Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E...C...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille et le professeur Thomas et, à titre subsidiaire, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à lui verser à titre personnel une somme de 75 000 euros et, en sa qualité d'ayant droit de sa mère décédée, une somme de 175 000 euros, en réparation des préjudices résultant de la prise en charge de Mme B...C...et d'ordonner une nouvelle expertise.
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var a demandé au tribunal de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille à lui verser la somme de
52 092,51 euros au titre des débours et la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par un jugement n° 1406776 du 13 mars 2017, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 10 mai 2017 et le 10 octobre 2018, MmeC..., représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 13 mars 2017 ;
2°) à titre principal, de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille à lui verser les sommes de 75 000 euros en son nom personnel et de 175 000 euros en sa qualité d'ayant droit de sa mère ;
3°) à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'ONIAM le versement de 25 % des mêmes sommes ;
4°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille et, à titre subsidiaire, de l'ONIAM, la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la patiente n'a pas été informée des risques encourus en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ;
- la faculté de refuser l'intervention n'a pas été évoquée ;
- l'intervention chirurgicale n'était pas urgente ;
- la modification possible de la technique chirurgicale n'a pas été évoquée ;
- le chirurgien a commis une faute en réalisant l'intervention alors que la patiente n'avait pas cessé de fumer ;
- les conditions du transfert de la patiente dans un autre hôpital n'étaient pas adaptées à son état de santé ;
- la prise en charge de la patiente n'a pas été conforme aux bonnes pratiques médicales ;
- le diagnostic de syndrome de glissement est erroné, la patiente ayant été intoxiquée aux benzodiazépines ;
- l'infection nosocomiale engage la responsabilité de l'hôpital ;
- la perte de chance d'éviter le décès doit être évaluée à 75% ;
- à titre subsidiaire, les fautes médicales doivent être prises en charge au titre de la solidarité nationale ;
- les préjudices subis par la victime doivent être réparés ;
- elle a subi des préjudices d'accompagnement et d'affection consécutifs au décès de sa mère.
Par un mémoire, enregistré le 11 juillet 2017, la CPAM du Var déclare n'avoir aucune observation à formuler.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2018, l'ONIAM, représenté par la SELARL De La Grange et Fitoussi Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la partie perdante la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le décès n'est pas imputable à l'infection nosocomiale ni à un accident médical.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2018, l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille, représentée par MeD..., conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la patiente s'est vu délivrer une information complète ;
- la modification de la technique opératoire ne constitue pas un risque dont la patiente devait être informée ;
- le défaut d'information n'a entraîné aucune perte de chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;
- le sevrage tabagique n'est pas un pré-requis impératif pour une lobectomie ;
- l'absence de sevrage total n'a pas eu d'incidence sur les suites opératoires ;
- la prise en charge de la patiente a été conforme aux bonnes pratiques médicales ;
- l'infection nosocomiale est sans lien avec le décès ;
- les sommes demandées au titre des préjudices subis sont injustifiées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant MmeC....
Considérant ce qui suit :
Sur le bien fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité de l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille :
Quant au manquement à l'obligation d'information :
1. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ".
2. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux Provence-Alpes-Côte d'Azur, que lors de la consultation du 16 septembre 2013, le chirurgien a expliqué à Mme C...qu'elle était probablement atteinte d'un cancer broncho-pulmonaire primitif de stade clinique 1A, lui a exposé les différentes options thérapeutiques, chirurgicale et par radiothérapie, ainsi que la possibilité de refuser tout traitement et l'a informée des complications respiratoires et infectieuses ainsi que du risque opératoire en précisant que son âge, soixante-dix-huit ans, l'exposait à d'autres causes de mortalité. La patiente a par ailleurs signé un formulaire de consentement éclairé. Si le taux de mortalité dans les suites opératoires n'a pas été indiqué à MmeC..., le risque a été évoqué et l'indication opératoire était formelle. La technique chirurgicale initiale de lobectomie par assistance vidéo a dû être convertie en fin d'intervention en une thoracotomie classique en raison de difficultés à obtenir une ventilation sélective. Le chirurgien n'a pas informé Mme C... de l'éventualité d'un changement de technique. Toutefois, la supériorité d'une technique sur l'autre ou la primauté en termes de morbidité-mortalité, de durée d'hospitalisation et de douleurs post-opératoires de l'une des deux techniques n'est pas établie. En outre, la conversion était logique et appropriée à l'état de santé de la patiente. La requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille a méconnu son obligation d'information.
Quant aux fautes médicales :
3. Le I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que la responsabilité de tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins peut être engagée en cas de faute. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. En outre, une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier engage la responsabilité de celui-ci envers la victime.
4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que lors de la consultation du 16 septembre 2013, le chirurgien a alerté la patiente sur la nécessité d'arrêter de fumer et a insisté sur l'importance d'un sevrage tabagique dont le défaut majore considérablement le risque respiratoire et infectieux. MmeC..., atteinte d'un cancer au poumon, a fortement diminué sa consommation de tabac sans toutefois l'arrêter. La requérante ne saurait soutenir que le chirurgien aurait dû soit retarder l'intervention soit refuser de la pratiquer, dès lors qu'il appartenait à la patiente de respecter les recommandations impératives qui lui avaient été faites et dont il résulte de l'instruction qu'elle en avait compris la nécessité. Le décès de la mère de la requérante est au demeurant sans lien avec l'absence de sevrage tabagique.
5. Mme C...ne produit aucun document médical de nature à démontrer que les conditions du transfert de sa mère de l'hôpital Nord de Marseille à l'hôpital Sainte-Anne de Toulon pour les soins de suite n'étaient pas adaptées à l'état de santé de la patiente. Dès lors, la requérante n'établit pas l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille.
6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que les complications postopératoires, dont le bullage persistant du drain thoracique impliquant la prolongation du drainage, sont indépendantes de la qualité du geste chirurgical et de la prise en charge. Par ailleurs, celle-ci a été adaptée et conforme aux bonnes pratiques ainsi qu'aux données acquises de la science au moment des faits. Par suite, et ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille aurait commis une faute dans la prise en charge de la patiente.
7. Si la prise prolongée de benzodiazépines constitue une faute médicale, celle-ci n'a aucun lien avec le décès de la patiente, lequel est consécutif à un oedème aigu du poumon d'origine cardiaque. La requérante ne produit aucune pièce susceptible de remettre en cause les conclusions du rapport d'expertise sur les causes de la mort. Elle n'établit pas davantage, en l'absence de communication de document justificatif, que les symptômes dont souffrait sa mère révélaient un surdosage voire une intoxication aux benzodiazépines ou une interaction médicamenteuse avec le traitement morphinique et non le syndrome de glissement retenu par les experts. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que ce syndrome soit imputable à la prise prolongée de benzodiazépines. Il suit de là qu'aucune faute ne peut être imputée à ce titre à l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille.
Quant à l'infection nosocomiale :
8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'infection de Doris C...par un staphylocoque doré, dont l'AP-HM ne conteste pas le caractère nosocomial, est sans lien avec le décès. La bi-antibiothérapie probabiliste mise en place puis la monothérapie étaient adaptées et conformes aux bonnes pratiques ainsi qu'aux données acquises de la science. Ce traitement a débuté alors que l'administration de benzodiazépines avait cessé depuis plus d'une semaine. La requérante ne produit aucun document médical de nature à remettre en cause l'appréciation de l'expert sur ces points. La responsabilité de l'établissement de soins n'est dès lors pas susceptible d'être engagée à ce titre.
En ce qui concerne l'obligation d'indemnisation à la charge de l'ONIAM :
9. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I (...) n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Ainsi, l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.
10. Il résulte de l'instruction que le décès de Mme C...a pour cause un oedème aigu du poumon d'origine cardiaque. Ainsi, l'infection localisée du site opératoire au niveau d'un épanchement pleural droit par un staphylocoque doré sensible à la méthicilline, le traitement antibiotique qui s'en est suivi ainsi que l'administration prolongée de benzodiazépines invoqués par la requérante ne sont pas à l'origine du décès de la patiente. Les conditions d'intervention de l'ONIAM ne sont dès lors pas remplies.
11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme C...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C...le versement à l'ONIAM d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l'ONIAM en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...C..., à l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Var.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2018 où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère,
- M. Merenne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2018.
2
N° 17MA01911