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30/11/2018 | FRANCE | N°17MA03495

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 30 novembre 2018, 17MA03495


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 6 octobre 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de son employeur, la société par actions simplifiée (SAS) Escourrou, contre la décision en date du 16 mars 2015 de l'inspecteur du travail ayant refusé d'autoriser son licenciement, a annulé cette décision de l'inspecteur du travail, et

autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1506494 du 27 juin 2017, le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 6 octobre 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de son employeur, la société par actions simplifiée (SAS) Escourrou, contre la décision en date du 16 mars 2015 de l'inspecteur du travail ayant refusé d'autoriser son licenciement, a annulé cette décision de l'inspecteur du travail, et autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1506494 du 27 juin 2017, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 6 octobre 2015 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 août 2017, sous le n° 17MA03495, la SAS Escourrou, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 27 juin 2017 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il n'y a aucun lien entre le motif du licenciement et le mandat occupé par M. B... ;

- le comportement de M. B... envers les membres de l'encadrement est caractérisé par une contestation systématique des instructions données dans le cadre de ses obligations contractuelles ;

- il a émis envers des collègues de travail, des propos déplacés, pris des photographies de salariés sur le lieu de travail et tenu des propos à caractère raciste ;

- M. B... a manqué de productivité dans l'accomplissement de ses tâches ;

- ces faits dont la matérialité est établie sont suffisamment graves pour justifier son licenciement.

La ministre du travail a présenté des observations, enregistrées le 31 août 2017.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2017, M. B... conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Escourrou ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. A...,

- et les observations de Me C... pour la SAS Escourrou.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Escourrou relève appel du jugement du 27 juin 2017 du tribunal administratif de Montpellier qui a annulé la décision du 6 octobre 2015 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique de son employeur, la société Escourrou, contre la décision en date du 16 mars 2015 de l'inspecteur du travail ayant refusé d'autoriser son licenciement, a annulé cette décision de l'inspecteur du travail, et autorisé son licenciement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 2411-3 du code du travail : " Le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. ". Aux termes de l'article L. 2411-8 de même code : " Le licenciement d'un membre élu du comité d'entreprise, titulaire ou suppléant, ou d'un représentant syndical au comité d'entreprise, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. ".

3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. Pour demander l'autorisation de licencier M. B..., la société Escourrou s'est fondée sur le comportement de l'intéressé, caractérisé par une contestation systématique des instructions données par les membres de l'encadrement, des propos déplacés et à caractère raciste tenus à l'égard de ses collègues de travail et des prises de photos des salariés sur le lieu de travail, un manque de productivité dans l'accomplissement de ses tâches et des absences injustifiées les 4 et 6 novembre 2014. Pour délivrer l'autorisation sollicitée, le ministre du travail a estimé que les griefs tirés de la contestation systématique des instructions données, des propos déplacés et à caractère raciste et des prises de photos étaient établis et constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.

5. S'agissant du premier grief tiré de la contestation systématique des instructions données, il ressort des pièces du dossier, notamment des attestations versées au débat par l'employeur, émanant de salariés conducteurs de travaux ou chefs de chantiers ayant eu M. B... sous leur responsabilité, que ce dernier est devenu ingérable, qu'il a refusé de se plier aux règles de l'art et de sécurité, qu'il a contesté en permanence les consignes et provoqué une ambiance détestable dans le groupe, qu'il a créé un désordre permanent au point que ce comportement a entraîné un refus généralisé de travailler avec lui. Il ne ressort pas de ces témoignages que cette attitude d'insubordination de M. B... aurait été adoptée lors de l'exercice de ses mandats. Ils évoquent, au contraire, un tel comportement dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail. Ces attestations sont suffisamment précises et concordantes pour établir la matérialité de ce grief alors même que la date des faits ne serait pas précisée et qu'il n'y aurait eu aucun précédent similaire antérieurement à son élection de membre titulaire du comité d'entreprise, le 10 avril 2014. En outre, M. B... a persisté dans son comportement alors que l'employeur a décidé de le changer de chantier afin de résoudre les conflits relationnels avec son équipe de travail dont il était à l'origine et qu'une mise au point sur son attitude a été organisée lors d'une réunion avec l'encadrement le 10 octobre 2014.

6. S'agissant du second grief tiré des propos déplacés et racistes et des prises de photos pendant les heures de travail, il ressort de cinq attestations de collègues de travail que M. B... a déclaré que " les intérimaires, c'est tous des connards " et que " les arabes et les portugais vous faites de la merde, vous nous niquez le travail ". Un des salariés insultés a d'ailleurs déposé une main courante le 11 décembre 2014 pour injures et menaces à l'encontre de M. B.... Cette main courante mentionne que M. B... " nous fait peur en nous disant que plus on travaille rapidement et plus on serait viré " et que " si on continue à faire trop d'heures, il nous dénoncera à l'inspection du travail ". Il ressort de la plainte d'un intérimaire pour injure à caractère racial, du 16 décembre 2014, que M. B... l'aurait insulté lors d'un chantier qui s'est déroulé du 15 juillet au 15 août 2014 en ces termes " sale négro, vous les intérimaires vous faites chier, tu n'es pas dans ton pays, retourne dans ton pays, va manger des bananes comme les chimpanzés ". Ces attestations sont également suffisamment circonstanciées et concordantes pour établir la matérialité de ce grief. Les circonstances que la plainte précitée a été déposée plus de six mois après les faits, qu'elle n'a donné lieu à aucune suite pénale et qu'aucun antécédent n'a été sanctionné sont sans incidence. M. B... ne peut sérieusement atténuer la violence de ses propos en faisant valoir qu'il s'agit de l'emploi d'un langage rude désignant les ouvriers par leurs origines géographiques ou leur apparence ethnique qui est de mise sur les chantiers sans que ces pratiques aient une dimension raciste. Par ailleurs, cinq attestations produites par la société Escourrou démontrent que M. B... prenait des photos à l'aide de son téléphone portable sur le chantier de l'Intermarché de Pont Rouge en violation de l'article 13 du règlement intérieur qui prohibe l'utilisation des téléphones mobiles sur le lieu de travail, alors que cette pratique a généré des plaintes et des tensions de la part des salariés. Si M. B... soutient que ces interventions et plus particulièrement les prises de photos avaient vocation à améliorer les conditions de travail et de sécurité, la menace et l'insulte des salariés excédent les limites admissibles de la polémique inhérente à l'exercice d'un mandat représentatif.

7. Dans ces conditions, l'ensemble des faits reprochés à M. B... sur lesquels le ministre du travail s'est fondé, qui sont d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement, doivent être regardés comme matériellement établis. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont retenu, pour annuler la décision contestée, que les griefs tirés de l'insubordination systématique de M. B..., de la méconnaissance du règlement intérieur tenant à l'usage du téléphone et de ses propos racistes tenus à l'égard de ses collègues n'étaient pas matériellement établis.

8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier et la Cour.

9. La décision contestée comporte la mention des dispositions du code du travail applicables à la situation de M. B... et précise de manière détaillée la nature des faits qui lui sont reprochés, plus particulièrement les griefs relatifs à la remise en cause systématique des instructions données, à son comportement provocant, à la prise de photos sur les chantiers entraînant un climat d'agressivité et à la tenue de propos racistes que le ministre du travail a estimé matériellement établis et constitutifs de fautes d'une gravité suffisante de nature à justifier son licenciement. Enfin, au vu de ces éléments, l'acte en litige a relevé l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats exercés par le salarié. Cette décision comporte, ainsi, les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée doit être écarté.

10. En vertu des dispositions de l'article R. 2421-4 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit procéder à une enquête contradictoire. Le caractère contradictoire de cette enquête impose à l'autorité administrative que le salarié protégé puisse notamment être mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande. Pour l'application de cette règle, le ministre chargé du travail, saisi d'un recours contre une décision relative au licenciement d'un salarié protégé sur le fondement de l'article R. 2422-1 du même code, doit, en application de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, dont les dispositions sont désormais reprises aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration, communiquer le recours au tiers au profit duquel la décision contestée par ce recours a créé des droits, et recueillir ses observations. Si, en revanche, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe que le ministre soit tenu de procéder à une enquête contradictoire au sens de l'article R. 2421-4 précité, il en va autrement lorsque l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire.

11. Il ressort des pièces du dossier que par lettre du 7 août 2015, le directeur adjoint de l'unité territoriale des Pyrénées-Orientales de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) du Languedoc-Roussillon a informé M. B... de ce que la SAS Escourrou avait formé un recours auprès du ministre du travail contre la décision du 16 mars 2015 de l'inspectrice du travail refusant son licenciement pour motif personnel et de ce qu'il était chargé par le ministre du travail de procéder à l'instruction de sa requête. Il a également demandé à M. B... de se présenter dans les locaux de la DIRECCTE le lundi 17 août 2015 et lui a précisé qu'il pouvait se faire assister par un représentant de son syndicat. Ce courrier était, notamment, accompagné du recours déposé le 12 mai 2015 par son employeur. En outre, le ministre du travail a, par lettre du 11 septembre 2015, informé M. B... de ce qu'il n'excluait pas de procéder au retrait de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique de la société Escourrou pour des motifs de légalité tenant notamment à la matérialité et à la gravité des faits qui lui étaient reprochés portant sur son comportement à l'égard de sa hiérarchie et de ses collègues de travail. Il mentionnait aussi que conformément à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, M. B... pouvait s'il l'estimait utile, transmettre toute observation écrite jusqu'au 24 septembre 2015. Ainsi, ce dernier a bénéficié d'un délai de 13 jours suffisamment long pour présenter ses observations. La seule circonstance invoquée par M. B... que la décision contestée ne fait pas référence à son mémoire adressé par son conseil le 23 septembre 2015 n'est de pas de nature à démonter que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté. Il ne ressort pas davantage des termes de la décision en litige que le ministre du travail se serait considéré comme lié par l'appréciation de l'employeur alors qu'il ressort de cette décision qu'il a écarté comme non matériellement établis deux griefs tirés du manque de productivité et d'absences injustifiées à son poste de travail le 4 et le 6 novembre 2014.

12. Si M. B... soutient qu'il s'est opposé à la présence de la directrice technique qui est aussi membre de la famille de la direction aux réunions du comité d'entreprise et des délégués du personnel, il ressort des comptes-rendus des séances des 27 avril 2010 et 3 juin 2014 que la présence de l'intéressée a été autorisée par le comité d'entreprise. En outre, s'agissant du refus de la visite du chantier de Saint-Thibéry du 5 août 2014 opposé par le directeur technique, le courriel de ce dernier versé au débat démontre qu'il était justifié par les congés du personnel d'encadrement cette semaine-là et que d'autres dates ont été proposées à M. B.... Quand à l'accueil brutal dont il a fait l'objet lors de sa visite du chantier du pôle santé à Castelnaudary, pour regrettable qu'il soit, il ne saurait à lui seul expliquer les griefs mentionnés aux points 5 et 6 dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils seraient matériellement inexacts ainsi qu'il a été dit au point 7. Par suite, il n'est pas établi que la demande d'autorisation de licenciement serait en lien avec le mandat détenu par l'intéressé.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Escourrou et la ministre du travail sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 6 octobre 2015.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de M. B... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SAS Escourrou et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 27 juin 2017 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier est rejetée.

Article 3 : M. B... versera à la SAS Escourrou une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Escourrou, à la ministre du travail et à M. D... B....

Délibéré après l'audience du 16 novembre 2018, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 30 novembre 2018.

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N° 17MA03495

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA03495
Date de la décision : 30/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour faute. Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS TARLIER - RECHE - GUILLE MEGHABBAR

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-11-30;17ma03495 ?
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