La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/01/2019 | FRANCE | N°18MA01114

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre - formation à 3, 28 janvier 2019, 18MA01114


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Luxmarina a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 8 juillet 2013 par laquelle le maire de La Seyne-sur-Mer a rejeté son offre relative à la délégation de service public organisée pour la conception, la réalisation et l'exploitation du nouveau port de plaisance ainsi que la décision rejetant son recours gracieux contre cette décision, d'annuler le contrat conclu le 29 juillet 2013 avec la Société immobilière et financière de l'armement (SIFA) et de condamner

la commune de La Seyne-sur-Mer à lui verser la somme de 2 000 000 euros en ré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Luxmarina a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 8 juillet 2013 par laquelle le maire de La Seyne-sur-Mer a rejeté son offre relative à la délégation de service public organisée pour la conception, la réalisation et l'exploitation du nouveau port de plaisance ainsi que la décision rejetant son recours gracieux contre cette décision, d'annuler le contrat conclu le 29 juillet 2013 avec la Société immobilière et financière de l'armement (SIFA) et de condamner la commune de La Seyne-sur-Mer à lui verser la somme de 2 000 000 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction irrégulière de la procédure d'attribution de la délégation de service public.

Par un jugement n° 1303272 du 16 juin 2017, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions à fin d'annulation de la décision du 8 juillet 2013 portant rejet de l'offre de la société Luxmarina, de la décision rejetant le recours gracieux et du contrat de concession et a, avant-dire-droit, invité la société Luxmarina à justifier, dans le délai de deux mois, des frais qu'elle a exposés pour présenter son offre.

Par un jugement n° 1303272 du 12 janvier 2018, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions indemnitaires de la société Luxmarina.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 11 mars 2018, la société Luxmarina, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ces deux jugements ;

2°) d'annuler la décision du maire de La Seyne-sur-Mer du 19 septembre 2013 rejetant son recours préalable tendant à l'annulation de la décision de rejet de son offre et à l'indemnisation de son préjudice ;

3°) de mettre à la charge de la commune de La Seyne-sur-Mer la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement avant-dire droit du 16 juin 2017 ne pouvait rejeter ses conclusions à fin d'annulation de la décision de rejet opposée par le maire au motif de l'existence d'un recours parallèle dès lors que ses conclusions pouvaient être analysées comme un recours en contestation de la validité du contrat ;

- le jugement du 12 janvier 2018 a été rendu au terme d'une procédure irrégulière car le mémoire qu'elle a déposé le 30 novembre 2017 n'a pas été communiqué ;

- les pièces qu'elle a produites à l'appui de ce mémoire n'ont pas été versées aux débats ni prises en compte en raison de l'absence de réouverture de l'instruction, ce qui constitue une irrégularité ;

- le sens des conclusions du rapporteur public n'a pas été indiqué de manière assez précise avant l'audience et la procédure a ainsi méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- son offre avait des chances sérieuses d'être retenue, tandis que celle de la société SIFA aurait dû être écartée, compte tenu de l'insuffisance de ses garanties bancaires et de la conception défaillante de son projet ;

- elle est dès lors en droit d'obtenir une indemnité couvrant son manque à gagner ;

- elle a démontré la réalité et l'étendue de son préjudice en ce qui concerne les frais de présentation de l'offre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2018, la commune de La Seyne-sur-Mer, représentée par MeE..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Luxmarina en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Luxmarina sont infondés.

Par ordonnance du 8 novembre 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 novembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. B...Thielé, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant la commune de La Seyne-sur-Mer.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au bulletin officiel des annonces des marchés publics le 4 août 2011, la commune de La Seyne-sur-Mer a engagé la procédure de passation de la concession d'un nouveau port de plaisance. Le 8 juillet 2013, le maire de La Seyne-sur-Mer a informé la société Luxmarina du rejet de son offre. Cette société a, le 19 juillet 2013, présenté un recours gracieux demandant l'annulation du contrat à conclure avec la société SIFA, attributaire, et sollicitant une indemnité de 1 000 000 euros en réparation du préjudice découlant selon elle de son éviction de la procédure en cause. Par un jugement avant-dire droit du 16 juin 2017, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les conclusions d'excès de pouvoir présentées par cette société contre les décisions rejetant son offre et son recours gracieux et a jugé illégal le contrat conclu entre la commune et la société SIFA, avant de rejeter néanmoins les conclusions à fin d'annulation du contrat dès lors que le conseil municipal de La Seyne-sur-Mer avait lui-même résilié le contrat le 28 juillet 2015. Par ce même jugement, le tribunal a jugé que la société Luxmarina n'était pas dépourvue de toute chance de remporter la délégation de service public et a sursis à statuer afin qu'elle produise les pièces nécessaires à l'établissement de son préjudice en ce qui concerne les frais de présentation de son offre. Par un jugement du 12 janvier 2018, le tribunal a finalement rejeté sa demande indemnitaire.

Sur la régularité des jugements attaqués :

2. En premier lieu, en vertu des règles relatives à la contestation des marchés publics alors en vigueur, indépendamment des actions dont les parties au contrat disposaient devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif était recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. A partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu'il disposait de ce recours, le concurrent évincé n'était, en revanche, plus recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en étaient détachables.

3. Il résulte de ces règles qu'à compter du 29 juillet 2013, date de conclusion du contrat, la société requérante n'était plus recevable à contester la décision de rejet opposée à son recours gracieux par le maire de La Seyne-sur-Mer. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, par leur jugement du 16 juin 2017, rejeté comme irrecevables les conclusions d'excès de pouvoir dirigées contre cette décision.

4. En deuxième lieu, en vertu des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposées ou adressées au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes de l'article R. 613-1 du même code : " Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close. Cette ordonnance n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. (...) ". En application de l'article R. 613-3 de ce code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ".

5. Il résulte de l'instruction que le mémoire présenté par la société Luxmarina le 30 novembre 2017 ne comprenait aucun élément nouveau. Par ailleurs, il n'est aucunement démontré que les pièces produites au moyen de l'application Télérecours le 18 décembre 2017, après la clôture de l'instruction fixée par ordonnance au 30 novembre 2017, pièces dont la requérante était en possession depuis plusieurs années et qui ont du reste été analysées par le tribunal, n'auraient pu être produites avant cette clôture. Le tribunal n'était pas donc pas tenu de rouvrir l'instruction. Enfin, la demande de régularisation qu'il a adressée à la société requérante afin qu'elle régularise la production de ses pièces, initialement déposées au greffe sous forme imprimée, par leur transmission sous forme numérisée n'a pas eu par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction. Dès lors, la société Luxmarina, qui ne peut au demeurant utilement se prévaloir d'une méconnaissance du principe du contradictoire s'agissant de ses propres écritures, n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait irrégulier faute de communication et de prise en compte de ces pièces.

6. En troisième lieu, en vertu des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. / Lorsque l'affaire est susceptible d'être dispensée de conclusions du rapporteur public, en application de l'article R. 732-1-1, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, si le rapporteur public prononcera ou non des conclusions et, dans le cas où il n'en est pas dispensé, le sens de ces conclusions ".

7. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. En revanche, s'il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, la communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

8. Il résulte de ce qui précède que si, en l'espèce, le rapporteur public a indiqué dans l'application Sagace qu'il conclurait au " rejet au fond " de la demande sans préciser les raisons qui déterminent la solution qu'appelait, selon lui, le litige, cette omission n'entraîne pas l'irrégularité de la procédure. La société requérante n'est donc pas fondée à invoquer à ce titre une méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou des dispositions citées au point 6.

Sur le bien-fondé des jugements attaqués :

9. En premier lieu, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat, il appartient au juge de vérifier d'abord si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, il n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient, d'autre part, de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Dans un tel cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.

10. Si la société Luxmarina affirme que son offre disposait de chances sérieuses d'être retenue, elle se borne sur ce point, d'une part, à critiquer l'offre de la société SIFA, attributaire, laquelle a été jugée irrecevable par le tribunal et, d'autre part, à invoquer les mérites de sa propre offre. Elle ne soulève toutefois aucune contestation quant à la comparaison du mérite de son offre avec celle du dernier candidat en lice ou au classement de son offre s'agissant des différents critères et sous-critères. Il y a lieu, dès lors, par adoption des motifs à bon droit retenus par les premiers juges au point 19 du jugement attaqué, d'écarter le moyen tiré de ce que la société requérante aurait eu des chances sérieuses de voir son offre retenue.

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société Luxmarina s'est bornée à produire, devant le tribunal, d'une part, les contrats de travail de certains de ses salariés, d'autre part, un tableau financier présentant par poste les dépenses qu'elle soutient avoir engagées dans le cadre de l'appel d'offres litigieux, lequel impute forfaitairement 30 % des charges de personnel et du salaire du gérant au projet de La Seyne-sur-Mer et mentionne des coûts tels que des frais d'architecte ou de plongées de reconnaissance qui ne sont assortis d'aucune pièce justificative ou ne peuvent être rattachés à l'opération, enfin des factures représentatives, notamment, de frais de déplacement, d'hébergement, de communications, de reproduction de documents, et de sous-traitance de prestations diverses. Or, il résulte de l'instruction que la société Luxmarina avait prospecté d'autres sites portuaires et entendait présenter sa candidature dans le cadre de différents appels à projets concernant au moins huit ports et marinas répartis à l'échelle mondiale. Dès lors, et ainsi que l'ont estimé les premiers juges, le lien entre les dépenses dont elle fait état et la présentation de son offre à La Seyne-sur-Mer n'est pas établi par ces pièces. Elle n'est par suite pas fondée à contester le rejet de sa demande indemnitaire.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Luxmarina n'est pas fondée à demander l'annulation ou la réformation des jugements attaqués. Sa requête doit dès lors être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société Luxmarina sur leur fondement soit mise à la charge de la commune de La Seyne-sur-Mer, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu au contraire de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de la société Luxmarina, à verser à la commune de La Seyne-sur-Mer, en application des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Luxmarina est rejetée.

Article 2 : La société Luxmarina versera une somme de 2 000 euros à la commune de La Seyne-sur-Mer en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Luxmarina et à la commune de La Seyne-sur-Mer.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2019, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme Marie-Pierre Steinmetz-Schies, président assesseur,

- M. D... Grimaud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 28 janvier 2019.

2

N° 18MA01114


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA01114
Date de la décision : 28/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Formalités de publicité et de mise en concurrence.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : LEGAL CONSULTANT et PARTNERS SLP

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-01-28;18ma01114 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award