Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...B...et Mme E...B...ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune de Ville-di-Pietrabugno à leur payer la somme de 36 050,80 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'enfouissement d'une canalisation dans le sous-sol de leur propriété.
Par un jugement n° 1500352 du 7 juillet 2016, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 août 2016 et 21 septembre 2018, M. et MmeB..., représentés par MeC..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2016 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de constater l'irrégularité de l'emprise de l'ouvrage public construit par la commune de Ville-di-Pietrabugno ;
3°) de condamner la commune à leur payer la somme de 36 050, 80 euros en réparation des préjudices subis, ainsi que de la condamner à leur rembourser les frais de constats d'huissier ;
4°) de mettre à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de l'illégalité de la délibération du 5 novembre 2009 ;
- il n'a pas non plus répondu au moyen selon lequel ils seraient fondés à obtenir une indemnisation même en cas de régularité de l'emprise ;
- les premiers juges n'ont pas répondu au fondement tiré de la conception défectueuse de l'ouvrage public ;
- l'implantation de l'ouvrage a été réalisée dans des conditions irrégulières, dès lors qu'aucun acte notarié n'a été établi et que les dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-1 à R. 152-15 du code rural n'ont pas été respectées ;
- ils n'ont pas donné d'accord préalable à la réalisation des travaux ;
- l'écrit du 4 janvier 2010 ne vaut pas accord de leur part ;
- à supposer même qu'il le vaille, ils ont droit à une indemnisation ;
- en outre, il n'est signé que de M. B..., l'accord de Mme B... n'ayant pas été recueilli en méconnaissance de l'article 1424 du code civil ;
- la délibération du conseil municipal du 5 novembre 2009 est illégale dès lors qu'elle institue une servitude sur un terrain privé sans respect de la procédure d'expropriation et sans prévoir d'indemnisation préalable ;
- elle ne peut dès lors leur être opposée ;
- le seul constat de la dépossession irrégulière suffit à ouvrir droit à indemnisation ;
- ils subissent également du fait de cette emprise des préjudices liés à l'empêchement de réaliser des plantations et constructions, au caractère inesthétique de l'ouverture pratiquée dans le mur, laquelle a en outre été à l'origine du sinistre du 5 juin 2011 et à des nuisances sonores ;
- la conception de l'ouvrage public est défectueuse ;
- ils ont droit à la somme de 14 050,80 euros en réparation des désordres liés aux travaux d'enfouissement de la canalisation ;
- la somme de 10 000 euros doit venir réparer les troubles dans les conditions d'existence subis en raison de l'attitude de la commune et de l'engagement de plusieurs procédures juridictionnelles.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2018, la commune de Ville-di-Pietrabugno, représentée par MeD..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge des époux B...la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'emprise de la canalisation est régulière, l'autorisation signée le 4 janvier 2010 révélant un accord amiable ;
- Mme B...n'a jamais fait connaître son opposition à cet accord, alors que les travaux avaient lieu sur son terrain ;
- ni l'accord que les requérants ont donné ni la délibération du 5 novembre 2009 devenue définitive n'ont prévu une indemnisation ;
- aucune indemnité n'est en outre due dès lors que l'implantation de la canalisation a apporté une plus-value au fonds des requérants ;
- le juge administratif est incompétent pour fixer le montant de l'indemnité due en raison de l'établissement de la servitude ;
- la réalité de l'existence de murs en pierres sèches n'est pas établie ;
- la somme demandée au titre des frais de reconstruction des murs en pierres sèches est injustifiée dès lors qu'il n'est pas établi qu'elle correspondrait à la reconstruction à l'identique des ouvrages détruits, qui étaient nécessairement vétustes ;
- les intempéries n'ont entrainé aucun trouble dans les conditions d'existence des requérants ;
- les autres faits allégués fondant la demande de 10 000 euros ne concernent pas le présent litige.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 21 septembre 2018, les époux B...concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens et ajoutent en outre que :
- le simple constat de l'irrégularité de l'emprise emporte une indemnisation ;
- l'implantation de la canalisation n'a apporté aucune plus-value à leur fonds, qui n'a pas été assaini ;
- le juge administratif est compétent pour indemniser les conséquences d'une emprise irrégulière.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu ;
- le code civil ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B...sont propriétaires depuis le 31 mars 2009 des parcelles cadastrées section C n° 665 et n° 668, situées dans la commune de Ville-di-Pietrabugno. Par délibération du 5 novembre 2009, le conseil municipal a décidé d'instituer une servitude pour réaliser sur le terrain des époux B...un regard de captation des eaux pluviales et une canalisation enterrée. Ces travaux ont été réalisés du 8 au 16 octobre 2009. M. et Mme B...relèvent appel du jugement du 7 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune à leur payer diverses sommes en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'enfouissement de cette canalisation dans le sous-sol de leur propriété.
Sur la compétence du juge administratif :
2. La commune persiste à contester la compétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions des époux B...tendant à la réparation des dommages résultant de l'emprise irrégulière de l'ouvrage public qu'elle a réalisé. Il y a lieu d'adopter les motifs retenus à bon droit par les premiers juges à ce titre, que la commune ne conteste d'ailleurs pas en appel.
Sur la régularité du jugement :
3. A l'appui de leur demande, M. et Mme B...soutenaient notamment que même en cas d'emprise jugée régulière, ils avaient droit à une indemnisation. Ils avaient également demandé la condamnation de la commune à leur verser la somme de 14 050,80 euros en réparation de dommages nés de l'exécution des travaux publics d'enfouissement de la canalisation. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen et sur ce fondement de responsabilité. Le jugement doit par suite être annulé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le troisième moyen de régularité invoqué, en tant qu'il a statué sur les demandes de condamnation de la commune à réparer les préjudices nés d'une part de l'emprise irrégulière de l'ouvrage public et d'autre part de la réalisation de travaux publics.
4. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de se prononcer par la voie de l'évocation sur les conclusions tendant à la condamnation de la commune à réparer les préjudices nés d'une part de l'emprise irrégulière de l'ouvrage public et d'autre part de la réalisation de travaux publics, et de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres conclusions de la requête.
Sur les conclusions tendant à la condamnation de la commune à réparer les préjudices nés de l'emprise de l'ouvrage public :
5. L'enfouissement de canalisations publiques dans le sous-sol d'une propriété privée, qui dépossède le propriétaire de la parcelle d'éléments de son droit de propriété, ne peut être régulièrement réalisé qu'après, soit l'accomplissement d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, soit l'institution de servitudes dans les conditions prévues aux articles L. 152-1, L. 152-2 et R. 152-1 à R. 152-15 du code rural et de la pêche maritime, soit l'intervention d'un accord amiable avec les propriétaires.
6. M. B...a signé le 4 janvier 2010 une autorisation selon laquelle, après avoir pris connaissance du projet d'implantation d'une canalisation souterraine d'évacuation des eaux pluviales sur le chemin des Oliviers, il autorise l'implantation d'un regard béton avaloir d'orage et la mise en place de cette canalisation sur sa propriété. Il résulte également de l'instruction que les travaux ont été réalisés peu avant l'intervention de cet accord, et alors que les époux B...effectuaient en parallèle sur leur parcelle les travaux de reconstruction d'un mur de soutènement. L'autorisation signée le 4 janvier 2010 révèle dans ces conditions l'existence d'un accord préalable de M. B...à la réalisation des travaux, ainsi que le mentionne d'ailleurs le procès-verbal de la délibération du conseil municipal du 5 novembre 2009, et quand bien même une erreur de plume affecterait la référence exacte des parcelles dans l'autorisation donnée. Le fait qu'aucun acte notarié n'ait été établi, contrairement à ce que prévoyait la délibération du 5 novembre 2009, et que les dispositions des articles L. 152-1 et R. 152-1 à R. 152-15 du code rural n'aient pas été respectées, est sans incidence sur la validité de cet accord amiable. De même, M. B...ne saurait utilement se prévaloir de l'illégalité de la délibération du 5 novembre 2009. Dans ces conditions, l'emprise de l'ouvrage de la commune sur la propriété de M. B...est régulière. Ce dernier n'est ainsi pas fondé à demander la réparation du préjudice né de cette emprise, qu'elle soit irrégulière et régulière, dès lors que, dans cette dernière hypothèse, ni l'accord que le requérant a donné ni la délibération du 5 novembre 2009 n'ont prévu en tout état de cause d'indemnisation.
7. En revanche, aux termes de l'article 1424 du code civil : " Les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté (...) ". Il ne résulte pas de l'instruction que Mme B...aurait donné son accord aux travaux d'enfouissement de la canalisation sur sa propriété. L'emprise de l'ouvrage est donc irrégulière à son égard. La canalisation demeure toutefois enterrée et Mme B... ne démontre pas que la surface correspondante ne pourrait pas être exploitée. Il ne résulte pas non plus de l'instruction, contrairement à ce que soutiennent les requérants, que l'existence de la canalisation engendrerait des nuisances sonores lors d'orages, tandis qu'il n'est pas démontré que l'ouverture que les requérants ont pratiquée dans le mur de clôture serait en rapport avec l'existence de l'ouvrage. Dans ces conditions, il y a lieu de condamner la commune à verser à Mme B...une somme de 2 000 euros en réparation de l'emprise irrégulière de l'ouvrage.
Sur les conclusions tendant à la condamnation de la commune à réparer les dommages occasionnés par la réalisation de travaux publics :
8. Si les requérants soutiennent que lors des opérations d'enfouissement de la canalisation, trois murs en pierre sèche auraient été détruits, ils ne démontrent pas, à supposer même que ces murs aient existé, qu'ils auraient été détruits à l'occasion des travaux publics réalisés par la commune, l'attestation de l'entrepreneur ayant réalisé ces travaux, rédigée cinq ans après les faits, étant insuffisamment probante, en l'absence notamment de toute mention antérieure de l'existence de ces dommages. La demande des requérants à ce titre doit donc être rejetée.
Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne les autres demandes des épouxB... :
9. Les requérants invoquent un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis en raison de l'existence d'une procédure juridictionnelle par laquelle ils ont obtenu en appel l'annulation d'un arrêté du maire leur prescrivant de réaliser des ouvertures dans le mur de clôture séparant leur parcelle du chemin communal, ainsi que de la transmission d'un procès-verbal de constat d'infraction aux règles d'urbanisme aux supérieurs hiérarchiques de M. B.... Ces faits sont cependant étrangers au litige et ne sauraient dès lors donner lieu à une condamnation de la commune à réparer les préjudices invoqués.
10. Enfin, la réalité de sommes acquittées au titre de constats d'huissier n'étant pas démontrée, la demande des requérants tendant au remboursement de ces frais doit être rejetée.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande de condamnation de la commune à réparer le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence allégués ainsi que leur demande de remboursement des frais de constats d'huissier.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et MmeB..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme à la commune de Ville-di-Pietrabugno, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune la somme de 2 000 euros à verser à Mme B...sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 7 juillet 2016 du tribunal administratif de Bastia est annulé en tant qu'il a statué sur les demandes de condamnation de la commune de Ville-di-Pietrabugno à réparer les préjudices nés de l'emprise de l'ouvrage public et de la réalisation de travaux publics.
Article 2 : La commune de Ville-di-Pietrabugno est condamnée à verser à Mme B...la somme de 2 000 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et de la demande présentée devant le tribunal administratif par M. et Mme B...est rejeté.
Article 4 : La commune versera à Mme B...une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Ville-di-Pietrabugno présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., à Mme E...B...et à la commune de Ville-di-Pietrabugno.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2018, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme Duran-Gottschalk, première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 décembre 2018
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N° 16MA03386