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18/09/2018 | FRANCE | N°17MA01979

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 18 septembre 2018, 17MA01979


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. Mme J... B...épouse E...a, par une requête enregistrée sous le n° 1500910, demandé au tribunal administratif de Bastia :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet opposée par l'office municipal de tourisme de Porticcio à sa demande de protection fonctionnelle et d'indemnisation du 1er juin 2015 ;

2°) de condamner l'office municipal de tourisme de Porticcio à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'ell

e estime avoir subis ;

3°) d'enjoindre à l'office municipal de tourisme de Porticcio d...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. Mme J... B...épouse E...a, par une requête enregistrée sous le n° 1500910, demandé au tribunal administratif de Bastia :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet opposée par l'office municipal de tourisme de Porticcio à sa demande de protection fonctionnelle et d'indemnisation du 1er juin 2015 ;

2°) de condamner l'office municipal de tourisme de Porticcio à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle estime avoir subis ;

3°) d'enjoindre à l'office municipal de tourisme de Porticcio de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle à son profit, en organisant un fonctionnement direct entre elle-même, le vice-président de l'office et le comité directeur, sous astreinte de 1 000 euros par mois de retard à compter de la notification du jugement ;

4°) de mettre à la charge de l'office municipal de tourisme de Porticcio une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. Mme J... B...épouse E...a, par une requête enregistrée sous le n° 1700121, demandé au tribunal administratif de Bastia de joindre cette affaire à celle enregistrée sous le n° 1500910 et a dirigé à l'encontre de l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano, venant aux droits et obligations de l'office municipal de tourisme de Porticcio, les conclusions présentées sous l'instance n° 1500910.

Par un jugement nos 1500910, 1700121 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Bastia a annulé le rejet tacite opposé aux demandes indemnitaire et de protection fonctionnelle présentées le 1er juin 2015, a enjoint à l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano, venant aux droits de l'office de tourisme de Porticcio, d'accorder à Mme E... le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 30 euros par jour de retard, a condamné l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano à verser à Mme E... la somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices ainsi que la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mai 2017, sous le n° 17MA01979, et un mémoire enregistré le 2 août 2018, l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano, représenté par Me H..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 13 avril 2017 ;

2°) à titre principal, de rejeter les conclusions présentées par Mme E... ;

3°) à titre subsidiaire, de ramener l'indemnisation de Mme E... à de plus justes proportions.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que la requête enregistrée sous le n° 1700121 ne lui a jamais été communiquée ; en tout état de cause, l'audience étant fixée un mois après l'enregistrement de la requête, il n'aurait pas eu le temps de prendre une délibération afin de nommer un défenseur ; les deux structures ont des formes juridiques distinctes, l'office du tourisme de Porticcio étant un établissement public alors que l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano est un service public administratif sous la présidence de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano ;

- la demande de protection fonctionnelle n'était pas recevable dès lors qu'elle aurait dû être adressée, en application des articles L. 133-4 et L. 133-6 du code du tourisme, au président de l'office du tourisme et non, ainsi qu'il en a été en l'espèce, au vice-président de ce même établissement public ;

- les faits de harcèlement moral ne sont pas établis ;

- s'agissant de la demande d'injonction, Mme E... a été licenciée pour inaptitude à toute fonction ;

- s'agissant des sommes réclamées, la requérante n'avait pas chiffré son préjudice dans sa demande indemnitaire du 26 mai 2015 ; le préjudice allégué n'est pas établi ;

Par des mémoires, enregistrés le 4 août 2017, le 16 octobre 2017 et le 9 août 2018, Mme B... épouseE..., représentée par Me C..., conclut dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 3 du jugement du 13 avril 2017 en tant qu'il se borne à lui allouer la somme de 20 000 euros et à la condamnation de l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) à titre subsidiaire, à la confirmation de l'article 3 du jugement du 13 avril 2017 en tant qu'il lui alloue une somme de 20 000 euros ;

4°) en tout état de cause, à ce qu'il soit mis à la charge de l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'appel est irrecevable, faute pour le président de justifier de sa qualité pour faire appel au nom de l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano ;

- les moyens soulevés par l'office ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Tahiri,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public

- et les observations de Me H..., représentant la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano.

Considérant ce qui suit :

1. Mme J... B...épouseE..., née en 1957 et employée en tant que directrice de l'office du tourisme de Porticcio depuis 1997, a demandé à cet établissement public, par courrier du 26 mai 2015, l'octroi de la protection fonctionnelle ainsi que l'indemnisation du préjudice subi à la suite de faits de harcèlement moral dont elle s'estimait victime. S'étant vu opposer un refus implicite né du silence gardé par l'administration pendant deux mois, Mme E... a saisi, le 29 septembre 2015, le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant, en premier lieu, à l'annulation de la décision rejetant implicitement ses réclamations formulées par la lettre du 26 mai 2015, en deuxième lieu, à la condamnation de l'office du tourisme de Porticcio à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de divers agissements de sa hiérarchie, caractérisant selon elle un harcèlement moral, et, en troisième lieu, à ce qu'il soit enjoint à l'office municipal de tourisme de Porticcio de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle à son profit. Elle a également saisi, le 2 février 2017, le tribunal administratif de Bastia de conclusions identiques dirigées contre l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano, en tant qu'il venait aux droits, depuis le 1er janvier 2017, de l'office du tourisme de Porticcio.

2. Par un jugement du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Bastia a joint les deux instances, a annulé la décision rejetant implicitement les demandées formulées par la lettre du 26 mai 2015, enjoint à l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano de mettre en oeuvre la protection fonctionnelle au profit de Mme E... et a condamné cette administration à verser à Mme E... la somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices.

3. La communauté de communes de la Pieve de l'Ornano relève appel de ce jugement. Mme E... demande, dans le cas où la requête présentée par la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano serait recevable, la réformation du même jugement en tant qu'il lui a alloué la somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices.

Sur la recevabilité de l'appel :

4. Aux termes de l'article L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales :

" Le président est l'organe exécutif de l'établissement public de coopération intercommunale. (...) Il représente en justice l'établissement public de coopération intercommunale. (...) ".

Selon l'article L. 5211-2 du même code : " A l'exception de celles des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 2122-4, les dispositions du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie relatives au maire et aux adjoints sont applicables au président et aux membres du bureau des établissements publics de coopération intercommunale, en tant qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions du présent titre. ". Aux termes de l'article L. 2122-21 de ce code : " Sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, le maire est chargé, d'une manière générale, d'exécuter les décisions du conseil municipal et, en particulier : (...) 8° De représenter la commune soit en demandant, soit en défendant (...). ". L'article L. 2122-22 du même code dispose que : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (...) 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal (...). "

5. Il résulte des dispositions précitées que le président d'un établissement public de coopération intercommunale n'a qualité pour engager une action en justice au nom de la collectivité qu'à condition de bénéficier, par délibération de l'organe délibérant, soit d'une délégation générale pour ester en justice ou représenter en justice la collectivité soit, aux mêmes fins, d'une habilitation pour une instance donnée.

6. Il résulte de l'instruction que l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano, venant aux droits de l'office du tourisme de Porticcio, a été institué, par délibération du 19 septembre 2016 du conseil communautaire de la communauté de communes de l'Ornano, comme un service public administratif géré par cet établissement public de coopération intercommunale. La communauté de communes de la Pieve de l'Ornano a produit notamment une délibération du 29 juin 2018 du conseil communautaire de la communauté de communes de l'Ornano donnant délégation à l'organe exécutif pour ester en justice au nom de l'établissement et à faire appel du jugement attaqué. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par Mme E... doit être écartée.

Sur la régularité du jugement :

7. Aux termes de l'article R. 611-3 du code de justice administrative : " Les décisions prises pour l'instruction des affaires sont notifiées aux parties, en même temps que les copies, produites en exécution des articles R. 411-3 et suivants et de l'article R. 412-2, des requêtes, mémoires et pièces déposés au greffe. La notification peut être effectuée au moyen de lettres simples. / Toutefois, il est procédé aux notifications de la requête, des demandes de régularisation, des mises en demeure, des ordonnances de clôture, des décisions de recourir à l'une des mesures d'instruction prévues aux articles R. 621-1 à R. 626-3 ainsi qu'à l'information prévue à l'article R. 611-7 au moyen de lettres remises contre signature ou de tout autre dispositif permettant d'attester la date de réception. "

8. Mme E... a saisi, le 2 février 2017 sous le n° 1700121, le tribunal administratif de Bastia de conclusions identiques à celles de sa demande de première instance enregistrée sous le n° 1500910 mais dirigées contre l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano, en tant qu'il venait aux droits, depuis le 1er janvier 2017, de l'office du tourisme de Porticcio.

9. La communauté de communes de la Pieve de l'Ornano fait valoir que la demande de première instance enregistrée sous le n° 1700121 ne lui a pas été communiquée. Si la lettre accompagnant l'envoi de cette demande figure au dossier, aucune pièce ne permet de justifier que le pli en cause a effectivement été remis ou présenté au siège social de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano. Or, cette demande de première instance comportait seule des conclusions dirigées contre l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et l'indication que cette communauté de communes avait prononcé la dissolution de l'office du tourisme de Porticcio, alors constitué sous la forme d'un établissement public, à compter du 31 décembre 2016 et crée en son sein un office intercommunal de tourisme sous la forme d'un service public administratif. Par ailleurs, la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano n'a pas été mise en cause et n'a pas présenté d'écritures dans le cadre de la procédure consécutive à la demande de première instance enregistrée sous le n° 1500910. Dans ces conditions, le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure et doit donc être annulé en tant qu'il a statué, par l'article 3 de son dispositif, sur les conclusions indemnitaires de Mme E....

10. Il y a dès lors lieu pour la Cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions indemnitaires présentées par Mme E... et, par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, sur les autres conclusions en examinant les moyens soulevés par les parties.

Sur les conclusions indemnitaires :

11. En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu par l'office de tourisme intercommunal de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano, Mme E... a chiffré le montant de sa demande indemnitaire dans sa réclamation préalable en date du 26 mai 2015, indiquant expressément solliciter la réparation de son préjudice moral " par l'allocation de la somme de 50 000 euros ".

12. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

13. D'une part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser l'existence de tels agissement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au regard de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte de l'ensemble des faits qui lui sont soumis.

14. Selon Mme E..., le harcèlement moral qu'elle aurait subi depuis mai 2014 serait imputable à M. G..., alors président de l'office municipal de tourisme de Porticcio, et serait avéré par le fait qu'elle a été progressivement privée de ses outils de travail ainsi que de ses attributions et qu'elle a été victime d'épisodes de violences ainsi que de multiples vexations. Elle fait valoir en outre qu'elle a été placée, en raison de ces faits, en congé pour maladie du 10 juin 2014 au 31 août 2014 ainsi que depuis le 26 septembre 2014.

15. Mme E... se prévaut du procès-verbal de sa plainte pour harcèlement moral et menaces, établi le 29 novembre 2014 par la brigade de gendarmerie de Cauro, dans lequel elle dénonce des difficultés relationnelles avec M. G... antérieures à sa prise de fonctions en tant que président de l'office municipal de tourisme de Porticcio et qui se sont aggravées depuis lors. Elle y détaille un ensemble de faits de manière circonstanciée, précisant que M. G... lui avait réclamé le 26 mai 2014 la restitution de son téléphone professionnel, aux motifs que son usage occasionnait des factures trop importantes et qu'il lui était inutile dans la mesure où elle ne travaillait pas, et qu'il l'avait sollicitée en ce sens plusieurs fois par jour jusqu'au 10 juin 2014 où, assis à son bureau, lui bloquant le passage, il s'était mis à marteler la table pendant 45 minutes et, devant son absence de réaction, avait fini par proférer des injures et des menaces à l'encontre de son époux jusqu'à ce que, excédée, elle craque et jette le téléphone. Elle précisait également devant les gendarmes l'identité d'au moins trois témoins ayant assisté à la scène. Mme E... verse par ailleurs la copie des arrêts de travail dont elle a bénéficié à compter du 10 juin 2014 qui mentionnent un état anxio-dépressif réactionnel, ainsi que la copie du courriel qu'elle a adressé le 10 juin 2014, pour dénoncer ces faits, à M. H..., directeur général des services de la commune de Porticcio en charge des relations avec l'office municipal de tourisme de Porticcio.

16. Mme E... indiquait également lors de son audition par les gendarmes avoir été sollicitée la dernière semaine d'août 2014 par M. H... afin qu'elle reprenne ses fonctions et qu'il lui avait été précisé qu'elle ne risquait rien à la suite de l'hospitalisation pour 7 mois de M. G... pour un oedème pulmonaire. Elle indiquait avoir repris son service le 1er septembre 2014 et avoir constaté que son ordinateur avait été entièrement vidé, ce qu'elle avait signalé par courriel à M. H.... Mme E... a versé au dossier une attestation établie le 28 novembre 2014 par un informaticien qui indiquait être intervenu dès juin 2014 à la demande de Mme D..., qui lui avait expliqué agir sur demande de M. G..., afin d'ouvrir l'accès à l'ordinateur de Mme E..., bloqué par un mot de passe, puis avoir constaté, en septembre 2014, à la demande de Mme E..., que la majorité des documents avaient été effacés.

17. Lors de sa plainte, Mme E... précisait également que, le 3 septembre 2014, elle avait été en contact téléphonique, en présence d'un témoin dont elle donnait l'identité, avec M. G... qui lui avait réclamé la restitution de son ordinateur de travail au motif, à nouveau, qu'elle ne travaillait pas. Elle précisait que, le 4 septembre 2014, M. G... avait contacté un agent, dont elle indiquait également l'identité, afin qu'il la mette dehors et ferme le bureau, ce dont elle avait avisé M. H... qui l'avait raccompagnée. Elle a versé au dossier la copie du courriel qu'elle a adressé le 16 septembre 2014 à M. H... pour dénoncer ces autres faits.

18. Mme E... indiquait qu'à l'initiative de M. H..., une réunion destinée à arranger la situation avait été organisée, en présence de ce dernier, de M. G... et d'elle-même au cours de laquelle M. G... lui avait concédé l'utilisation d'un ordinateur en réseau mais avait également profité d'un moment d'inattention de M. H... pour mimer en sa direction l'utilisation d'une arme de poing. Mme E... a versé au dossier un rapport établi par un contrôleur du travailleur qui s'est rendu à l'office du tourisme au 1er trimestre 2015 puis le 31 juillet 2015 et qui indiquait avoir relevé que le lieu de travail de Mme E... avait été déplacé près de la banque d'accueil du public, l'exposant à des difficultés de concentration, mais qu'un ordinateur et un téléphone étaient bien en place. Ce contrôleur du travail indiquait avoir rencontré M. H... qui lui avait confirmé les faits et relaté un incident survenu dans son bureau, après convocation de Mme E... et de M. G... en vue d'une conciliation, M. G... ayant proféré des insultes à l'encontre de Mme E.... Le contrôleur du travail indiquait avoir également rencontré le 31 juillet 2015 deux salariées de l'office du tourisme qui lui avaient confirmé un climat pernicieux ainsi que des agissements contraires à l'épanouissement professionnel de Mme E.... Il concluait à l'existence d'une situation de risque psychosociaux et de harcèlement.

19. Mme E... précisait que le 16 septembre 2014 au matin, M. G... s'était présenté au point information et avait essayé de la frapper après avoir arraché des posters fixés sur une cloison, en présence de plusieurs témoins dont elle précisait l'identité. Elle indiquait en avoir avisé M. H... et Mme A... et avoir posé une semaine de congés du 18 au 25 septembre 2014 afin que la situation se calme. Elle indiquait toutefois que, le 17 septembre 2014, M. G..., après l'avoir contactée téléphoniquement pour la menacer, s'était présenté à l'office et l'avait interpellée, injuriée et menacée devant toutes les personnes présentes, au nombre desquels figurait un estivant, M. I.... Elle a versé au dossier la copie du courriel adressé le 17 septembre 2014 à M. H..., à Mme A..., vice-présidente de l'office, et M. F..., membre du comité de direction de l'office, dénonçant ces faits. Elle a produit également une attestation établie le 20 novembre 2014 par M. I... qui indiquait être en vacances, s'être arrêté à l'office pour prendre des renseignements et avoir assisté à une scène surréaliste en voyant arriver un homme qui avait commencé à " prendre à partie, très violemment avec des termes choquants et totalement inadmissibles, une dame " qui lui avait ensuite été présentée comme la directrice et à l'encontre de laquelle il avait entendu cet homme proférer insultes et menaces.

20. Enfin, Mme E... verse son procès-verbal d'audition du 6 avril 2015 où elle dénonce de nouvelles manoeuvres d'intimidation de la part de M. G... le 3 avril 2015 alors qu'elle circulait à bord de son véhicule et que ce dernier, au volant de sa Ferrari, la " collait " volontairement, ainsi que trois mains courante du 2 octobre 2014 où elle dénonçait déjà les faits.

21. Les éléments de fait circonstanciés, dénoncés par Mme E... et corroborés par les pièces qu'elle produit, sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral.

22. Il incombe dès lors à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

23. Si la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano fait valoir que le bureau de Mme E... ne se trouvait pas à l'accueil mais à proximité pour des raisons d'agencement des lieux et conteste de manière générale la valeur probante des pièces produites par Mme E..., elle ne verse aucune pièce de nature à démontrer que les multiples agissements en cause seraient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Ainsi, elle se borne à produire la copie du blâme infligé le 11 juillet 2014 à Mme E... pour des faits de " projection d'un téléphone portable au visage du président devant témoin " ainsi qu'un avis de classement sans suite décidé le 9 janvier 2016 par le procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Ajaccio faisant suite à des faits de " discrimination / exploitation de personnes vulnérables " dénoncés dans un procès-verbal de plainte de Mme E... dressé le 26 décembre 2015 par la brigade de proximité de Cauro et dont l'objet apparaît distinct des faits dénoncés par cette dernière dans son procès-verbal de plainte pour harcèlement moral et menaces établi le 29 novembre 2014. En tout état de cause, la circonstance que la plainte déposée par la victime aurait été classée sans suite par le procureur de la République n'est pas de nature, à elle-seule, à enlever aux faits ni leur matérialité, ni leur gravité.

24. Il résulte de tout ce qui précède que le comportement de son employeur à l'égard de Mme E... caractérise, dans les circonstances de l'espèce, un harcèlement moral. Cette dernière a droit à la réparation intégrale de son préjudice.

25. Eu égard aux responsabilités de Mme E..., à son ancienneté, aux circonstances des faits de harcèlement auxquels elle a été exposée et à leur retentissement, l'intéressée ayant notamment été placée en congé pour maladie du 10 juin 2014 au 31 août 2014 ainsi que depuis le 26 septembre 2014, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles de toute nature qu'elle a subis dans ses conditions d'existence en les évaluant à la somme de 25 000 euros. Il y a donc lieu de condamner son employeur à lui verser cette somme.

Sur les conclusions relatives au refus de protection fonctionnelle :

26. En premier lieu, si la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano fait valoir que le vice-président de l'office était incompétent pour connaître de la demande présentée par Mme E..., il lui incombait, en tout état de cause, de la transmettre au président, s'agissant d'autorités relevant d'une même personne morale.

27. En second lieu, aux termes de l'article 11 de la même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

28. Il résulte de l'instruction que la demande présentée par Mme E... le 26 mai 2015 tendait au bénéfice de la protection fonctionnelle en raison des faits de harcèlement moral dont elle s'estimait victime de la part de M. G.... Eu égard à ce qui a été dit aux points 14 à 24, comme l'ont à juste titre relevé les premiers juges, les faits dénoncés par l'intéressée à l'appui de sa demande de protection fonctionnelle relevaient du champ d'application des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983. Ainsi c'est à juste titre que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont annulé la décision implicite contestée rejetant la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme E....

Sur les frais d'instance :

29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mises à la charge de Mme E..., qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano la somme de 2 000 euros à verser à Mme E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1500910, 1700121 du tribunal administratif de Bastia en date du 13 avril 2017 est annulé.

Article 2 : La communauté de communes de la Pieve de l'Ornano, venant aux droits de l'office de tourisme de Porticcio, est condamnée à verser à Mme E... la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices subis par cette dernière.

Article 3 : La communauté de communes de la Pieve de l'Ornano versera à Mme E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté de communes de la Pieve de l'Ornano et à Mme J... B... épouseE....

Délibéré après l'audience du 4 septembre 2018, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- Mme Tahiri, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 septembre 2018.

N° 17MA01979 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA01979
Date de la décision : 18/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Samira TAHIRI
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : STRABONI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-09-18;17ma01979 ?
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