..., M. C...B..., Mme A...B..., Mme L... F...et Mme J...E...ont demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le centre hospitalier de Cannes à leur verser la somme totale de 630 000 euros en réparation des divers préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de M. G... B....
Par un jugement n° 1403078 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Nice a mis hors de cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, a rejeté cette demande, et a mis les frais d'expertise à la charge définitive du centre hospitalier de Cannes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 mai 2017, Mme M...B..., Mme I...B..., M. C...B..., Mme A...B..., Mme L...F...et Mme J...E..., représentés par MeH..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 28 février 2017 en tant qu'il a rejeté leur demande indemnitaire dirigée contre le centre hospitalier de Cannes ;
2°) de condamner ce centre hospitalier à leur payer la somme totale de 655 000 euros en réparation des divers préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de M. G... B...;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Cannes la somme totale de 30 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ont insuffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de l'existence d'une faute du centre hospitalier de Cannes tenant à la désorganisation de son service des urgences ;
- la responsabilité du centre hospitalier de Cannes est engagée du fait d'une erreur de diagnostic ayant entraîné un retard de diagnostic, et d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ;
- le taux de perte de chance de survie de la victime est supérieur au taux de 5 % dont fait état l'expert ;
- ils sont fondés à solliciter une somme de 300 000 euros en leurs qualités d'héritiers de M. G... B..., au titre de la perte de chance de guérison de celui-ci, ainsi que la réparation de leurs différents préjudices matériels et moraux.
Par des observations enregistrées le 28 août 2017, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeD..., demande à la Cour de le mettre hors de cause.
Il soutient que :
- les requérants ne formulent aucune demande à son encontre ;
- les conditions permettant l'ouverture d'un droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 janvier 2018, le centre hospitalier de Cannes, représenté par MeK..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jorda-Lecroq,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de M. C...B....
Considérant ce qui suit :
1. M. G...B..., né le 14 juillet 1964, a subi en avril 2012 une intervention chirurgicale de court-circuit gastrique en raison d'une pathologie d'obésité morbide. Ayant ressenti des douleurs abdominales croissantes depuis le milieu de la nuit du 3 au 4 août 2013, il a été admis, le 4 août 2013 vers midi, au sein du service des urgences du centre hospitalier de Cannes, à la suite d'un appel du centre 15 par son épouse à 11 heures. Compte tenu d'un diagnostic de péritonite par perforation d'organe creux, l'intéressé a été transféré en fin d'après-midi du même jour au sein du service des urgences du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nice (hôpital Saint-Roch), où il a subi à 19 h 30 une intervention chirurgicale de résection intestinale par laparotomie, sans rétablissement de la continuité. Il est décédé le 5 août 2013 à 18 h 39 des suites d'un choc septique et d'une défaillance multi-viscérale. Mme M...B..., Mme I...B..., M. C...B..., Mme A...B..., Mme L... F...et Mme J... E...demandent l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nice du 28 février 2017 en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Cannes à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de M.B....
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les premiers juges, qui n'étaient au demeurant pas tenus de répondre à tous les arguments des parties, ont suffisamment motivé, au point 4 de leur jugement, leur réponse au moyen tiré de l'existence d'une faute du centre hospitalier de Cannes dans l'organisation et le fonctionnement du service du fait d'une prise tardive, selon les requérants, de la décision de transfert de M. B...au centre hospitalier universitaire de Nice.
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement du service :
3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Nice, que la décision de transférer M. B...vers le CHRU de Nice a été prise par le chirurgien de permanence du centre hospitalier de Cannes dès la pose du diagnostic de péritonite par perforation d'organe creux le 4 août 2013 vers 16 h 25. Ce chirurgien ne pouvait pas opérer lui-même immédiatement l'intéressé en raison d'une autre intervention chirurgicale de péritonite déjà prévue et ne pouvant être décalée. Le transfert a été rapidement effectué, entre 17 h 19 et 17 h 56, heure d'arrivée de l'intéressé au service des urgences de l'hôpital Saint-Roch (Nice). Par ailleurs, dans l'hypothèse où M. B... aurait été maintenu au centre hospitalier de Cannes pour y être opéré, cette intervention aurait pu débuter, comme cela a été le cas au CHRU de Nice, vers 19 h 30, compte tenu de l'heure à laquelle le diagnostic a été posé, soit 16 h 25, et de la circonstance que le chirurgien de permanence a terminé sa précédente intervention à 18 h 44. En outre, si les requérants allèguent également une insuffisance de moyens et d'effectifs au sein du service des urgences du centre hospitalier de Cannes le 4 août 2013, du fait, en particulier, de l'absence de chirurgiens en nombre suffisant et de chirurgien compétent en chirurgie bariatrique, ils n'établissent pas la réalité de cette allégation, laquelle, en dépit des interrogations de l'expert à ce sujet, ne résulte pas plus de l'instruction. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu l'absence de faute dans l'organisation et le fonctionnement du service du centre hospitalier de Cannes.
En ce qui concerne le retard de diagnostic :
4. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision (...) ".
5. Il résulte de l'instruction que M. B...présentait des antécédents importants d'obésité morbide traitée par court-circuit gastrique, ainsi que cela a été exposé au point 1, et d'administration quotidienne d'anticoagulant. Il a été pris en charge à son arrivée à 12 h 02 aux urgences du centre hospitalier de Cannes, où il a été perfusé, où ont été relevées ses constantes et lancé un bilan biologique et où il a été examiné à 12 h 41 par le médecin urgentiste. Celui-ci, informé de l'antécédent de court-circuit gastrique, a fait réaliser, devant le tableau clinique de douleurs abdominales intenses sans nausées ni vomissement et de défense à la palpation appuyée, non accompagnées de fièvre, des examens radiologiques de l'abdomen sans préparation et du thorax. A 16 h 25, le chirurgien de permanence, après avoir examiné M. B..., a posé le diagnostic, qui s'est révélé non erroné, d'une péritonite par perforation d'organe creux et, devant la dégradation de son état, a décidé son transfert vers le CHRU de Nice en vue d'une intervention chirurgicale. Toutefois, l'état du dossier ne permet pas à la Cour de savoir si, compte tenu du tableau clinique exposé plus haut présenté par M.B..., un examen tomodensitométrique en urgence, sans injection ou avec injection, aurait dû être demandé en première intention dès le premier examen clinique afin de permettre la pose du diagnostic, de connaître l'heure à laquelle sont revenus les résultats du bilan biologique et de l'examen tomodensitométrique qui aurait été finalement décidé à 15 h 35 puis réalisé, permettant la pose du diagnostic vers 16 h 25 ainsi que cela a été exposé au point 3, et de déterminer dans quelle mesure les éventuelles fautes commises par le centre hospitalier de Cannes concernant le délai relatif à cette pose de diagnostic de péritonite par perforation d'organe creux dont a souffert M. B... ont fait perdre à celui-ci une chance de survie en l'absence, notamment, d'information précise sur le taux (pourcentage) de perte de chance dans son cas particulier. Par suite, il y a lieu, avant de statuer sur les droits à réparation des consortsB..., d'ordonner une expertise sur ces points dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
D É C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires des consortsB..., procédé par un expert, désigné par la présidente de la Cour, à une expertise en présence des consortsB..., du centre hospitalier de Cannes et de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine-Saint-Denis, avec pour mission de :
1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de M. G...B...et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués sur lui ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de M. B...;
2°) décrire exhaustivement la prise en charge de M. B...par le centre hospitalier de Cannes en ce qui concerne l'établissement du diagnostic de péritonite par perforation d'un organe creux (en particulier, en ce qui concerne les examens effectués, les heures auxquelles leur réalisation a été décidée puis a eu lieu et les heures de retour des résultats) et donner son avis sur cette prise en charge (retard de diagnostic) et sur le point de savoir si et dans quelle mesure les éventuels manquements du centre hospitalier de Cannes ont fait perdre à M. B...une chance de survie, en apportant une information précise sur le taux (pourcentage) de perte de chance dans son cas particulier ;
3°) de fournir toutes précisions complémentaires que l'expert jugera utile à la solution du litige.
Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M...B..., Mme I...B..., M. C... B..., Mme A...B..., Mme L...F..., Mme J...E..., au centre hospitalier de Cannes et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2019, où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- Mme Jorda-Lecroq, présidente assesseure,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 mars 2019.
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N° 17MA01875
kp