Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales (FRENE 66) et M. A... D...ont demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 3 février 2015 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé à la société Provençale SA une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées, dans le cadre de la réouverture de la carrière Nau Bouques sur le territoire des communes de Vingrau et Tautavel.
Par un jugement n° 1502035 du 3 mai 2016, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté précité du 3 février 2015.
Procédure devant la Cour :
Par un recours, enregistré le 4 juillet 2016, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de rejeter la demande présentée par la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. D....
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- ce jugement est entaché d'une erreur de droit pour avoir omis de procéder à une mise
en balance entre, d'une part, l'intérêt public du projet d'extension de la carrière et, d'autre part, l'objectif de conservation des espèces protégées ;
- l'intérêt économique du projet d'exploitation d'une carrière située sur le territoire des
communes de Tautavel et de Vingrau, lequel permet notamment d'assurer la sauvegarde de quatre-vingt emplois dans un département connaissant un fort taux de chômage, constitue une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ;
- l'importance des mesures compensatoires envisagées permet d'obtenir un bilan global
équilibré en termes d'impact pour les populations d'espèces protégées concernées.
Par un mémoire enregistré le 19 décembre 2016, la société Provençale SA conclut à l'annulation du jugement du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Montpellier, au rejet des demandes présentées par la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. D... et à ce que soit mise à leur charge la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le projet d'exploitation de la carrière de Nau Bouques présente un intérêt économique majeur pour la pérennisation de l'emploi dans un département gravement affecté par le chômage et le maintien d'une importante activité d'exportation de calcaires blancs ;
- il n'existe aucune autre solution alternative permettant l'exploitation de gisement de calcaire présentant les mêmes caractéristiques de blancheur et de pureté.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 décembre 2016, la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. D... concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge solidaire de l'Etat et de la société Provençale SA d'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- l'association au regard de son objet social et M. D..., habitant de la commune de Vingrau, ont intérêt à agir dans le cadre du présent litige ;
- les moyens soulevés par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ne sont pas fondés ;
- ils s'en rapportent à l'ensemble de leurs écritures produites en première instance
quant à l'illégalité de l'arrêté du 3 février 2015.
Les parties ont été informées en application de dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par la société Provençale SA.
Par un mémoire enregistré le 22 décembre 2016, non communiqué, la société Provençale SA a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Féménia,
- les conclusions de M. Chanon,
- les observations de M. C... représentant le ministre de la transition écologique et solidaire, de Mme B..., représentant la société Provençale SA et de M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 3 février 2015, le préfet des Pyrénées-Orientales a délivré à la société Provençale SA une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées pour l'exploitation de la carrière Nau Bouques à Vingrau et Tautavel. Le ministre l'environnement, de l'énergie et de la mer relève appel du jugement du 3 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté.
Sur la recevabilité des conclusions de la société Provençale SA :
2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. ".
3. La société Provençale SA a produit un mémoire dans lequel elle conclut à l'annulation du jugement attaqué. Ce mémoire ne peut cependant être considéré comme une requête d'appel recevable, dès lors qu'il n'a été enregistré au greffe de la Cour qu'après l'expiration du délai d'appel. La circonstance que ce mémoire a été produit en réponse à la communication du recours par le greffe de la Cour pour d'éventuelles observations n'a pas davantage pour effet de conférer à la société Provençale SA la qualité de partie à l'instance d'appel. Enfin, une intervention au soutien du recours du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer présentée par la société Provençale SA, qui avait la qualité de défendeur en première instance, ne peut davantage être admise. Il suit de là que la société Provençale SA ne peut avoir d'autre qualité dans l'instance que celle d'observatrice. A ce titre, si elle peut faire valoir tout éclaircissement de fait et de droit dans le cadre du débat contentieux tel qu'il est délimité par les conclusions et les moyens des parties, elle n'est, en revanche, pas recevable à présenter des conclusions ou des moyens qui lui soient propres.
Sur la régularité du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
5. Le jugement attaqué expose que le projet de création d'une carrière, nonobstant son intérêt économique et social prévoyant la création de quatre-vingt emplois et un volume annuel de 145 000 tonnes de calcaire blanc, ne saurait, par ses caractéristiques et sa nature, eu égard notamment à la portée très locale de l'intérêt économique avancé, être regardé comme constituant une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Les premiers juges qui n'étaient pas tenus de répondre à chacun des arguments, ont suffisamment motivé leur jugement sur ce point. La justesse de ce raisonnement relève non pas de la régularité du jugement mais du bien-fondé de ce dernier.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. Le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte une série d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Figurent ainsi, au 1° de cet article, " La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ", et au 2° du même article, " La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ". Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies les trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement. Parmi ces motifs, figure : " c) (...) l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou (pour) d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et (pour) des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".
7. Il résulte de ces dispositions qu'un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
8. Afin de justifier l'intérêt public majeur du projet, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer fait valoir que l'exploitation de la carrière de Nau-Bouques devrait permettre le maintien de plus de quatre-vingt emplois directs dans un département dont le taux de chômage, d'environ 15 %, est supérieur à la moyenne nationale de 10,4 % ainsi que la création d'emplois indirects, notamment dus à la sous-traitance et l'activité économique générée dans le département des Pyrénées-Orientales par l'exploitation de la carrière. Il fait également valoir que ce projet s'inscrit dans les principales préoccupations des politiques économiques menées à l'échelle de l'Union Européenne qui visent à favoriser l'approvisionnement durable de secteurs d'industrie en matières premières en provenance de sources européennes. Au regard de ces considérations économiques et sociales, l'exploitation de la carrière de Nau Bouques présente un caractère d'intérêt général incontestable. Néanmoins, les créations d'emplois envisagées dans ce contexte de difficulté économique au niveau départemental et les besoins industriels à satisfaire en marbre blanc à partir de ce gisement à une échelle nationale voir même européenne comme il est prétendu mais dont les pièces du dossier ne démontrent pas le caractère indispensable, ne présentent pas un caractère exceptionnel. Dans ces conditions, ce projet ne répond pas à une raison impérative d'intérêt public majeur suffisante pour justifier, en l'espèce, l'atteinte portée par ce projet au maintien dans un état de conservation favorable des populations d'espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle alors même que l'arrêté en litige aurait intégré des préoccupations environnementales. Par suite, la dérogation accordée par l'arrêté du 3 février 2015 ne peut être regardée comme justifiée par l'un des motifs énoncés au c) du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
9. Il résulte de ce tout ce qui précède que le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 3 mai 2016, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 3 février 2015.
Sur les frais liés au litige :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser globalement à la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
12. La société Provençale SA, observatrice à l'instance, n'a pas qualité de partie ; que, par suite, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le recours du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer est rejeté.
Article 2 : Il est mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser globalement à la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société Provençale SA tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et solidaire, à la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et à M. A... D...
Copie en sera adressée à la société Provençale SA et au préfet des Pyrénées-Orientales.
Délibéré après l'audience du 31 août 2018, où siégeaient :
- M. Pocheron, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme Féménia, première conseillère.
Lu en audience publique, le 14 septembre 2018.
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N° 16MA02625
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