Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...D...et Mme A...D..., en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal de ses deux enfants, Thomas et Madeline Bastide, ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner le centre hospitalier d'Hyères à leur verser la somme de 119 297,05 euros en réparation des préjudices résultant du décès de François D...le 30 avril 2007.
Par un jugement n° 1400910 du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Toulon a condamné le centre hospitalier d'Hyères à verser :
1°) à la succession de M. B...D...la somme de 1 988 euros ;
2°) à Mme C...et Mme A... D...la somme de 5 926 euros au titre des préjudices patrimoniaux ;
3°) à Mme C...D...la somme de 19 000 euros au titre du préjudice moral ;
4°) à Mme A...D...la somme de 6 650 euros au titre du préjudice moral ;
5°) à Mme A...D..., en qualité de représentante légale de ses enfants, la somme de 7 600 euros au titre du préjudice moral.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 août 2016, Mme C...D...et Mme A... D...agissant en son nom et en sa qualité de représentante légale de ses enfants Thomas et Madeline Bastide, représentées par la SELARL Cabello et associés, demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement du 30 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulon a limité aux sommes de 1 988 euros, 5 926 euros, 19 000 euros, 6 650 euros et 7 600 euros les indemnités au versement desquelles il a condamné le centre hospitalier d'Hyères en réparation des préjudices subis ;
2°) de porter aux sommes de 3 593 euros, 122 623,96 euros, 20 000 euros et 12 000 euros le montant des indemnités dues respectivement à la succession de M. D..., à Mme C...D..., à Mme A...D...et à Mme A...D..., agissant au nom de ses enfants ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Hyères la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la responsabilité du centre hospitalier d'Hyères est engagée du fait du retard de diagnostic de l'anévrisme de l'aorte abdominale ;
- les préjudices doivent être intégralement réparés ;
- les sommes allouées ont été sous-évaluées.
Par un mémoire, enregistré le 19 septembre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie du Var déclare n'avoir aucune observation à formuler.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2018, le centre hospitalier d'Hyères, représenté par la SELARL Abeille et associés, demande à la cour de :
1°) rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- d'annuler le jugement du 30 juin 2016 du tribunal administratif de Toulon ;
- de rejeter la demande présentée par les consorts D...devant le tribunal administratif de Toulon ;
3°) de mettre à la charge des consorts D...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable en l'absence de moyen d'appel ;
- la faute de l'établissement de soins n'est pas exclusive de celle du médecin traitant du patient ;
- le taux d'imputabilité de la faute du centre hospitalier doit être fixé à 80 % ;
- les sommes allouées doivent être ramenées à de plus justes proportions.
Par un mémoire, enregistré le 7 février 2018, Mme C... D...et Mme A... D...agissant en son nom et en sa qualité de représentante légale de ses enfants Thomas et Madeline Bastide, représentées par la SELARL Cabello et associés, concluent aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens.
Elles soutiennent, en outre, que la requête est suffisamment motivée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de Me E...représentant le centre hospitalier d'Hyères.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., alors âgé de cinquante-quatre ans, présentant des lombalgies chroniques, a passé un examen d'imagerie par résonnance magnétique réalisé au centre hospitalier d'Hyères le 15 février 2007. Il a ensuite été hospitalisé au sein du même établissement du 23 au 25 avril 2007, pour une affection ophtalmologique, qui a été traitée par des corticoïdes. A cette occasion, M. D...a passé un nouvel examen d'imagerie le 24 avril 2007 qui a mis en évidence un anévrisme de l'aorte abdominale partiellement thrombosé. Le même jour, M. D...a consulté le remplaçant de son médecin traitant qui a sollicité l'avis d'un chirurgien vasculaire. Celui-ci a donné un rendez-vous à M. D... le 4 mai 2007. L'état de santé de M. D...s'étant détérioré, une intervention a été réalisée le 30 avril 2007 en urgence au centre hospitalier intercommunal de Toulon-La-Seyne-sur-Mer, au cours de laquelle le patient est décédé. Les consorts D...font appel du jugement du tribunal administratif de Toulon en date du 30 juin 2016 afin d'obtenir une meilleure indemnisation des préjudices subis. Le centre hospitalier d'Hyères conclut, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de ce jugement.
I. Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier d'Hyères :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".
3. La requête d'appel des consorts D...ne se borne pas à reproduire purement et simplement la demande présentée devant le tribunal administratif mais comporte une critique du jugement de première instance et expose à nouveau de manière précise les conclusions et les moyens présentés à l'appui de sa demande. La fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier d'Hyères doit être écartée.
II. Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier d'Hyères :
4. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par des ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 21 juin 2010 et du 7 novembre 2011 que le diagnostic de l'anévrisme de l'aorte abdominale posé le 24 avril 2007 au centre hospitalier d'Hyères aurait dû l'être dès le 15 février 2007 lors du premier examen d'imagerie par résonnance magnétique réalisé au sein de l'établissement. Cet anévrisme aurait dû faire l'objet d'un avis d'un chirurgien vasculaire, qui n'a pas été sollicité par l'hôpital. Le diagnostic d'anévrisme constituait une contre-indication à la poursuite du traitement de M. D... par des corticoïdes, dont l'administration était par ailleurs sérieusement contre indiquée en présence d'une hypertension artérielle. Cette succession de fautes, dont la réalité n'est pas contestée en appel, est entièrement à l'origine du retard de la prise en charge chirurgicale de l'anévrisme avant sa rupture. Le rapport des médecins-conseil produit par l'établissement de soins qui n'est pas documenté ni précis et circonstancié n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions du rapport d'expertise.
En ce qui concerne la perte de chance :
6. Le centre hospitalier d'Hyères et les victimes ne contestent pas le taux de perte de chance de M. D...d'échapper au risque qui s'est réalisé, qui a été fixé à 95 % par les premiers juges.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
S'agissant des préjudices propres de M. B...D... :
7. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers.
8. Les premiers juges n'ont pas fait une estimation insuffisante du déficit fonctionnel temporaire total de 4 jours et des souffrances physiques endurées fixées à 2 sur une échelle de 1 à 7 en allouant aux ayants droit de FrançoisD..., après application du taux de perte de chance, la somme globale de 1 900 euros.
S'agissant des victimes indirectes :
Quant aux préjudices patrimoniaux :
9. Le préjudice économique subi, du fait du décès d'un patient, par les ayants droit appartenant au foyer de celui-ci, est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à l'entretien de chacun d'eux, en tenant compte, d'une part et si la demande en est faite, de l'évolution générale des salaires et de leurs augmentations liées à l'ancienneté et aux chances de promotion de la victime jusqu'à l'âge auquel elle aurait été admise à la retraite puis, le cas échéant, du montant attendu des revenus issus de la pension de retraite, d'autre part, du montant, évalué à la date du décès, de leurs propres revenus éventuels, à moins que l'exercice de l'activité professionnelle dont ils proviennent ne soit la conséquence de cet événement, et, enfin, des prestations à caractère indemnitaire susceptibles d'avoir été perçues par les membres survivants du foyer en compensation du préjudice économique qu'ils subissent.
10. Le foyer de FrançoisD..., âgé de cinquante-quatre ans à la date de son décès, le 30 avril 2007, et qui était comptable, comprenait également son épouse, employée dans la restauration.
11. Il résulte de l'avis d'impôt sur le revenu versé au dossier que les revenus du foyer au cours de l'année précédant le décès étaient composés des salaires de M. D...et de son épouse pour les montants respectifs de 8 840 euros et de 14 772 euros, soit la somme totale de 23 612 euros. Il convient de déduire de ce revenu de référence du foyer, 30 % correspondant à la part des dépenses personnelles de FrançoisD..., soit la somme de 7 083,60 euros. Le revenu théorique du membre survivant du foyer s'élevait ainsi à 16 528,40 euros dont il convient de déduire la pension de réversion que perçoit Mme D... soit 3 250 euros. La perte annuelle patrimoniale du conjoint survivant est ainsi égale à 13 278,40 euros. Il suit de là qu'il y a lieu d'évaluer à la somme de 154 024,64 euros le préjudice économique subi par le foyer au cours de la période allant de la date du décès à celle de l'arrêt de la Cour, dont il convient de déduire le capital décès perçu par la veuve, d'un montant de 3 010,50 euros, soit la somme de 151 014,14 euros. Compte tenu du taux de perte de chance, le préjudice économique de Mme D...doit être fixé à la somme de 143 463 euros.
12. La cour a demandé aux consorts D...de produire tous éléments relatifs au montant de la pension de retraite que François D...aurait perçue à la date à laquelle il était susceptible de bénéficier d'une pension à taux plein. Toutefois, les intéressés ne justifient pas, par les documents qu'ils produisent, la réalité du préjudice économique subi par la veuve du fait de la perte de retraite de son conjoint décédé. Mme D...n'est par suite pas fondée à solliciter une indemnité à ce titre.
13. Les requérantes justifient avoir exposé la somme de 500 euros en frais d'assistance par un médecin conseil dont l'intervention a été utile à la solution du litige. Par suite, il y a lieu de leur accorder intégralement cette somme.
14. Les indemnités d'un montant de 5 737,91 euros allouées par le tribunal administratif au titre des frais d'obsèques ne sont pas discutées en appel.
15. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi du fait de la prise d'une concession funéraire pour une durée de dix ans en allouant à ce titre la somme de 436 euros sans qu'il y ait lieu de faire application du taux de perte de chance.
Quant aux préjudices personnels :
16. Le tribunal administratif a fait une insuffisante appréciation du préjudice moral enduré par Mme C...D..., Mme A...D...et par les jeunes Thomas et Madeline Bastide du fait du décès de leur époux, père et grand-père, en leur allouant à chacun respectivement, et compte tenu du taux de perte de chance retenu, les sommes de 19 000 euros, 6 650 euros et 3 800 euros. Il y a lieu de porter ces sommes à 23 750, 9 500 et 4 750 euros.
17. Il résulte de tout ce qui précède que l'ensemble du préjudice subi par Mme C... D...s'élève à la somme de 167 213 euros. Toutefois, compte tenu du montant de l'indemnité sollicité dans ses conclusions, elle est seulement fondée à demander que la somme de 19 000 euros qui lui a été allouée soit portée à 122 623,96 euros, sous déduction de la provision de 50 000 euros accordée par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 16 avril 2010. D'autre part, Mme C...et Mme A... D...sont fondées à demander que la somme de 5 926 euros que le centre hospitalier de Hyères a été condamné à leur verser soit portée à 6 674 euros. Enfin, Mme A... D...est fondée à demander que les sommes que l'établissement de soins a été condamné à lui payer à titre personnel pour un montant de 6 650 euros et en tant que représentante légale de ses deux enfants mineurs pour un montant de chacun 3 800 euros, soient portées respectivement à 9 500 et à 4 750 euros chacun, sous déduction des provisions de 4 500 et 1 000 euros accordées respectivement par l'arrêt de la cour du 14 octobre 2010 à Mme A... D...et par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 16 avril 2010 à chacun de ses enfants.
18. Le centre hospitalier d'Hyères n'est en revanche pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon l'a condamné à verser les sommes de 1 988 euros, 5 926 euros, 19 000 euros, 6 650 euros et 7 600 euros respectivement à la succession de FrançoisD..., à Mmes C...et A...D..., à Mme C...D..., à Mme A...D...et à Mme A...D..., en qualité de représentante légale de ses enfants.
III. Sur les frais liés à l'instance :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code justice administrative font obstacle à ce que MmesD..., qui n'ont pas la qualité de partie perdante à la présente instance, versent sur leur fondement une quelconque somme au centre hospitalier d'Hyères. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Hyères le versement à Mmes C...et A...D...de la somme de 2 000 euros.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 5 926 euros que le centre hospitalier d'Hyères a été condamné à verser par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2016 à Mmes C... et A...D...est portée à 6 674 euros.
Article 2 : La somme de 19 000 euros que le centre hospitalier d'Hyères a été condamné à verser par l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2016 à Mme C... D...est portée à 122 623,96 euros, sous déduction de la provision de 50 000 euros accordée par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 16 avril 2010.
Article 3 : La somme de 6 650 euros que le centre hospitalier d'Hyères a été condamné à verser par l'article 4 du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2016 à Mme A... D...est portée à 9 500 euros, sous déduction de la provision de 4 500 euros accordée par l'arrêt de la cour du 14 octobre 2010.
Article 4 : La somme de 7 600 euros que le centre hospitalier d'Hyères a été condamné à verser par l'article 5 du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2016 à Mme A...D..., en qualité de représentante légale de ses enfants est portée à 9 500 euros, sous déduction de la provision de 1 000 euros accordée au nom de chacun des enfants par l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 16 avril 2010.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 7 : Le centre hospitalier d'Hyères versera à Mmes C...et A...D...la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Les conclusions du centre hospitalier d'Hyères présentées par la voie de l'appel incident et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...D..., à Mme A...D..., au centre hospitalier d'Hyères et à la caisse primaire d'assurance maladie du Var.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018 où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- M. Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,
- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2018.
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N° 16MA03470
kp