Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile immobilière (SCI) JT a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Marseille à lui verser une somme de 18 410 811,05 euros, assortie des intérêts au taux légal et les intérêts étant capitalisés, en réparation de préjudices résultant de l'exercice fautif du droit de préemption urbain sur un ensemble industriel situé 287 chemin de la Madrague-Ville.
Par un jugement n° 1304186 du 24 février 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour avant renvoi :
Par une requête, enregistrée le 24 avril 2015, complétée par un mémoire, enregistré le 26 février 2016, la SCI JT, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 février 2015 ;
2°) de condamner la commune de Marseille à lui verser la somme de 18 410 811,05 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2013 et de leur capitalisation à compter du 9 mars 2014 puis à chaque échéance annuelle, à parfaire en fonction du préjudice de pertes de loyers subi à compter du 1er janvier 2013 et jusqu'à la restitution et reconstruction du bien ;
3°) subsidiairement, de désigner un expert afin de déterminer la valeur locative du bien concerné et le montant des loyers perçus par la commune de Marseille, et d'établir le préjudice résultant de la préemption illégale et du maintien fautif dans les lieux de la commune ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Marseille une somme de 5 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'illégalité de la décision de préemption est la cause directe et certaine de la perte des loyers qu'elle aurait dû percevoir par transfert des baux conclus par le vendeur sur 11 des 13 lots de l'immeuble ;
- le tribunal aurait dû tenir compte de la poursuite des baux commerciaux en cours dans l'immeuble préempté, d'où un préjudice de perte de chance ;
- à supposer même que les preneurs aient donné congé dès l'acquisition de l'immeuble, ils devaient au propriétaire une somme de 340 000 euros par application de l'article L. 145-9 du code de commerce ;
- les premiers juges ont considéré à tort que le préjudice ne pouvait consister en la valeur locative brute des locaux, alors que les baux commerciaux font peser exclusivement sur le preneur la charge de l'entretien et de la fiscalité de l'immeuble ;
- elle a toujours maintenu son intention d'acquérir le bien ;
- la commune de Marseille, qui ne lui a pas rétrocédé le bien malgré ses démarches, a au contraire détruit une grande partie des locaux loués, ce qui lui crée un préjudice supplémentaire ;
- la prescription quadriennale ne peut s'appliquer à sa créance et lui a été en outre irrégulièrement opposée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2015, la commune de Marseille, conclut à la confirmation du jugement contesté, au rejet de la requête de la SCI JT, et à ce que soit mise à la charge de celle-ci une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de la SCI JT est irrecevable ;
- la créance dont se prévaut la requérante était prescrite à compter du 31 décembre 2007 en vertu de la loi du 31 décembre 1968 ;
- la décision de préemption litigieuse étant justifiée au fond par un projet d'intérêt général, elle n'a commis aucune faute susceptible d'ouvrir droit à réparation à la SCI JT ;
- la caducité de la promesse de vente fait obstacle à ce que la requérante se prévale d'un quelconque droit sur le bien préempté ;
- la SCI JT ne démontre aucun préjudice réel et certain ;
- les bâtiments présents sur le terrain étaient vétustes, présentaient des risques et ne pouvaient être conservés sans un coût prohibitif ;
- l'expertise sollicitée est inutile.
Par un arrêt n° 15MA01713 du 19 mai 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la SCI JT.
Par une décision n° 401612 du 26 octobre 2017, le Conseil d'État, statuant au contentieux, sur pourvoi de la SCI JT, a annulé cet arrêt en tant qu'il omet de statuer sur les conclusions de la société civile immobilière JT fondées sur la faute commise par la commune de Marseille à n'avoir pas exécuté l'injonction prononcée par le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1005952 du 22 mars 2012, et a renvoyé dans cette seule mesure à la Cour le jugement de la requête présentée par la SCI JT.
Procédure devant la Cour après renvoi :
Par un mémoire, enregistré le 25 janvier 2018, la SCI JT, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1304186 du 24 février 2015 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner la commune de Marseille à lui payer la somme de 18 410 811,05 euros en réparation du préjudice consécutif, selon elle, à la faute de la commune consistant à n'avoir pas exécuté l'injonction prononcée par le jugement n° 1005952 du 22 mars 2012 du tribunal administratif de Marseille, cette somme devant porter intérêt au taux légal à compter du 8 mars 2013 avec capitalisation de ces intérêts à compter du 9 mars 2014, somme à parfaire à compter du 1er janvier 2013 à raison de perte de loyers et jusqu'à la date de restitution des biens et droits immobiliers illégalement préemptés et jusqu'à la reconstruction aux frais exclusifs de la commune de Marseille des locaux volontairement détruits par cette dernière ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Marseille la somme de 5 400 euros à lui verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en n'exécutant pas l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 mars 2012, la commune de Marseille a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- cette faute l'a privée de la possibilité de mettre en oeuvre les droits à bâtir attachés à la parcelle résultant du plan d'occupation des sols, puis du plan local d'urbanisme approuvé le 28 juin 2013 ;
- le préjudice subi de ce chef peut être évalué au minimum à la somme de 6,4 millions d'euros auquel s'ajoute celui tiré de l'impossibilité d'obtenir un permis de construire permettant une reconstruction à l'identique des bâtiments détruits par la commune ;
- la Cour pourra décider la désignation d'un expert pour déterminer justement le préjudice considérable subi.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 8 et 9 février 2018, la commune de Marseille, représentée par la société civile professionnelle d'avocats Cabinet FrançoisB..., Grégoire B...et VirginieB..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'appelante la somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'elle maintient l'argumentation développée dans le mémoire en défense enregistré avant renvoi et soutient, en outre, que :
- la seule conséquence de l'exécution tardive du jugement de 2012 ne pouvant être que le recouvrement de l'astreinte ordonnée, le mémoire de l'appelante est sans objet ;
- si l'appelante considère que l'offre est tardive, elle n'établit pas les préjudices subis de ce fait ;
- les juridictions civiles ont déjà été saisies des demandes indemnitaires de l'appelante et les ont rejetées ;
- les diverses études menées, et en dernier lieu le rapport du cabinet d'expertise Détreminant établi le 2 mars 2017, attestent que, compte tenu de l'état des bâtiments qui se trouvaient sur le site, tout autre propriétaire que la ville aurait, comme elle, été contraint d'engager à bref délai des travaux de démolition et de reconstruction et qu'ainsi ils n'auraient pu générer aucun revenu locatif ;
- l'appelante demande la même somme quelles que soient les procédures et alors que les préjudices invoqués sont différents selon chacune des procédures ;
- elle tente en réalité d'obtenir une somme en réparation d'un prétendu préjudice découlant d'une préemption illégale, dont elle a déjà été déboutée tant par le juge civil que par le juge administratif, et non d'un retard de proposition de prix de rétrocession ;
- la proposition de prix faite par la commune a été refusée par la société JT et ainsi, seul le juge de l'expropriation est compétent et a d'ailleurs été saisi ;
- la demande d'expertise est totalement inutile ;
- aucun préjudice ne découle de la proposition tardive du prix de rétrocession ;
- la sommation interpellative du 8 mars 2013 n'est accompagnée d'aucun élément justifiant chacun des prétendus postes de préjudices subis ;
- la perte locative prétendue n'est fondée ni dans son principe, ni dans son montant ;
- l'immobilisation d'une somme d'1,5 millions d'euros n'est pas prouvée ;
- la juridiction administrative n'est pas compétente pour apprécier le prix de rétrocession.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Busidan,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,
- et les observations de Me A... représentant la SCI JT et Me B... représentant la commune de Marseille.
1. Considérant que, par un jugement du 22 mars 2012, le tribunal administratif de Marseille a annulé pour excès de pouvoir la décision du 27 août 2003 par laquelle le maire de la commune de Marseille a exercé le droit de préemption urbain sur une parcelle cadastrée section M n° 48 comportant des bâtiments à usage d'entrepôts et de bureaux située 287 chemin de la Madrague-Ville, dont la SCI JT s'était portée acquéreur et a enjoint à la commune de Marseille de proposer à la SCI JT, dans le délai de deux mois suivant la notification de ce jugement, la rétrocession des parcelles préemptées au prix de la déclaration d'intention d'aliéner reçue par la commune en avril 2003, ce prix étant modifié afin de prendre en compte la démolition partielle de bâtiments existants sur la parcelle ; que ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 5 décembre 2013 devenu définitif ; que la SCI JT a demandé au tribunal administratif de Marseille, après sommation interpellative à la commune du 8 mars 2013 demeurée sans réponse, la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision de préemption et des agissements consécutifs de la commune de Marseille pour un montant total de 18 410 811,05 euros ; que le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande par un jugement du 24 février 2015 ; que l'appel relevé par la SCI JT contre ce jugement a été rejeté par un arrêt de la présente Cour rendu le 19 mai 2016 ; que, sur pourvoi de la SCI JT, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il omet de statuer sur les conclusions de la société civile immobilière JT fondées sur la faute commise par la commune de Marseille à n'avoir pas exécuté l'injonction prononcée par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 mars 2012, et, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, a renvoyé l'affaire à la Cour par une décision du 26 octobre 2017 ;
Sur les conclusions tendant à la réparation des préjudices résultant du retard mis par la commune de Marseille à exécuter l'injonction prononcée par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 mars 2012 :
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par un arrêt rendu le 6 avril 2016, la présente Cour, dans le cadre de la procédure juridictionnelle ouverte après saisine, par la SCI JT, d'une demande d'exécution de l'injonction ordonnée par le tribunal dans son jugement du 22 mars 2012, a fixé à l'encontre de la commune de Marseille une astreinte de 500 euros par jour, à compter de l'expiration du délai d'un mois suivant la notification de son arrêt, si la commune ne justifiait pas avoir exécuté l'article 2 de ce jugement portant sur l'injonction précitée ; que, par un second arrêt du 23 mars 2017, la présente Cour a jugé que " même si les propositions de rétrocession sont intervenues avec un léger retard par rapport au délai imparti par la Cour, la commune de Marseille doit être regardée comme ayant entièrement exécuté l'injonction prononcée par le tribunal administratif ", la commune de Marseille ayant proposé un prix de rétrocession du bien tenant compte de la démolition partielle de bâtiments existants sur la parcelle, puis, ayant saisi le juge de l'expropriation pour qu'il fixe ce prix de rétrocession en application des dispositions de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme en raison d'un désaccord persistant entre les parties sur ce prix ; qu'il résulte néanmoins de la chronologie des faits ci-dessus rappelée que la commune de Marseille a exécuté l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Marseille avec un retard de plus de quatre ans sur le délai que le tribunal lui avait imparti pour proposer à la SCI JT un prix de rétrocession répondant aux conditions fixées par le jugement ; que, contrairement à ce que soutient la commune de Marseille, un délai excessif dans l'exécution d'une décision juridictionnelle peut engager la responsabilité de la personne à qui incombait cette exécution ; qu'en l'espèce, le délai sus-évoqué constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Marseille ;
3. Considérant, toutefois, que l'appelante n'établit pas l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le retard mis par la commune à lui proposer un prix de rétrocession du bien illégalement préempté et les seuls préjudices financiers qu'elle allègue et qu'elle définissait comme relatifs à l'impossibilité de jouir des fruits du bien lui revenant de droit avant la décision précitée du 26 octobre 2017 du Conseil d'Etat, et qu'elle définit depuis cette même décision comme relatifs à la disparition de toute possibilité de valorisation de l'ensemble immobilier ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la commune de Marseille ni l'exception de prescription quadriennale, la SCI JT n'est pas fondée à demander la réparation de ces préjudices ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'appelante n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions de la demande ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Marseille, qui n'est, dans la présente instance, ni partie perdante ni tenue aux dépens, la somme que demande la SCI JT au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'en revanche, sur le fondement de ces mêmes dispositions et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI JT le versement à la commune de Marseille d'une somme de 2 000 euros au titre de ces mêmes frais ;
D É C I D E :
Article 1er : Les conclusions de la requête de la SCI JT tendant à la réparation des préjudices résultant du retard mis par la commune de Marseille à exécuter l'injonction prononcée par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 mars 2012 et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 2 : La SCI JT versera la somme de 2 000 euros à la commune de Marseille en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière JT et à la commune de Marseille.
Délibéré après l'audience du 29 mai 2018, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président-assesseur,
- Mme Busidan, première conseillère.
Lu en audience publique, le 12 juin 2018.
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N° 17MA04360