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11/07/2018 | FRANCE | N°17MA01824

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, Chambres réunies, 11 juillet 2018, 17MA01824


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 20 novembre 2015 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes lui a interdit de se rendre à la salle de prière " Institut Meriem " à Valbonne.

Par un jugement n° 1600207 du 7 février 2017, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 20 novembre 2015.

Procédure devant la Cour :

Par un recours enregistré le 28 avril 2017, le ministre de l'intérieur demande à la

Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 7 février 2017.

Il soutient ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 20 novembre 2015 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes lui a interdit de se rendre à la salle de prière " Institut Meriem " à Valbonne.

Par un jugement n° 1600207 du 7 février 2017, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 20 novembre 2015.

Procédure devant la Cour :

Par un recours enregistré le 28 avril 2017, le ministre de l'intérieur demande à la Cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 7 février 2017.

Il soutient que :

- le 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 donnait compétence au préfet des Alpes-Maritimes pour prendre une telle décision d'interdiction de paraître ;

- aucun des moyens invoqués en première instance par le requérant contre cette décision n'est fondé.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 septembre 2017.

Les parties ont été informées le 1er février 2018, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité du 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence par la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017, sur les instances en cours dans lesquelles est appliquée cette disposition.

Le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a présenté le 21 février 2018 des observations en réponse au moyen susceptible d'être relevé d'office par la Cour.

Il soutient qu'à défaut de précision expresse, le Conseil constitutionnel n'a pas entendu remettre en cause les effets que les dispositions déclarées contraires à la Constitution ont produits avant la date de leur abrogation différée au 15 juillet 2017.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 avril 2018, M.A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le préfet était incompétent pour prendre une telle mesure de police ;

- la décision est insuffisamment motivée ;

- l'interdiction édictée ne repose sur aucun fait réel ;

- le motif tiré d'une prétendue apologie du terrorisme et de l'extrémisme est erroné ;

- la mesure prise est disproportionnée.

Par une ordonnance du 30 mai 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 juin 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment ses articles 61-1 et 62 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hameline,

- et les conclusions de M. Revert, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 20 novembre 2015, le préfet des Alpes-Maritimes a interdit à M. B... A... de se rendre à la salle de prière de l'Institut Meriem située 2 rue Henri Barbara à Valbonne. Sur demande de M.A..., le tribunal administratif de Nice a annulé cette décision par un jugement du 7 février 2017, dont le ministre de l'intérieur relève appel.

2. En application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain et en Corse. L'article 1er du décret n° 2015-1476 du même jour a précisé que les mesures prévues à l'article 5 de cette loi pouvaient être mises en oeuvre sur l'ensemble du territoire métropolitain à compter du 14 novembre 2015.

3. Selon l'article 5 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " La déclaration de l'état d'urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie compris dans une circonscription prévue à l'article 2 : / 1° D'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ; / 2° D'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ; / 3° D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics ".

4. Il résulte des termes de la décision en litige ainsi que des autres pièces du dossier que la mesure d'interdiction de se rendre à la salle de prière de l'Institut Meriem à Valbonne, prise à l'égard de M. A...le 20 novembre 2015 à la suite de la déclaration de l'état d'urgence, est fondée sur le 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955, comme le confirment au demeurant tant le préfet des Alpes-Maritimes que le ministre de l'intérieur dans leurs écritures.

5. Toutefois, le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution prévoit que : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ". Le troisième alinéa du même article précise que " Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ".

6. Par une décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré le 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 contraire à la Constitution. S'il a reporté la date d'abrogation de cette disposition au 15 juillet 2017 en application du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, il a rappelé au point 8 de sa décision les principes selon lesquels la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de sa décision. Il n'a fixé aucune autre modalité particulière relative aux conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a déjà produits sont susceptibles d'être remis en cause.

7. La mesure prise par le préfet des Alpes-Maritimes à l'égard de M. A... constitue une décision administrative individuelle. Elle n'entre pas, eu égard à son objet et compte tenu des motifs pour lesquels le Conseil constitutionnel a déclaré le 3° de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 contraire à la Constitution, dans l'un des cas où, par exception au principe rappelé au point précédent, il appartiendrait au juge de faire application de la disposition déclarée inconstitutionnelle. Dès lors, il y a lieu d'écarter d'office, pour le règlement du litige, l'application des dispositions inconstitutionnelles. La décision du préfet des Alpes-Maritimes interdisant à M. A...de se rendre dans la salle de prière de l'Institut Meriem à Valbonne est, dès lors, dépourvue de base légale.

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du préfet des Alpes-Maritimes du 20 novembre 2015.

D E C I D E :

Article 1er : Le recours du ministre de l'intérieur est rejeté.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. B... A....

Copie pour information en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2018, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- M. Bocquet, premier vice-président de la Cour,

- M. Marcovici, président-assesseur,

- Mme Steinmetz-Schies, président-assesseur, président de chambre par intérim,

- Mme Hameline, premier conseiller,

- M. Grimaud, premier conseiller,

- M. Gautron, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 11 juillet 2018.

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N° 17MA01824


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : Chambres réunies
Numéro d'arrêt : 17MA01824
Date de la décision : 11/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Police - Aggravation exceptionnelle des pouvoirs de police - État d'urgence.

Procédure.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Marie-Laure HAMELINE
Rapporteur public ?: M. REVERT
Avocat(s) : GUEZ GUEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-07-11;17ma01824 ?
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