Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a décidé sa remise aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile ainsi que l'arrêté du même jour prononçant son assignation à résidence.
Par un jugement n° 1805279 du 9 juillet 2018, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille, a annulé ces deux arrêtés du 4 juillet 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône et a enjoint à ce préfet d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 10 août 2018 sous le n° 18MA03859, le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 juillet 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Marseille.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige du 4 juillet 2018 n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 17.1 du règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ou au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- Mme A... ne démontre pas qu'une remise aux autorités italiennes la priverait des soins médicaux dont elle a besoin ou pourrait être susceptible de la soumettre à des risques de traitements inhumains ou dégradants ni qu'elle ne pourrait voir sa demande d'asile instruite ;
- les autres moyens soulevés par la requérante en première instance étaient infondés.
Par des mémoires en défense enregistrés le 25 octobre 2018 et le 12 novembre 2018, Mme A... conclut au rejet de la requête du préfet des Bouches-du-Rhône et à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, qui s'engage dans ce cas à renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet des Bouches-du-Rhône ne sont pas fondés ;
- les autorités françaises auraient dû solliciter des garanties auprès des autorités italiennes avant de prononcer la décision de transfert en raison de leur situation de défaillance systémique dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile ;
- la décision de transfert aux autorités italiennes méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de son état de santé et de sa situation vulnérable puisqu'elle serait exposée à des fins de prostitution forcée ;
- son transfert vers l'Italie entraînerait pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
II. Par une requête enregistrée le 10 août 2018 sous le n° 18MA03861, le préfet des Bouches-du-Rhône, demande à la Cour d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 juillet 2018.
Il soutient que :
- l'absence de bien-fondé du moyen d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 retenu par le premier juge est sérieux ;
- les autres moyens soulevés par Mme A... étaient infondés.
Par des mémoires en défense enregistrés le 26 octobre et le 12 novembre 2018, Mme A... conclut au rejet de la requête du préfet des Bouches-du-Rhône et à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à son conseil, qui s'engage dans ce cas à renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet des Bouches-du-Rhône ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 14 décembre 2018.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office, tiré de ce que à la date à laquelle la Cour rendra son arrêt, quel que soit le sens de la décision qu'elle pourrait prendre sur les prétentions que lui soumet le préfet des Bouches-du-Rhône, la mesure de transférer Mme A... aux autorités italiennes ne peut plus recevoir d'exécution, de sorte que les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 juillet 2018 ont désormais perdu leur objet.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- les rapports de Mme C...,
- et les conclusions de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante nigériane née le 1er janvier 1993, est entrée irrégulièrement en France, accompagnée de son époux M. F..., selon ses déclarations, le 21 décembre 2017 et a déposé une demande d'asile le 14 février 2018. Le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé qu'elle avait déjà été identifiée en Italie. Le 13 avril 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône a formé auprès des autorités italiennes une demande de prise en charge. À la suite de l'accord implicite desdites autorités, par un arrêté du 4 juillet 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône a prononcé son transfert vers l'Italie et l'a placée en rétention administrative. Par jugement du 9 juillet 2018, à la demande de Mme A..., le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille, a annulé cet arrêté. Par les deux requêtes susvisées, le préfet des Bouches-du-Rhône, d'une part, relève appel de ce jugement sous le n° 18MA03859, et d'autre part, demande à la Cour sous le n° 18MA03861 qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sur le fondement des dispositions des articles R. 811-15 du code de justice administrative.
Sur la jonction :
2. Les requêtes susvisées du préfet des Bouches-du-Rhône sont dirigées contre le même jugement. Elles ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide ainsi que l'ont prévu les conclusions du Conseil européen de Tempere des 15 et 16 octobre 1999, l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".
4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 72 heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
5. D'une part il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
6. D'autre part, selon le même article 29, le délai de six mois qu'il fixe peut être prolongé en cas de fuite de la personne concernée. Si la prolongation du délai de transfert a pour objet de maintenir en vigueur la décision de remise aux autorités de l'Etat responsable, dans le cas toutefois où la décision de remise a été annulée par le premier juge, l'appel n'étant pas suspensif, l'annulation ainsi prononcée fait alors obstacle à ce que le préfet prolonge la validité de cette décision. La décision de remise le concernant ayant été annulée, l'étranger ne saurait être regardé comme en fuite au sens de ces dispositions. Il en résulte que, lorsque le juge d'appel statue sur une requête dirigée contre le jugement d'un tribunal administratif qui a prononcé l'annulation d'une décision de transfert à l'expiration du délai de six mois courant à compter de ce jugement, la mesure de transfert ne peut plus recevoir d'exécution et ce quel que soit le sens de la décision juridictionnelle à intervenir. Dans cette mesure, la demande d'annulation du jugement du tribunal administratif n'a plus, objectivement, aucune raison d'être.
7. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 4 juillet 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a ordonné la remise de Mme A... aux autorités italiennes est intervenu moins de six mois après la décision par laquelle l'Italie a donné son accord pour sa réadmission, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Ce délai a toutefois été interrompu par l'introduction, par Mme A..., d'un recours contre cet arrêté, présenté sur le fondement de l'article L. 742-4 du CESEDA. Un nouveau délai de six mois a recommencé à courir à compter du jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 juillet 2018 statuant au principal sur le recours et qui a annulé l'arrêté du 4 juillet 2018. L'expiration de ce nouveau délai a eu pour conséquence, par application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n° 560/2003 du 26 juin 2013, que, d'une part, l'Italie a été libérée de son obligation de prendre en charge le demandeur et que, d'autre part, la France est devenue responsable de l'instruction de la demande de protection internationale de Mme A.... Il en résulte que, à la date du présent arrêt, quel que soit le sens de la décision qui pourrait être prise par la Cour sur les prétentions que lui soumet le préfet des Bouches-du-Rhône, la décision de transférer Mme A... aux autorités italiennes ne peut plus recevoir d'exécution. Ainsi, les conclusions tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 juillet 2018 et au rejet de la demande présentée par Mme A... devant ce tribunal ont désormais perdu leur objet. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ces conclusions.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
8. La Cour ayant prononcé un non-lieu à statuer par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet des Bouches-du-Rhône tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 18MA03861 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont également privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
9. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de Mme A... d'une somme au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18MA03859 du préfet des Bouches-du-Rhône.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18MA03861 du préfet des Bouches-du-Rhône.
Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme E... A...et à Me D....
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 8 février 2019, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président-assesseur,
- Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 février 2019.
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N° 18MA03859, 18MA03861
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