Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune d'Ajaccio à lui verser une somme de 105 000 euros en réparation des préjudices résultant, notamment, du harcèlement moral qu'elle a subi de la part de son employeur.
Par un jugement n° 1500346 du 1er décembre 2016, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 24 janvier 2017 et le 6 décembre 2017, MmeC..., représentée par MeD..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 1er décembre 2016 ;
2°) de condamner la commune d'Ajaccio à lui verser une somme de 105 000 euros en réparation des préjudices résultant, notamment, du harcèlement moral qu'elle a subi avec intérêts à compter du 22 décembre 2014 et capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Ajaccio la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- la responsabilité pour faute de la commune d'Ajaccio est engagée à raison des agissements constitutifs de harcèlement moral dont elle a fait l'objet ;
- ces agissements constituent à tout le moins des fautes de nature à engager la responsabilité de la commune ;
- son préjudice de carrière, son préjudice moral et résultant des troubles subis dans ses conditions d'existence et le préjudice résultant de l'atteinte à sa réputation professionnelle doivent être réparés à hauteur respectivement de 25 000 euros, 70 000 euros et 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2017, la commune d'Ajaccio, représentée par la SELARL Parme avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 soit mise à la charge de Mme C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par Mme C...ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 9 mai 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 juin 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 2006-1690 du 22 décembre 2006 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. d'Izarn de Villefort,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de MeE..., substituant MeB..., représentant la commune d'Ajaccio.
Considérant ce qui suit :
1. MmeC..., adjointe administrative territoriale de 2ème classe de la commune d'Ajaccio relève appel du jugement du 1er décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune d'Ajaccio à lui verser une somme de 105 000 euros en réparation des préjudices résultant, notamment, du harcèlement moral qu'elle a subi de la part de son employeur.
Sur l'existence d'un harcèlement moral :
2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
3. Il ressort des pièces du dossier que MmeC..., affectée jusqu'alors sur des postes de secrétaire au sein de différents services, a été mutée en février 2005 au service des horodateurs. En raison selon elle des difficultés relationnelles rencontrées avec le responsable de ce service, de menaces reçues au téléphone et du mécontentement manifesté par des contrevenants, elle a demandé une nouvelle affectation. Affectée en avril 2005 à la direction de la culture, elle a été chargée principalement du remplacement, aux heures de repas et en période de congés, de l'agent titulaire du poste du standard et de l'accueil, ainsi que, à partir du mois de novembre 2005 du secrétariat de l'adjointe au maire chargée de la culture et du patrimoine, ne disposant d'un ordinateur qu'à compter de novembre 2006. Ainsi que les représentants de l'administration en ont convenu au cours des opérations d'expertise organisées en mars 2011 portant sur les conditions de travail de MmeC..., aucune tâche ne lui a été confiée de 2008 à 2011, en dépit de différentes démarches effectuées par l'intéressée auprès du maire visant à faire cesser cette situation. MmeC..., qui a présenté ultérieurement un état dépressif majeur, a été placée en arrêt de maladie à compter du 21 novembre 2011 et en congé de longue maladie à compter du 28 novembre 2013. Ces éléments de fait sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral, même si ne sont pas établies les calomnies, fausses rumeurs, la mise en cause de ses compétences et de son comportement relationnel, l'existence d'un rapport contenant des appréciations défavorables et la disparition de ses fiches de notation alléguées.
4. Ces faits ne peuvent cependant être appréciés sans tenir compte du comportement de l'intéressée et de l'intérêt du service. La commune d'Ajaccio fait valoir que Mme C...n'a été affectée à la direction de la culture qu'à la suite d'une demande de sa part et que celle-ci n'a par la suite cessé d'assurer ses fonctions qu'en raison de dissensions apparues avec l'agent chargé de l'accueil qu'elle secondait et de son refus de continuer à assurer le secrétariat de l'adjointe au maire chargée de la culture et du patrimoine et d'occuper tout poste à la direction de la culture. La commune ajoute que la requérante ne pouvait en 2006 être affectée à temps complet à des fonctions d'accueil dès lors que l'agent occupant ce poste ne pouvait en être évincé, que sa demande de formation aux fonctions de documentaliste présentée en 2008 ne correspondait pas à ses compétences, qu'elle a refusé de prendre en considération en 2008 sa fiche de poste portant sur des fonctions de secrétariat de la direction adjointe de la culture et d'accueil et de standard en qualité de remplaçante, qu'elle a refusé en 2010 d'être affectée au musée Fesch, que son placement en congé de maladie est intervenu en 2011 alors que son affectation au service de la documentation était envisagé et qu'à l'expiration de ce congé, elle a été affectée sur un poste d'agent d'accueil à compter du 14 janvier 2014. Même si la réalité de la proposition de poste formulée en 2010 n'est pas établie, eu égard au propre comportement de MmeC..., les faits allégués par celle-ci ne peuvent être regardés comme caractérisant un harcèlement moral.
Sur les autres fautes alléguées :
5. Sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade. Il résulte des éléments de fait énoncés aux points 3 et 4 que si les attributions dévolues à Mme C...depuis son affectation à la direction de la culture en avril 2005 étaient de celles énoncées à l'article 3 du décret du 22 décembre 2006 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints administratifs territoriaux, leur consistance ne permettait pas d'occuper suffisamment un agent travaillant à temps plein. Alors même que la requérante a refusé d'exécuter tout ou partie de ces tâches au cours de la période litigieuse, la commune d'Ajaccio, qui s'est abstenue tout à la fois d'engager une procédure disciplinaire et de l'affecter d'office à un autre poste, a méconnu cette règle. Cette illégalité ayant constitué une faute de nature à engager la responsabilité de la commune d'Ajaccio, Mme C...est en droit d'obtenir réparation du préjudice direct et certain qui a pu en résulter pour elle.
Sur la réparation :
6. Le préjudice de carrière et le préjudice résultant de l'atteinte à sa réputation professionnelle dont Mme C...se prévaut ne sont pas établis. Aucune indemnité ne peut donc lui être allouée à ce titre. En revanche, la faute commise par la commune d'Ajaccio a été la cause directe et certaine d'un préjudice moral et de troubles dans ses conditions d'existence qui doivent être réparés à hauteur d'une somme globale de 5 000 euros.
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
7. Mme C...a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 5 000 euros à compter du 22 décembre 2014, date de réception de sa demande par la commune d'Ajaccio. La capitalisation des intérêts ayant été demandée le 16 avril 2015, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 22 décembre 2015, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Sur les frais d'expertise :
9. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. ".
10. Dans les circonstances de l'espèce, les frais de l'expertise ordonnée en référé par le président du tribunal administratif de Bastia doivent être mis à la charge définitive de la commune d'Ajaccio.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeC..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune d'Ajaccio demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d'Ajaccio la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme C... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 1er décembre 2016 est annulé.
Article 2 : La commune d'Ajaccio est condamnée à verser à Mme C...la somme de 5 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2014. Les intérêts échus à la date du 22 décembre 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée en référé par le président du tribunal administratif de Bastia sont mis à la charge définitive de la commune d'Ajaccio.
Article 4 : La commune d'Ajaccio versera à Mme C...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C...et les conclusions de la commune d'Ajaccio présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et à la commune d'Ajaccio.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2018, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Jorda, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 décembre 2018.
N° 17MA00351 2