Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...D...et Mme A...D...ont demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 20 mars 2015 par lequel le maire de la commune de l'Ile Rousse a refusé de leur délivrer un permis de construire un immeuble collectif de trente-neuf logements, pour une surface plancher de 2 538 m², à l'Ile Rousse.
Par un jugement n° 1500421 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté.
Procédure devant la Cour :
Par un recours et deux mémoires, enregistrés les 15 juin 2017, 12 avril 2018 et 4 juin 2018, sous le n° 17MA02469, le ministre de la cohésion des territoires demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 avril 2017 ;
2°) de rejeter la demande de M. et MmeD.l'exception
Il soutient que :
- son recours est recevable ;
- il n'est pas tardif ;
- il a été signé par une personne compétente ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- le tribunal a retenu à tort l'exception d'illégalité de l'avis défavorable du préfet de la Haute-Corse ;
- le projet en litige ne s'inscrit pas en continuité d'un centre urbain existant au sens des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 16 août 2017 et 13 juin 2018, M. et Mme D..., représentés par Me F..., concluent au rejet de la requête et demandent à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la requête est irrecevable ;
- les moyens soulevés par le ministre de la cohésion des territoires ne sont pas fondés.
Le mémoire présenté par M. et MmeD..., enregistré le 7 mai 2018, n'a pas été communiqué.
Le recours a été communiqué à la commune de l'Ile Rousse qui n'a pas produit de mémoire.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité du recours du ministre de la cohésion des territoires dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 avril 2017 qui n'avait pas la qualité de partie à l'instance alors même que le préfet de la Haute-Corse a été appelé par les premiers juges à produire des observations sur la demande de M. et MmeD.l'exception
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,
- et les observations de Me F...représentant M. et MmeD.l'exception
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de la cohésion des territoires relève appel du jugement du 13 avril 2017 du tribunal administratif de Bastia qui a annulé l'arrêté du 20 mars 2015 par lequel le maire de la commune de l'Ile Rousse a refusé de délivrer à M. et MmeD..., suite à l'avis conforme du préfet de la Haute-Corse exigé par les dispositions des articles L. 422-5 et L. 422-6 du code de l'urbanisme, un permis de construire un immeuble collectif de trente-neuf logements, pour une surface plancher de 2 538 m², à l'Ile Rousse.
Sur la recevabilité du recours du ministre de la cohésion des territoires :
2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. (...) ".
3. Le tribunal administratif, après avoir communiqué l'ensemble de la procédure au préfet de la Haute-Corse lequel a produit des observations, a annulé, par le jugement attaqué, l'arrêté contesté par lequel le maire de la commune de l'Ile Rousse a refusé au nom de la commune de délivrer à M. et Mme D...un permis de construire un immeuble collectif de trente-neuf logements, conformément à l'avis défavorable du préfet du 6 février 2015. Les premiers juges ont estimé, contrairement à cet avis, que les terrains afférents au permis en litige se trouvaient en continuité du centre-ville de l'Ile Rousse et que l'opération de construction envisagée devait être regardée comme une extension limitée de l'urbanisation, au sens des dispositions du I et du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme. Eu égard à la nature des compétences conférées au représentant de l'Etat par les dispositions des articles L. 422-5 et L. 422-6 du code de l'urbanisme, le ministre de la cohésion des territoires avait qualité pour relever appel du jugement du 13 avril 2017.
Sur les fins de non-recevoir opposées par M. et Mme D...:
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que le jugement attaqué a été mis à disposition du préfet de la Haute-Corse le 14 avril 2017 qui l'a réceptionné le 18 avril suivant. Par suite, l'appel du ministre de la cohésion des territoires enregistré au greffe de la Cour le 15 juin suivant n'était pas tardif, contrairement à ce que soutiennent M. et MmeD.l'exception
5. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) / 2° Les (...) sous-directeurs, (...) ".
6. La requête d'appel est signée par M. C...E..., sous-directeur des affaires juridiques de l'environnement, de l'urbanisme et de l'habitat, nommé dans ces fonctions par arrêté du 4 juillet 2016. Ainsi, en vertu des dispositions de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 mentionnées au point 5, M. E...avait de ce fait qualité pour signer, au nom du ministre de la cohésion des territoires, le recours. Il s'en suit que ce moyen manque en fait et doit, dès lors, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
7. Aux termes de l'article L. 422-5 du code de l'urbanisme dans sa version applicable à la date de l'arrêt contesté : " Lorsque le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale est compétent, il recueille l'avis conforme du préfet si le projet est situé : / a) Sur une partie du territoire communal non couverte par une carte communale, un plan local d'urbanisme ou un document d'urbanisme en tenant lieu (...) ". L'article L. 422-6 du même code alors en vigueur dispose que : " En cas d'annulation par voie juridictionnelle ou d'abrogation d'une carte communale, d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu, ou de constatation de leur illégalité par la juridiction administrative ou l'autorité compétente et lorsque cette décision n'a pas pour effet de remettre en vigueur un document d'urbanisme antérieur, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale recueille l'avis conforme du préfet sur les demandes de permis ou les déclarations préalables postérieures à cette annulation, à cette abrogation ou à cette constatation. ".
8. Si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.
9. En vertu des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, l'extension de l'urbanisation doit se réaliser, dans les communes littorales, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement. Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.
10. Cependant, le schéma d'aménagement de la Corse, approuvé par décret en Conseil d'Etat du 7 février 1992, demeuré applicable jusqu'à l'entrée en vigueur du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, ainsi que le prévoit l'article 13 de la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, a valeur de schéma de mise en valeur de la mer en vertu de l'article L. 144-2 du code de l'urbanisme. Il prescrit que l'urbanisation du littoral demeure limitée. Pour en prévenir la dispersion, il privilégie la densification des zones urbaines existantes et la structuration des " espaces péri-urbains ", en prévoyant, d'une part, que les extensions, lorsqu'elles sont nécessaires, s'opèrent dans la continuité des " centres urbains existants ", d'autre part, que les hameaux nouveaux demeurent.l'exception De telles prescriptions apportent des précisions relatives aux modalités d'application des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code l'urbanisme et sont compatibles avec elles.
11. Il ressort de l'arrêté contesté que le maire de la commune de l'Ile Rousse qui est dépourvue de document d'urbanisme, a saisi le préfet de la Haute-Corse, pour avis conforme, sur la demande de permis de construire de M. et MmeD..., en application des dispositions mentionnées au point 7. Le préfet a émis, le 6 février 2015, un avis défavorable au projet en litige au motif qu'il se situait en discontinuité avec les agglomérations et villages existants au sens de l'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme, au sein des espaces proches du rivage et dans une vaste zone naturelle quasiment vierge de toute construction, et qui ne permet en aucun cas de conférer un caractère urbanisé à ce secteur de la commune. Le tribunal a annulé l'arrêté du 20 mars 2015 au motif que le préfet avait méconnu ces dispositions.
12. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet de M. et Mme D...a pour objet la construction d'un ensemble immobilier comportant trente-neuf logements sur les parcelles cadastrées section B 1610 et 1920, au lieu-dit Fornole, situé sur la commune de l'Ile Rousse, pour une surface de 2 538 m2 sur une superficie totale de 36 550 m2. Les photographies aériennes versées au débat démontrent que si ces parcelles sont voisines, à l'est, du centre ville urbain de la commune qui présente une densité significative de constructions, elles en sont néanmoins séparées par la route départementale n° 513. Par ailleurs, elles sont bordées, à l'ouest, par une vaste zone naturelle, limitée au nord par une voie ferrée de l'autre côté de laquelle se trouve une vingtaine de constructions près du rivage. Le terrain d'assiette du projet en litige est également entouré, au nord, d'une station d'épuration et, au sud, d'une parcelle dépourvue de construction au delà de laquelle deux immeubles ont été construits comprenant sept bâtiments, ainsi que d'un groupe de près de dix constructions vers le sud ouest. Dès lors, ce terrain doit être regardé comme situé dans un compartiment d'urbanisation diffuse distinct du centre urbain de la commune. La présence de la station d'épuration au nord des parcelles n'est pas de nature à permettre de les regarder comme étant en continuité d'un centre urbain existant ou dans une zone urbanisée. La circonstance que le commissaire enquêteur ait estimé pour un autre projet de construction, situé sur la parcelle localisée au sud, que celui-ci s'inscrit dans un paysage urbain est sans incidence. Il en va de même de celles tirées de ce que la commune de l'Ile Rousse serait en cours de négociation avec les intimés pour implanter, à proximité de la station d'épuration, un parking public ou de ce qu'en 2011, elle projetait de réaliser des logements pour actifs sur ces terrains. Ainsi, le ministre de la cohésion des territoires est fondé à soutenir que les parcelles de M. et Mme D...ne sont pas situées dans la continuité du centre urbain de la commune de l'Ile Rousse. Par suite, le tribunal a estimé à tort que l'avis conforme du préfet de la Haute-Corse méconnaissait les dispositions mentionnées aux points 9 et 10.
13. Aux termes du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme : " L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage (...) doit être justifiée et motivée, dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau. / Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l'urbanisation est conforme aux dispositions d'un schéma de cohérence territoriale ou d'un schéma d'aménagement régional ou compatible avec celles d'un schéma de mise en valeur de la mer (...) ". Le caractère limité de l'extension de l'urbanisation dans un espace proche du rivage, au sens des dispositions du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, s'apprécie au regard de l'implantation, de l'importance, de la densité et de la destination des constructions. Le schéma d'aménagement de la Corse se borne à rappeler que, dans les espaces proches du rivage, l'extension de l'urbanisation doit demeurer limitée, sans apporter de précisions particulières sur les modalités de mise en oeuvre, en Corse, de ces notions d'espaces proches du rivage et d'urbanisation limitée.
14. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet en litige est distant d'environ 100 mètres du rivage et n'est pas situé dans la partie urbanisée de la commune de l'Ile Rousse. Ce projet comporte l'édification d'un immeuble collectif de trente-neuf logements dont la surface de plancher est de 2 538 m², sur trois étages, pour une superficie totale de 36 550 m². Ainsi, ce projet ne constitue pas une extension limitée de l'urbanisation eu égard à son importance et à sa localisation dans un compartiment naturel distinct des parties densément urbanisées de la commune. Il s'en suit que le tribunal a estimé, à tort, que le projet en litige constituait une extension limitée de l'urbanisation au sens des dispositions du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.
15. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal et devant la Cour.
16. Le maire de l'Ile Rousse étant tenu de se conformer à l'avis du préfet de la Haute-Corse du 6 février 2015, lequel n'est pas illégal, ainsi qu'il a été dit au point 12, il s'en suit qu'il avait en l'espèce compétence liée pour rejeter la demande de permis de construire des intimés. Dès lors, le moyen tiré du vice de procédure tenant à l'absence de visa de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et des avis de la commune et de la commission des sites soulevé directement à l'encontre de l'arrêté contesté est insusceptible d'avoir une incidence sur sa légalité.
17. Il résulte de tout ce qui précède sans qu'il soit nécessaire d'examiner la régularité du jugement attaqué que le ministre de la cohésion des territoires est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 20 mars 2015. Il s'en suit que le jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 avril 2017 doit être annulé et la demande de M. et Mme D...rejetée.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à M. et Mme D... quelque somme que ce soit au titre des frais que ceux-ci ont exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 avril 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. et Mme D...devant le tribunal administratif de Bastia et leurs conclusions tenant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités, à M. B... D..., à Mme A...D...et à la commune de l'Ile Rousse.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Portail, président assesseur,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme Marchessaux, premier conseiller,
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 décembre 2018.
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N° 17MA02469