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30/11/2018 | FRANCE | N°18MA00149

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 30 novembre 2018, 18MA00149


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Kiabi Europe a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, annulé la décision du 12 novembre 2015 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de l'Hérault l'a autorisée à procéder au licenciement pour faute de Mme C...A..., d'autre part, refusé de l'autoriser à procéder au licenciement de cette dernière.

Par un

jugement n° 1600247, 1603134 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Kiabi Europe a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 11 avril 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, annulé la décision du 12 novembre 2015 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de l'Hérault l'a autorisée à procéder au licenciement pour faute de Mme C...A..., d'autre part, refusé de l'autoriser à procéder au licenciement de cette dernière.

Par un jugement n° 1600247, 1603134 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions présentées par Mme A... tendant à l'annulation de la décision du 12 novembre 2015 de l'inspectrice du travail et a rejeté celles présentées par la SAS Kiabi Europe tendant à l'annulation de la décision du 11 avril 2016 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2018, la SAS Kiabi Europe, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 novembre 2017 ;

2°) d'annuler la décision du 11 avril 2016 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;

3°) de lui accorder la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision querellée est insuffisamment motivée ;

- le principe du contradictoire n'a pas été méconnu ;

- les faits reprochés sont matériellement établis et sont d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;

- l'inspectrice du travail pouvait donc légalement autoriser ce licenciement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., substituant Me B..., représentant la SAS Kiabi Europe.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Kiabi Europe, qui exerce une activité de distribution de prêt-à-porter, a recruté Mme C... A...en contrat à durée indéterminée à compter du 13 mai 1991. Celle-ci occupait en dernier lieu les fonctions de conseillère de vente au sein du magasin de Saint-Jean-de-Vedas dans l'Hérault. Elle a été élue déléguée du personnel suppléante le 21 avril 2015. Par lettre du 2 octobre 2015, le directeur de l'établissement a saisi l'inspectrice du travail de l'unité territoriale de l'Hérault d'une demande d'autorisation de licenciement pour faute de l'intéressée au motif qu'elle avait subtilisé frauduleusement un article au sein du magasin. Par décision du 12 novembre 2015, l'inspectrice du travail a délivré cette autorisation à la SAS Kiabi Europe. Saisi par Mme A... d'un recours hiérarchique, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, par décision du 11 avril 2016, d'une part, annulé cette décision du 12 novembre 2015 et, d'autre part, rejeté la demande d'autorisation de procéder au licenciement de l'intéressée. La SAS Kiabi Europe relève appel du jugement du 14 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 11 avril 2016.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. En premier lieu, il ressort des énonciations de la décision querellée que, pour annuler la décision du 12 novembre 2015 autorisant la SAS Kiabi Europe à procéder au licenciement de Mme A..., le ministre s'est fondé sur le fait que l'inspectrice du travail avait omis de se prononcer sur le caractère fautif des faits reprochés et sur leur caractère de gravité suffisant et avait donc méconnu l'étendue de son contrôle et, en outre, que celle-ci n'avait pas permis à la salariée de prendre connaissance de l'attestation établie par l'une de ses collègues alors que ce témoignage était déterminant quant à l'établissement de la matérialité des faits, le ministre estimant que cette abstention était constitutive d'une violation du principe du contradictoire. Le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a ainsi suffisamment motivé en fait sa décision. Les arguments soulevés par la SAS Kiabi Europe au soutien de son moyen tiré du défaut de motivation de cette décision, qui consistent en une critique de l'appréciation portée par le ministre sur ces deux points, ne concernent pas la motivation formelle de la décision en litige mais son bien-fondé et sont donc inopérants. Il y a lieu, par suite, d'écarter ce moyen.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article Selon le R. 2421-11 du code du travail, applicable à l'espèce : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. ".

5. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

6. Il ressort des termes de la décision du 12 novembre 2015 que l'inspectrice du travail s'est notamment fondée, pour autoriser le licenciement de Mme A..., sur le témoignage de l'une des collègues de cette dernière. La SAS Kiabi Europe n'établit, ni même n'allègue, que l'attestation de cette salariée, qui était jointe à la demande d'autorisation de licenciement adressée à l'inspectrice du travail, aurait été communiquée à Mme A.... En se bornant à produire dans la présente instance plusieurs attestations établies en janvier 2018, soit plus de deux ans après l'édiction de cette décision, selon lesquelles les personnes ayant témoigné dans le cadre de cette procédure de licenciement redoutaient des représailles de la part de Mme A..., alors qu'aucun élément antérieur produit au dossier ne laisse entrevoir un tel risque, la société appelante n'établit aucunement que la communication de l'attestation en cause aurait été de nature à porter gravement préjudice à son auteur et aurait ainsi justifié le fait que l'inspectrice du travail, lors de l'enquête contradictoire, n'informe Mme A... que de sa seule teneur. Au demeurant, la SAS Kiabi Europe a produit ladite attestation parmi les pièces jointes à sa demande devant le tribunal administratif. C'est dès lors à bon droit que le ministre a annulé la décision du 12 novembre 2015 au motif d'une violation du principe du contradictoire.

7. En troisième lieu, pour apprécier si les faits de vol reprochés à un salarié protégé sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, il convient de prendre en compte, notamment, le montant des articles dérobés, l'ancienneté de l'intéressé, l'existence éventuelle de reproches antérieurs de la part de l'employeur, mais aussi les circonstances dans lesquels la soustraction des objets dérobés a eu lieu.

8. Les investigations menées par la SAS Kiabi Europe sont de nature à établir la matérialité des faits reprochés à Mme A..., soit la subtilisation frauduleuse d'une robe. Toutefois, eu égard au montant modique de cet article, soit vingt euros, à l'absence de toute évaluation défavorable portant sur le travail de l'intéressée, qui est employée depuis vingt-quatre ans au sein du groupe et qui a même bénéficié d'une augmentation individuelle de salaire peu de temps avant la commission des faits, et alors même que cette dernière aurait fait usage d'un stratagème pour parvenir à ses fins et aurait produit une fausse attestation au soutien de sa version des faits, cette faute ne présente pas un caractère de gravité suffisante de nature à justifier un licenciement. Les soupçons récurrents à propos de faits de vols dont se serait rendue coupable Mme A..., évoqués par certains membres élus lors de la réunion du comité d'entreprise au cours de laquelle il a été statué sur le projet de licenciement de l'intéressée ainsi que ceux formulés ultérieurement par plusieurs collègues ne sont pas assortis d'éléments factuels probants et ne sauraient donc être valablement retenus à l'encontre de l'intéressée. Dans ces conditions, le ministre a pu, à bon droit, estimer que les faits en cause ne présentaient pas un caractère de gravité suffisante de nature à justifier un licenciement et donc prononcer l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Kiabi Europe n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par suite, la requête doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Kiabi Europe est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Kiabi Europe, à Mme C... A...et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Occitanie.

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 30 novembre 2018.

2

N° 18MA00149

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA00149
Date de la décision : 30/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : CAPSTAN NORD EUROPE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-11-30;18ma00149 ?
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