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24/01/2019 | FRANCE | N°17MA02130

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre - formation à 3, 24 janvier 2019, 17MA02130


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) JDP a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010 et 2011 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011.

Par un jugement n° 1400848 du 26 janvier 2017, le tribunal ad

ministratif de Bastia a fait droit à sa demande et l'a déchargée de ces compléments d'imp...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) JDP a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010 et 2011 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011.

Par un jugement n° 1400848 du 26 janvier 2017, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à sa demande et l'a déchargée de ces compléments d'imposition.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 24 mai 2017, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 26 janvier 2017 du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de remettre à la charge de l'EURL JDP les compléments d'impositions auxquelles elle demeure assujettie, pour un montant total de 1 007 492 euros.

Il soutient que :

- La société JDP n'a conservé aucune des données informatisées afférentes aux années 2010 et 2011, en méconnaissance des obligations fixés à l'article L. 102 B du livre des procédures fiscales et ne disposait d'aucun élément permettant d'effectuer le contrôle des recettes déclarées au titre de ces deux années, ce qui permet de caractériser une opposition à contrôle fiscal ;

- La situation d'opposition à contrôle fiscal autorisait l'administration à mettre en oeuvre la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures, même si le défaut de sauvegarde des données est antérieur à l'engagement de la vérification comptabilité ;

- L'élément intentionnel de l'opposition à contrôle est caractérisé par le fait que l'EURL JDP s'est sciemment abstenue de procéder à la sauvegarde de ses données, empêchant ainsi tout contrôle ultérieur ;

- Il se réfère, pour le surplus, à ses écritures de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2017, l'EURL JDP, représentée par Me A...C..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- Il n'y a pas opposition à contrôle fiscal au sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat, dès lors que les trois éléments cumulatifs qui la caractérisent, à savoir une action positive du contribuable, concomitante au contrôle, en vue de faire obstacle à celui-ci, ne sont pas réunis en l'espèce : elle n'a été ni négligente, et, a fortiori, n'a pas délibérément omis de conserver ses données informatisées ;

- L'administration ne démontre pas l'existence d'une abstention délibérée, laquelle, en tout état de cause, n'est pas équivalente à une action positive et a eu lieu antérieurement au contrôle ;

- L'amende sanctionnant une opposition à contrôle fiscal est une accusation à caractère pénal qui suppose un élément intentionnel et ne saurait résulter de la simple méconnaissance de l'obligation de conserver des données ;

- Les vérificateurs pouvaient reconstituer les recettes après avoir rejeté la comptabilité, ce qu'ils ont d'ailleurs fait, selon une méthode extracomptable ;

- Elle se réfère pour le surplus à ses écritures de première instance.

Le 20 décembre 2018, les parties ont été informées de ce que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'irrégularité du jugement contesté en ce que le tribunal administratif a omis de prononcer un non-lieu à statuer, à hauteur du dégrèvement de 27 294 euros en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011, prononcé par l'administration fiscale en cours d'instance, par décision du 13 mai 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Courbon,

- les conclusions de M. Ouillon, rapporteur public,

- les observations de Me A...C..., représentant l'EURL JDP,

- et les observations de M.D..., représentant le ministre de l'action et des comptes publics.

Considérant ce qui suit :

1. L'EURL JDP a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration lui a notifié, selon la procédure de l'évaluation d'office, des rehaussements de ses bases imposables à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée au titre des exercices clos en 2010 et 2011, assortis de pénalités. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel du jugement du 26 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Bastia a déchargé l'EURL JDP de ces compléments d'imposition.

Sur la régularité du jugement contesté :

2. Il résulte de l'instruction que par décision du 13 mai 2015, produite pour la première fois en appel, l'administration fiscale a prononcé le dégrèvement d'une somme totale de 27 294 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée assignée à l'EURL JDP au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011. Dans ces conditions, la demande de décharge présentée par l'EURL JDP était, dans cette mesure, devenue sans objet. Le jugement du tribunal administratif de Bastia en date du 26 janvier 2017, en tant qu'il a statué sur cette demande, doit, dès lors, être annulé.

Sur l'étendue du litige :

3. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer les conclusions de la demande de la société JDP devenues sans objet au cours de la procédure de première instance ainsi qu'il a été dit au point 2 ci-dessus et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur le surplus des conclusions à fin de décharge :

4. Aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. / Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements ". Aux termes de l'article L. 47 A du même livre : " I. - Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contribuable peut satisfaire à l'obligation de représentation des documents comptables mentionnés au premier alinéa de l'article 54 du code général des impôts en remettant, sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget, une copie des fichiers des écritures comptables définies aux articles 420-1 et suivants du plan comptable général. (...) / II. - En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : (...) ". Aux termes de l'article L. 74 de ce livre, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers. / Ces dispositions s'appliquent en cas d'opposition à la mise en oeuvre du contrôle dans les conditions prévues à l'article L. 47 A ". Ces dispositions permettent à l'administration d'évaluer d'office les bases d'imposition notamment lorsque les traitements informatiques nécessaires au contrôle de la comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés ont été rendus impossibles, en dépit des diligences normales entreprises par le vérificateur, du fait de la suppression délibérée d'une partie des données soumises à ce contrôle après que le contribuable ait été averti de son imminence.

5. Il résulte de l'instruction que dans le cadre de la vérification de comptabilité de l'EURL JDP, engagée par un avis de vérification du 4 avril 2013, les vérificateurs ont sollicité la production des pièces comptables informatisées de l'activité du magasin " SPAR ", du point chaud et de l'activité de grossiste, pour les exercices 2010, 2011 et 2012. M. B...E..., associé et gérant de la société a répondu, s'agissant de l'activité de grossiste, que le logiciel de gestion commerciale de marque SAGE, permettant d'enregistrer les ventes de cette activité, avait été touché par une panne en mars 2012, dont le caractère irréversible n'a pas été contesté par les vérificateurs et qu'il n'avait pas sauvegardé les données relatives aux exercices 2010 et 2011. S'agissant de l'activité de la supérette SPAR, il résulte de l'instruction que le système informatisé et centralisé des caisses enregistreuses du magasin, géré par l'enseigne Casino, franchiseur, a été changé au cours du mois de mars 2012, sans que la SARL JDP ne conserve de sauvegarde des données relatives à ces deux exercices et sans qu'elle puisse obtenir, en dépit de ses demandes, une copie des fichiers, le disque dur ayant, selon les informations communiquées par le franchiseur, été formaté. S'il est constant que l'absence de conservation des données a empêché les vérificateurs de mettre en oeuvre les traitements informatiques qui auraient pu être réalisés sur le fondement de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et qu'en ne prenant pas les mesures nécessaires à la conservation des fichiers informatiques, l'EURL JDP a méconnu l'obligation posée à l'article 102 B du même livre, l'administration n'établit pas, ni même n'allègue, que cette société aurait délibérément détruit ces données après avoir été informée de l'imminence du contrôle la concernant. Dans ces conditions, la négligence de la société requérante, si elle est de nature à caractériser un défaut de tenue de comptabilité ou la présentation d'une comptabilité incomplète, permettant de l'écarter et de procéder à une reconstitution de recettes, ne peut être regardée comme caractérisant une opposition à contrôle fiscal justifiant la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales. Imposée selon la procédure de l'évaluation d'office, l'EURL JDP a été privée des garanties afférentes à la procédure de rectification contradictoire, notamment de la faculté de soumettre le litige à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. L'EURL JDP est, par suite, fondée soutenir qu'elle a été privée effectivement d'une garantie à raison de l'irrégularité commise par l'administration fiscale en mettant en oeuvre la procédure d'évaluation d'office prévue par l'article L. 74 du livre des procédures fiscales.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia, par le jugement attaqué, a déchargé l'EURL JDP, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010 et 2011 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'EURL JDP et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Bastia est annulé en tant qu'il a statué sur la somme de 27 294 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à la période du 1er janvier au 31 décembre 2011.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de première instance de l'EURL JDP à hauteur de la somme de 27 294 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée afférente à la période du 1er janvier au 31 décembre 2011.

Article 3 : La requête d'appel du ministre de l'action et des comptes publics est rejetée.

Article 4 : L'État versera à l'EURL JDP la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à l'EURL JDP.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre Mer.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2019, où siégeaient :

- Mme Mosser, présidente,

- M. Haïli, premier conseiller,

- Mme Courbon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 janvier 2019.

Le rapporteur,

A. COURBONLa présidente,

G. MOSSER

La greffière,

C. CASTELLANI

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA02130
Date de la décision : 24/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-01-02-03 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Contrôle fiscal. Vérification de comptabilité. Garanties accordées au contribuable.


Composition du Tribunal
Président : Mme MOSSER
Rapporteur ?: Mme Audrey COURBON
Rapporteur public ?: M. OUILLON
Avocat(s) : DI CESARE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-01-24;17ma02130 ?
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