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10/01/2019 | FRANCE | N°18MA00716

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 10 janvier 2019, 18MA00716


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 1er avril 2015 par laquelle l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a rejeté sa demande d'indemnisation, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale et de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 35 000 euros à titre de provision à valoir sur les préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par une ordonnance n° 170

0787 du 2 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 1er avril 2015 par laquelle l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a rejeté sa demande d'indemnisation, d'ordonner avant dire droit une expertise médicale et de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 35 000 euros à titre de provision à valoir sur les préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par une ordonnance n° 1700787 du 2 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 16 février 2018, Mme B..., représentée par la SELARL J.C.V.B.R.L., demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 2 février 2018 ;

2°) d'ordonner avant dire droit une expertise médicale ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement d'une provision de 35 000 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le premier juge s'est mépris sur la nature de la demande ;

- sa demande de première instance est recevable en l'absence de mention des délais et voies de recours lors de la notification du refus du 1er avril 2015 qui ne constitue pas une décision confirmative ;

- l'office ne peut lui opposer l'autorité de la chose jugée en l'absence d'identité de parties et de cause juridique ;

- l'office ne lui a pas permis de faire valoir ses droits en application des dispositions de l'article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;

- sa créance n'est pas prescrite ;

- l'origine transfusionnelle de sa contamination par le VHC doit être présumée ;

- une expertise est utile pour évaluer les préjudices définitifs ;

- l'évaluation des préjudices temporaires ne sera pas inférieure à la somme de 35 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2018, l'ONIAM, représenté par la SELARL de la Grange et Fitoussi avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que lui soit versée la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande devant le tribunal administratif est tardive, la décision du 1er avril 2015 étant confirmative de celle du 11 avril 2012 ;

- l'autorité de la chose jugée par la Cour le 5 mai 2014 fait obstacle à ce que la requérante puisse présenter une nouvelle demande ayant le même objet et fondée sur la même cause juridique ;

- il y a identité de parties ;

- il n'a pas empêché la requérante de faire valoir ses droits.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Var qui n'a pas produit de mémoire.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité de l'ordonnance attaquée dès lors qu'il n'appartenait qu'à une formation collégiale de statuer sur la demande présentée devant le tribunal administratif.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vanhullebus, président,

- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

1. La demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Toulon tendait, d'une part, à ce que soit ordonnée une expertise médicale pour évaluer les préjudices consécutifs à une contamination par le virus de l'hépatite C (VHC) et, d'autre part, à ce que le versement d'une provision de 35 000 euros soit mis à la charge de l'ONIAM dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise. Cette demande, introduite sous la forme d'une " requête de plein contentieux ", n'était pas adressée au juge des référés et n'était pas présentée sur le fondement des dispositions des articles R. 532-1 et R. 541-1 du code de justice administrative. Il résulte des dispositions des articles R. 222-13 et R. 222-14 du même code qu'il n'appartenait qu'au tribunal administratif, statuant en formation collégiale, de connaître de la demande de Mme B.... Par suite, l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité et doit être annulée.

2. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Toulon.

Sur la fin de non-recevoir opposée par l'ONIAM :

3. A la suite du dépôt, le 3 juillet 2009, du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, Mme B..., dont le diagnostic d'une contamination par le VHC avait été posé au cours du mois de juin 2008, a adressé le 28 juillet 2009 une demande d'indemnisation à l'Etablissement français du sang (EFS) qui l'a rejetée par une décision du 31 août 2009. Une deuxième réclamation, adressée le 10 novembre 2009, a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Mme B... a alors demandé au tribunal administratif la condamnation de l'EFS à lui verser une indemnité provisionnelle en réparation des préjudices subis. Cette demande a été rejetée pour tardiveté par une ordonnance du 29 avril 2010. La Cour a, par un arrêt du 5 mai 2014, rejeté l'appel formé par Mme B... à l'encontre du jugement du 16 décembre 2011 ayant refusé de faire droit à sa deuxième demande de condamnation de l'EFS au versement d'une provision. Substitué à l'EFS par l'article L. 1221-14 du code de la santé publique, l'ONIAM, a rejeté, le 1er avril 2015, une réclamation indemnitaire de l'intéressée. Celle-ci ayant présenté une nouvelle demande de provision, enregistrée le 14 mars 2017 au greffe du tribunal administratif de Toulon, l'office lui oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté en faisant valoir que sa décision du 1er avril 2015 est purement confirmative de celle du 31 août 2009 ayant rejeté sa première réclamation.

4. Il résulte de l'instruction que Mme B... a fait l'objet le 2 août 2014, soit antérieurement à la décision de l'ONIAM du 1er avril 2015, d'une transplantation hépatique. Ainsi, en demandant une provision à valoir sur l'indemnisation des préjudices imputables à la contamination qu'elle estime être d'origine transfusionnelle, la requérante doit être regardée comme demandant notamment la réparation des préjudices qu'elle subit depuis le 2 août 2014 et tout particulièrement du déficit fonctionnel permanent qu'elle est susceptible de présenter. Dès lors, compte tenu, d'une part, du changement survenu dans les circonstances de fait depuis la décision du 31 août 2009 par laquelle l'EFS a rejeté la première réclamation de Mme B... et, d'autre part, de ce que celle-ci demande l'indemnisation de préjudices résultant de l'évolution de son état de santé, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que sa décision du 1er avril 2015 serait purement confirmative de celle du 31 août 2009.

5. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

6. La notification de la décision du 1er avril 2015 n'est pas accompagnée de l'indication des délais et voies de recours. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par l'ONIAM doit être écartée.

Sur l'exception d'autorité de chose jugée :

7. A la date de son arrêt du 5 mai 2014, la Cour n'a pu rejeter la demande de la requérante tendant au versement par l'ONIAM d'une indemnité, qu'en ce qui concerne les préjudices subis avant cette date. L'office n'est, par suite, fondé à opposer l'autorité de chose jugée à la nouvelle demande d'indemnité, qui est fondée sur la même cause juridique, qu'en tant que cette demande porte sur les préjudices subis au titre de la période antérieure à l'arrêt.

Sur l'origine de la contamination :

8. Aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ".

9. La présomption prévue par les dispositions citées au point précédent est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance. Tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits. Eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite en ce cas au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions.

10. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ".

11. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon que Mme B..., qui a fait l'objet d'une transfusion sanguine le 17 avril 1982, n'a pas été exposée par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque. Toutefois, l'état du dossier ne permet pas à la Cour, notamment en l'absence d'enquête transfusionnelle, d'apprécier l'imputabilité de la transfusion ainsi que les préjudices subis par la requérante depuis le 5 mai 2014. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur la requête de Mme B..., d'ordonner une expertise sur ces points.

Sur la demande de provision :

12. En l'absence de toute précision sur la nature et l'importance des préjudices subis par Mme B... depuis le 5 mai 2014, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de l'intéressée tendant à ce que le versement d'une provision soit mis à la charge de l'office.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance du 2 février 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon est annulée.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de Mme B..., procédé par un expert, désigné par la présidente de la Cour, à une expertise avec mission de :

1°) examiner Mme B... et prendre connaissance de son entier dossier médical et de l'histoire médicale de l'intéressée ;

2°) donner son avis sur les causes de la contamination de Mme B... par le virus de l'hépatite C, décrire l'ensemble des préjudices, subis depuis le 5 mai 2014, pouvant être regardés comme directement et exclusivement imputables à une contamination par le VHC et aux traitements antiviraux suivis, ainsi qu'à la transplantation hépatique ;

3°) dire si l'état de santé de Mme B... en lien avec une contamination par le virus de l'hépatite C et avec la transplantation hépatique a entraîné depuis le 5 mai 2014 un déficit fonctionnel temporaire et en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;

4°) préciser si l'état de santé de Mme B... en lien avec une contamination par le virus de l'hépatite C et avec la transplantation hépatique a justifié depuis le 5 mai 2014 une assistance par une tierce personne et de préciser les dates de début et de fin de cette aide ainsi que sa nature et son importance en nombre d'heures par semaine ou par jour ;

5°) indiquer à quelle date l'état de santé de Mme B... peut être considéré comme consolidé ; préciser s'il subsiste une incapacité permanente partielle et, dans l'affirmative, en fixer le taux ;

6°) dire si l'état de Mme B... en lien avec le virus de l'hépatite C et avec la transplantation hépatique est susceptible de modification en amélioration ou en aggravation ; dans l'affirmative, fournir toutes les précisions utiles sur cette évolution, sur son degré de probabilité et dans le cas où un nouvel examen serait nécessaire, en mentionner le délai ;

7°) dire si l'état de santé de Mme B... en lien avec une contamination par le virus de l'hépatite C et avec la transplantation hépatique a entraîné des répercussions sur la vie professionnelle de l'intéressée ;

8°) donner tous éléments utiles permettant d'évaluer les autres postes de préjudices subis depuis le 5 mai 2014 en lien avec une contamination de Mme B... par le virus de l'hépatite C et avec la transplantation hépatique tels que les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel.

Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant.

Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 5 : Les conclusions de la requête de Mme B... tendant à l'octroi d'une provision sont rejetées.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Var et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 20 décembre 2018, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président de chambre,

- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,

- Mme C....

Lu en audience publique, le 10 janvier 2019.

2

N° 18MA00716


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA00716
Date de la décision : 10/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Procédure - Introduction de l'instance - Délais - Réouverture des délais - Absence - Décision confirmative.

Procédure - Jugements - Composition de la juridiction.

Procédure - Pouvoirs et devoirs du juge - Questions générales - Conclusions - Interprétation de la requête.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Dons du sang.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: M. Thierry VANHULLEBUS
Rapporteur public ?: M. ARGOUD
Avocat(s) : JCVBRL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-01-10;18ma00716 ?
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