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03/12/2018 | FRANCE | N°16MA04626

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 03 décembre 2018, 16MA04626


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La " Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen ", dite Ligue des droits de l'Homme, a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté temporaire du 24 juin 2014 du maire de Narbonne règlementant les activités constitutives de troubles à l'ordre public, notamment la mendicité.

Par un jugement n° 1403962 du 18 octobre 2016, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la Ligue des droits de l'Homme.

Procédure devant la Cour :r>
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 décembre 2016 et le 2 février 2018, la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La " Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen ", dite Ligue des droits de l'Homme, a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté temporaire du 24 juin 2014 du maire de Narbonne règlementant les activités constitutives de troubles à l'ordre public, notamment la mendicité.

Par un jugement n° 1403962 du 18 octobre 2016, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la Ligue des droits de l'Homme.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 décembre 2016 et le 2 février 2018, la Ligue des droits de l'Homme, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 octobre 2016 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 juin 2014 pris par le maire de la commune de Narbonne ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Narbonne le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la liberté d'aller et de venir a été méconnue ;

- le domaine public est par principe de libre utilisation ;

- aucun trouble à l'ordre public, ni aucune circonstance locale ne justifient la nécessité des interdictions en cause, dès lors qu'il n'existe ni mendicité agressive, ni ivresses manifestes ou comportements problématiques liés à la consommation d'alcool, ni présence de personnes ou d'animaux gênant le passage et perturbant la tranquillité et le bon ordre publics ;

- l'alinéa 3 de l'article 1er de l'arrêté en litige est inutile en ce qui concerne la mendicité agressive, dès lors qu'elle est déjà réprimée par l'article 312-12-1 du code pénal ;

- les interdictions édictées par l'arrêté en litige, lesquelles présentent un caractère général et absolu, dès lors qu'elles s'appliquent à l'intégralité du centre ville, à l'axe principal et à tout le front de mer de Narbonne-plage, et chaque jour de la semaine de huit heures à minuit pendant les mois de juillet, d'août et de septembre 2014, sont disproportionnées ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2017, la commune de Narbonne, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la Ligue des droits de l'Homme le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la Ligue des droits de l'Homme ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pecchioli,

- les conclusions de M. Revert, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., substituant Me C..., représentant la commune de Narbonne.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté dit temporaire du 24 juin 2014, le maire de la commune de Narbonne a interdit dans son article 1er alinéa 1 " tout regroupement de personnes détenant des chiens agressifs même tenus en laisse et accompagnés de leur maître entraînant des occupations abusives et prolongées des rues et autres dépendances domaniales lorsqu'elles sont de nature à entraver la libre circulation des personnes ou à porter atteinte au bon ordre et à la tranquillité publique ", dans son alinéa 2 " toute consommation de boissons alcoolisées " et " sauf autorisations spéciales " en dehors des " terrasses de café et de restaurants dûment autorisées, les aires de piquenique aménagées à cet effet et aux heures de repas, les lieux de manifestations locales où la consommation d'alcool est autorisée ", dans son alinéa 3 " les quêtes d'argent agressives lorsqu'elles troublent la tranquillité des personnes ou entravent leur passage ou gênent la commodité de la circulation des piétons et des véhicules " et dans son alinéa 4 le " maintien prolongé, notamment en position allongée ou assise, de personnes ou d'animaux gênant le passage des piétons et perturbant la tranquillité et le bon ordre publics ". Cette interdiction s'applique dans le centre ville et à Narbonne Plage, sur le front de mer et sur le boulevard de la Méditerranée, du 1er juillet 2014 jusqu'au 30 septembre 2014, du lundi au dimanche et de huit heures à minuit. La Ligue des droits de l'Homme relève appel du jugement du 18 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale (...) " ; Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (...) ; 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, (...) les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes (...) ". S'il appartient au maire, en application des pouvoirs de police qu'il tient de ces dispositions, de prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, les interdictions édictées à ce titre doivent être strictement proportionnées à leur nécessité.

En ce qui concerne la légalité de l'alinéa 2 de l'article 1er de l'arrêté du 24 juin 2014 :

3. Pour justifier de l'interdiction " sauf autorisations spéciales ", de " toute consommation de boissons alcoolisées ", en dehors des " terrasses de café et de restaurants dûment autorisées, les aires de piquenique aménagées à cet effet et aux heures de repas, les lieux de manifestations locales où la consommation d'alcool est autorisée ", l'arrêté en litige se réfère à ce que " les troubles à la tranquillité publique sont souvent liés à la consommation abusive d'alcool ", que celle-ci contribue à créer des tels troubles " notamment par des nuisances sonores nuisibles à la santé publique " ainsi que " les nombreux incidents de voie publique constatés par les forces de police tout au long de l'année (rixe, regroupements, ivresses publiques et manifestes, entraves à la circulation, dégradations de l'espace public ... ) ". L'arrêté ajoute que " le risque d'augmentation est à craindre en période estivale caractérisée par un afflux important de personnes ". Toutefois, la commune ne produit, tant en première instance qu'en appel, aucune pièce permettant de justifier de l'importance et de la fréquence des troubles à l'ordre public invoqués. Ainsi, en l'absence de menace suffisamment grave pour l'ordre public justifiant la nécessité de ce dispositif, le maire de la commune de Narbonne ne pouvait légalement prendre les mesures d'interdiction en litige tenant à la consommation d'alcool.

En ce qui concerne la légalité des alinéas 1 et 4 de l'article 1er de l'arrêté du 24 juin 2014 :

4. Pour justifier l'interdiction de " tout regroupement de personnes détenant des chiens agressifs même tenus en laisse et accompagnés de leur maître entraînant des occupations abusives et prolongées des rues et autres dépendances domaniales lorsqu'elles sont de nature à entraver la libre circulation des personnes ou de porter atteinte au bon ordre et à la tranquillité publique " et du " maintien prolongé, notamment en position allongée ou assise, de personnes ou d'animaux gênant le passage des piétons et perturbant la tranquillité et le bon ordre publics ", dans le centre ville et à Narbonne Plage, au front de mer et sur le boulevard de la Méditerranée, à compter du 1er juillet 2014 jusqu'au 30 septembre 2014, du lundi au dimanche, de huit heures à minuit, l'arrêté en litige se réfère à la nécessité de " garantir la liberté d'aller et de venir " à " la commodité de passage dans les rues et autres dépendances domaniales " et " à l'usage normal des rues ". La commune verse aux débats de nombreuses mains courantes qui attestent des entraves dont sont victimes les piétons, lesquelles ont données lieu à de multiples interventions de la police municipale. Dans ces conditions, ces interdictions, qui ne sont pas générales et absolues, n'apportent pas une restriction excessive aux libertés publiques et n'édictent pas des mesures disproportionnées par rapport aux troubles qu'elles entendent prévenir.

En ce qui concerne la légalité de l'alinéa 3 de l'article 1er de l'arrêté du 24 juin 2014 :

5. Comme le relève à juste titre l'association requérante dans sa requête, la formulation utilisée qui vise à interdire " les quêtes d'argent agressives lorsqu'elles troublent la tranquillité des personnes ou entravent leur passage ou gênent la commodité de la circulation des piétons et des véhicules " aux mêmes endroits et pour la même période, s'est en réalité limitée à rappeler les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales et celles de l'article 312-12-1 du code pénal visées par l'arrêté litigieux qui répriment " Le fait, en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d'un animal dangereux, de solliciter, sur la voie publique, la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende ". La Ligue des droits de l'homme n'est ainsi pas recevable à demander l'annulation de cet alinéa 3 qui n'édictait précisément, eu égard à sa formulation, aucune interdiction de principe mais conditionnait seulement l'exercice des activités qu'il mentionnait à l'absence d'atteinte à l'ordre public.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir :

6. Si la Ligue des droits de l'Homme soutient, en outre, que l'arrêté attaqué aurait eu en fait pour but d'éloigner du centre ville et de son front de mer pendant la période estivale des personnes sans domicile fixe et marginales, le détournement de pouvoir ainsi allégué n'est pas établi par les pièces du dossier.

7. Il résulte de ce qui précède que la Ligue des droits de l'Homme est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de l'alinéa 2 de l'article 1er de l'arrêt en litige. L'association appelante est, dès lors, fondée à demander l'annulation dudit jugement sur ce point ainsi que celle de l'arrêté en litige en ce qui concerne cet alinéa.

Sur les frais de l'instance :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

9. Il y a lieu, en application des dispositions susmentionnées, de mettre à la charge de la commune de Narbonne la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la Ligue des droits de l'Homme et non compris dans les dépens.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la ligue française des droits de l'homme et du citoyen, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées par la commune de Narbonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : L'arrêté dit temporaire du 24 juin 2014 pris par le maire de la commune de Narbonne est annulé en tant qu'il a interdit " sauf autorisations spéciales ", " toute consommation de boissons alcoolisées " en dehors des terrasses de café et de restaurants dûment autorisées, des aires de pique-nique aménagées à cet effet et aux heures de repas et des lieux de manifestations locales où la consommation d'alcool est autorisée.

Article 2 : Le jugement n° 1403962 du 18 octobre 2016 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Narbonne versera une somme de 1 500 euros à la Ligue des droits de l'Homme en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la commune de Narbonne formées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la Ligue française des droits de l'Homme et du citoyen et à la commune de Narbonne.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2018, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- M. Pecchioli, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 décembre 2018.

2

N° 16MA04626


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA04626
Date de la décision : 03/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-04 Police. Police générale.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Jean-Laurent PECCHIOLI
Rapporteur public ?: M. REVERT
Avocat(s) : SCP HENRY-CHICHET-PAILLES-GARIDOU

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-12-03;16ma04626 ?
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