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04/02/2019 | FRANCE | N°18MA03313

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 04 février 2019, 18MA03313


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à lui payer les sommes de 20 000 euros et de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et de celui de son fils mineur B...E....

Par un jugement n° 1605635 du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2018, MmeC..., agissant en son nom et en sa qualité de représentante

légale de son fils mineur B...E..., représentée par la SCP Cauvin Leygue, demande à la Cour :...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le département de l'Hérault à lui payer les sommes de 20 000 euros et de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et de celui de son fils mineur B...E....

Par un jugement n° 1605635 du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2018, MmeC..., agissant en son nom et en sa qualité de représentante légale de son fils mineur B...E..., représentée par la SCP Cauvin Leygue, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 juin 2018 du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de condamner le département de l'Hérault à lui payer les sommes de 20 000 euros et de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral et de celui de son fils ;

3°) de mettre à la charge du département de l'Hérault la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la réalité du préjudice qu'elle et son fils ont subi est avérée ;

- elle n'a pas été indemnisée de la somme à laquelle a été condamné l'auteur des faits ;

- l'examen de la responsabilité du conseil départemental relève de la compétence du juge administratif ;

- le département a engagé sa responsabilité sans faute du fait même de la garde des deux mineurs et a commis en outre une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- elle a lié le contentieux ;

- sa créance n'est pas prescrite ;

- les conditions de la force majeure ne sont pas réunies.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2018, le département de l'Hérault conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de Mme C...la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête d'appel ne comporte aucune critique du jugement contesté ;

- la demande de première instance et la requête d'appel ne sont pas motivées ;

- la créance est prescrite ;

- sa responsabilité n'est pas engagée ;

- la force majeure doit l'exonérer de sa responsabilité ;

- un même préjudice ne peut être indemnisé deux fois ;

- les sommes demandées ne sont pas justifiées ;

- l'existence d'un préjudice personnel de Mme C...n'est pas démontrée ;

- la somme demandée au titre du préjudice moral de la victime directe est disproportionnée.

Par un mémoire en réplique, enregistré le 11 septembre 2018, Mme C...conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et ajoute en outre que :

- la requête comporte une critique du jugement du tribunal administratif ;

- elle est motivée en fait et en droit.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,

- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant le département de l'Hérault.

Considérant ce qui suit :

1. B...E..., né le 19 mai 2001, a été confié, par jugement du juge des enfants du tribunal de grande instance de Montpellier du 12 mars 2003, au service départemental de l'aide sociale à l'enfance de l'Hérault. Il a été victime de violences psychiques et sexuelles commises par un adolescent de 14 ans de janvier 2009 à janvier 2010, alors que les deux mineurs étaient accueillis dans le même établissement. Par jugement du 13 juin 2013 du tribunal pour enfants de Montpellier, l'auteur des faits a été condamné à une peine d'emprisonnement de 30 mois avec sursis total et mise à l'épreuve pendant 3 ans, et à payer 20 000 euros au titre du préjudice moral de B...et 5 000 euros au titre du préjudice moral de MmeC..., mère deB.... Cette dernière relève appel du jugement du 5 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande de condamnation du département de l'Hérault à réparer son préjudice moral et celui de son fils.

Sur la recevabilité de l'appel :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. La requête d'appel de Mme C...ne se borne pas à reproduire purement et simplement la demande présentée devant le tribunal administratif mais comporte une critique du jugement de première instance et expose à nouveau les faits, les conclusions et les moyens présentés à l'appui de sa demande. La fin de non-recevoir opposée par le département de l'Hérault doit par suite être écartée.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. En premier lieu, la requête de première instance contient un exposé des faits et des moyens, conformément aux dispositions précitées de l'article R. 411-1 du code de justice administrative. La fin de non-recevoir présentée en première instance par le département de l'Hérault doit par suite être écartée.

5. En second lieu, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) ". Aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne pouvait, à la date du jugement, être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration. Lorsque ce mémoire en défense conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond, ces conclusions font seulement obstacle à ce que le contentieux soit lié par ce mémoire lui-même.

6. Il résulte de l'instruction que Mme C...a lié le contentieux au cours de la première instance par demande du 23 janvier 2018 adressée au département de l'Hérault, sur laquelle le silence gardé par l'administration a fait naître une décision implicite de rejet avant que le tribunal administratif ne statue. Dans ces conditions, sa demande indemnitaire est recevable et la fin de non-recevoir qui avait été opposée par le département de l'Hérault en première instance doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité :

7. La décision par laquelle le juge confie la garde d'un mineur, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil, à l'une des personnes mentionnées à l'article 375-3 du même code, transfère à la personne qui en est chargée la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie du mineur. En raison des pouvoirs dont le département se trouve ainsi investi lorsque le mineur a été confié à un service ou établissement qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur. Cette responsabilité n'est susceptible d'être atténuée ou supprimée que dans le cas où elle est imputable à un cas de force majeure ou à une faute de la victime.

8. L'auteur des violences subies par le jeune B...ayant été confié, dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative prise en vertu des articles 375 et suivants du code civil par le juge des enfants, au département de l'Hérault, la responsabilité de ce dernier est engagée pour les dommages subis par le fils de MmeC.... La circonstance que B...E..., comme d'ailleurs l'auteur des faits, soient usagers du service public de la justice, ne saurait faire obstacle à ce que la victime bénéficie du régime de réparation prévu ci-dessus.

9. Si le département invoque enfin un cas de force majeure, il ne démontre pas que les violences subies par l'enfant auraient revêtu un caractère irrésistible, extérieur et imprévisible.

En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :

10. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance. (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". S'agissant d'une créance indemnitaire détenue sur une collectivité publique au titre d'un dommage corporel engageant sa responsabilité, le point de départ du délai de prescription prévu par ces dispositions est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les infirmités liées à ce dommage ont été consolidées. Toutefois la prescription ne court qu'à compter de la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine du dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration.

11. Il résulte de l'instruction que le tribunal pour enfants de Montpellier a rendu un jugement le 13 juin 2013 par lequel il a condamné l'auteur des faits à une peine d'emprisonnement de 30 mois avec sursis total et mise à l'épreuve pendant 3 ans et à payer les sommes de 20 000 et 5 000 euros en réparation du préjudice moral de l'enfant et de sa mère. L'action ainsi engagée devant le juge judiciaire constitue un recours devant une juridiction de nature à interrompre la prescription quadriennale dès lors que, conformément aux dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, il se rapportait au fait générateur, à l'existence, au montant et au paiement de la créance susceptible d'être mise à la charge du département de l'Hérault, responsable de plein droit des dommages causés aux tiers par le mineur dont il avait la garde. Un nouveau délai ayant commencé à courir à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision de justice est passée en force de chose jugée, la créance dont se prévaut Mme C...n'était pas prescrite à la date d'introduction de la demande devant le tribunal administratif de Montpellier le 26 octobre 2016. L'exception de prescription soulevée par le département de l'Hérault doit par suite être écartée.

En ce qui concerne les préjudices :

12. Il convient de réparer le préjudice moral de B...E..., alors âgé de 8 ans à la date des violences sexuelles et psychologiques endurées, par l'allocation de la somme de 20 000 euros et le préjudice moral de la requérante, mère deB..., relatif au choc psychologique en lien avec les violences subies par son fils, par la somme de 5 000 euros.

13. Il appartient au juge administratif de prendre, en déterminant la quotité et la forme de l'indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires en vue d'empêcher que sa décision n'ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu'elle a pu obtenir devant d'autres juridictions à raison des conséquences dommageables du même accident, une réparation supérieure au montant total du préjudice subi. Cependant, Mme C...soutient sans être démentie ne pas avoir été indemnisée par l'auteur de l'infraction en exécution du jugement rendu par le tribunal pour enfants de Montpellier le 13 juin 2013. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que la commission d'indemnisation des victimes d'infractions de Montpellier ou le service d'aide au recouvrement des victimes aient été saisis d'une demande aux fins d'indemnisation. Dans ces conditions, il convient de condamner le département à payer les sommes précitées de 5 000 euros et de 20 000 euros à MmeC....

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande de condamnation du département de l'Hérault à réparer les préjudices subis.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de MmeC..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au département de l'Hérault, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge du département de l'Hérault la somme de 2 000 euros à verser à Mme C....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 5 juin 2018 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : Le département de l'Hérault est condamné à payer la somme de 5 000 euros à Mme C... en son nom propre et la somme de 20 000 euros à Mme C...en sa qualité de représentante légale de son fils mineur B...E....

Article 3 : Le département de l'Hérault versera la somme de 2 000 euros à Mme C...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions du département de l'Hérault présentées en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et au département de l'Hérault.

Copie en sera adressée à la commission d'indemnisation des victimes d'infractions de Montpellier et au Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d'autres Infractions.

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2019, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président-assesseur,

- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.

Lu en audience publique, le 4 février 2019.

2

N° 18MA03313


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA03313
Date de la décision : 04/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services sociaux.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Karine DURAN-GOTTSCHALK
Rapporteur public ?: M. REVERT
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS CAUVIN - LEYGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-02-04;18ma03313 ?
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