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10/07/2018 | FRANCE | N°16MA02556

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre, 10 juillet 2018, 16MA02556


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Canferin a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Bernis à lui verser la somme de 517 013 euros en réparation du préjudice résultant, selon elle, de la faute commise par le maire de la commune de Bernis en ayant retiré illégalement un permis de construire dont elle était bénéficiaire.

Par un jugement n° 1402008 du 3 mai 2016, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par

une requête, enregistrée le 29 juin 2016, et un mémoire complémentaire, enregistré le 16 novembre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Canferin a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Bernis à lui verser la somme de 517 013 euros en réparation du préjudice résultant, selon elle, de la faute commise par le maire de la commune de Bernis en ayant retiré illégalement un permis de construire dont elle était bénéficiaire.

Par un jugement n° 1402008 du 3 mai 2016, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 juin 2016, et un mémoire complémentaire, enregistré le 16 novembre 2016, La SCI Canferin, représentée par Me A..., demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la commune de Bernis à lui verser la somme de 193 600 euros en réparation de son entier préjudice, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception par la commune de sa réclamation préalable, soit le 30 novembre 2012, et de la capitalisation des intérêts à la date du 30 novembre 2013 puis à chaque échéance annuelle ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Bernis la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal administratif n'a pas pris en compte les éléments nouveaux contenus dans une note en délibéré et a ainsi méconnu le principe du contradictoire ;

- toute illégalité est nécessairement fautive ;

- l'arrêté du 2 juin 2008 par lequel le maire de la commune de Bernis a retiré les permis de construire dont elle était bénéficiaire a été annulé en raison de la méconnaissance de l'article I NA I du règlement du plan d'occupation des sols et cette illégalité est la cause certaine et directe du préjudice qu'elle a subi, résultant du retard important qui en a découlé dans la réalisation de son opération immobilière ;

- elle a été contrainte d'attendre l'issue de la procédure jusqu'au Conseil d'Etat pour commercialiser ses biens ;

- elle disposait d'un permis de construire tacite et a déposé le 4 mars 2008 sa déclaration d'ouverture de chantier ;

- le planning des travaux prévoyant une durée de travaux de cinq mois, ceux-ci auraient dus être achevés le 4 août 2008 et ce n'est que le 10 février 2014 qu'elle a pu déposer la déclaration d'achèvement des travaux, soit avec un retard de 5 ans et 6 mois ;

- il ressort des attestations notariales produites que les ventes ont été réalisées pour l'essentiel à la date du 31 août 2013 et cette date doit donc être prise en compte pour l'évaluation du préjudice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2016, la commune de Bernis, représentée par la SCP d'avocats Margall-d'Albenas, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de La SCI Canferin la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable car elle ne comprend pas de conclusions aux fins d'annulation du jugement attaqué et n'est pas accompagnée de ce jugement ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Portail,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., représentant la commune de Bernis.

1. Considérant que la SCI Canferin a obtenu un permis de construire tacite pour la transformation d'un immeuble à usage artisanal, édifié sur un terrain situé 1 rue nationale, sur le territoire de la commune de Bernis, en un bâtiment d'habitations comportant 24 logements d'une surface hors œuvre nette de 947 m² ; que, par un arrêté du 2 juin 2008, le maire de la commune de Bernis a retiré ce permis de construire tacite en raison de son illégalité, au motif qu'il méconnaîtrait les dispositions de l'article 1NA 1 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune ; que, par un jugement du 12 mars 2010, confirmé le 31 mai 2012 par la cour administrative d'appel de Lyon, le tribunal administratif de Nîmes a annulé cette décision au motif que le permis de construire tacite n'étant entaché d'aucune illégalité, le retrait de ce permis de construire était illégal ; que la SCI Canferin a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Bernis à réparer le préjudice qu'elle soutient avoir subi du fait du retrait illégal du permis de construire tacite dont elle était titulaire ; que, par un jugement du 3 mai 2016, dont La SCI Canferin relève appel, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande ;

Sur les fins de non recevoir opposées par la commune de Bernis à la requête d'appel :

2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de la requête d'appel que la SCI Canferin demande l'annulation du jugement du 3 mai 2016 et la condamnation de la commune de Bernis à lui verser la somme de 517 013 euros et qu'elle ne se borne pas à reproduire intégralement et exclusivement le texte de son mémoire de première instance ; que la fin de non recevoir tirée de ce que la requête ne répondrait pas aux dispositions combinées des articles R. 411-1 et R. 811-13 du code de justice administrative doit être écartée ;

3. Considérant, en second lieu, que le jugement attaqué est joint à la requête d'appel ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Considérant que, lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant de l'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ;

5. Considérant que la SCI Canferin a produit devant le tribunal administratif de Nîmes une note en délibéré, enregistrée le 13 avril 2016, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public ; que cette note en délibéré, qui était accompagnée d'attestations notariales relatives à des transactions immobilières intervenues en 2013, et d'une étude financière réalisée par un expert-comptable et portant sur l'évaluation de pertes de revenus pour la période courant du 31 novembre 2012 au 31 décembre 2014, ne comportait pas l'exposé d'une circonstance de fait dont la requérante n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction ; que, dès lors, le tribunal administratif de Nîmes, qui a visé cette note en délibéré, n'était pas tenu de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments qu'elle contenait ;

Sur les fins de non recevoir opposées par la commune de Bernis à la demande de première instance :

6. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de l'examen de la demande de première instance présentée par la SCI Canferin que celle-ci fondait sa demande sur la faute commise par la commune de Bernis en ayant illégalement retiré le permis de construire dont elle était bénéficiaire et qu'elle demandait la condamnation de la commune à l'indemniser du préjudice qui lui avait causé le retard dans la réalisation de son projet immobilier ; que la fin de non recevoir tirée de ce que la demande de première instance ne comportait ni conclusions ni moyens doit, dès lors, être écartée ;

7. Considérant, en second lieu, que la demande de première instance a été présentée par la SCI Canferin, prise en la personne de son gérant, M. C... ; que, par suite, la fin de non recevoir tirée de ce que SCI ne justifiait pas d'une qualité pour agir doit être écartée ;

Sur la responsabilité et le préjudice :

8. Considérant qu'en retirant illégalement le permis de construire tacite dont bénéficiait La SCI Canferin, le maire de la commune de Bernis a commis une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ; que toutefois, la victime d'une faute commise par l'administration n'est fondée à demander réparation que des seuls préjudices directs et certains découlant de cette faute ;

9. Considérant que La SCI Canferin, qui se borne à produire des attestations notariales relatives à des transactions effectuées en 2013, et à faire état de contacts noués avec des agences immobilières pour envisager la location des appartements fin 2012 et début 2013, ne justifie pas qu'elle avait pour projet de louer les appartements, objet de son permis de construire ayant fait l'objet du retrait illégal ; que le préjudice consistant dans une perte locative n'est, dès lors, pas établi ;

10. Considérant, en revanche, qu'il ressort des attestations notariales produites par la SCI Canferin et de l'étude réalisée par M. E..., expert comptable, que la requérante a vendu en 2013 les logements réalisés dans l'immeuble objet du retrait de permis de construire annulé, pour un montant total de 2 197 800 euros ; qu'il résulte de l'instruction que la mise en œuvre du permis de construire obtenu par la requérante devait débuter en août 2008 ; que la procédure contentieuse relative au retrait de permis de construire a pris fin par la décision du 7 novembre 2012 par laquelle le Conseil d'Etat a donné acte à la commune de Bernis de son désistement ; que, compte tenu du délai nécessaire pour réorganiser le planning des travaux, le retard imputable à la faute commise par la commune de Bernis doit être regardé comme s'étendant jusqu'au 30 mai 2013 ; qu'eu égard au revenu que la SCI Canferin aurait pu retirer du placement d'une somme de 2 197 800 euros sur une période de près de 5 ans, compte tenu des taux moyens de rémunération des dépôts bancaires sur cette période, il sera fait une juste appréciation de son préjudice financier en condamnant la commune de Bernis à lui verser la somme de 150 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

11. Considérant que la somme de 150 000 euros, visée au point précédent, portera intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2012, date de la réception de la réclamation préalable de la SCI Canferin par la commune de Bernis ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par la SCI Canferin, dans son mémoire enregistré le 27 mai 2015 devant le tribunal administratif de Nîmes; qu'à cette date, au moins une année d'intérêts était due ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 27 mai 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SCI Canferin est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué et la condamnation de la commune de Bernis à lui verser la somme 150 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2012 et ces intérêts étant capitalisés à compter du 27 mai 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la SCI Canferin, qui n'est dans la présente instance, ni partie perdante ni tenue aux dépens, la somme que la commune de Bernis demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Bernis la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCI Canferin et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 2 : La commune de Bernis est condamnée à verser la somme de 150 000 euros à la SCI Canferin. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2012. Les intérêts échus à la date du 27 mai 2015, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La commune de Bernis versera à la SCI Canferin la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Bernis sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Canferin et à la commune de Bernis.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2018, où siégeaient :

- Mme Buccafurri, présidente,

- M. Portail, président-assesseur,

- Mme B..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 10 juillet 2018.

2

N° 16MA02556


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 16MA02556
Date de la décision : 10/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de l'urbanisme - Permis de construire.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère certain du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : Mme BUCCAFURRI
Rapporteur ?: M. Philippe PORTAIL
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : REDAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-07-10;16ma02556 ?
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