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09/04/2018 | FRANCE | N°16MA01078

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 09 avril 2018, 16MA01078


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 16 mai 2013 par lequel le préfet de police des Bouches-du-Rhône a prononcé la fermeture administrative de l'établissement " Dos Hermanas " pour une durée d'un mois.

Par un jugement n° 1303918 du 20 janvier 2016, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 mars 2016 sous le numéro 16MA01078, Mme E... représentée par Me D.

.., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 16 mai 2013 par lequel le préfet de police des Bouches-du-Rhône a prononcé la fermeture administrative de l'établissement " Dos Hermanas " pour une durée d'un mois.

Par un jugement n° 1303918 du 20 janvier 2016, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 mars 2016 sous le numéro 16MA01078, Mme E... représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 20 janvier 2016 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police des Bouches-du-Rhône du 16 mai 2013 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 52 600 euros en réparation du préjudice subi du fait de cet arrêté ;

4°) et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté a été signé par une personne incompétente, à défaut pour l'administration de justifier d'une délégation régulièrement conférée par le préfet de police à son directeur de cabinet ;

- les droits de la défense ont été méconnus dès lors que les procès-verbaux de police sur lequel se fondent les griefs ne lui ont pas été communiqués lors de la procédure contradictoire préalable ;

- la matérialité des nuisances sonores dont font état les services de police n'est pas établie ;

- la mesure de fermeture, qui se fonde sur une ordonnance de référé du 18 décembre 2002 frappée de péremption, est entachée d'erreur de droit ;

- la sanction est en tout état de cause disproportionnée par rapport aux faits reprochés ;

- elle justifie d'une perte de chiffre d'affaire de 33 000 euros hors taxes et du paiement des salaires et charges de 15 000 euros durant la fermeture du mois de juin 2013.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 mars 2018, le préfet de police des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête de Mme E....

Il soutient qu'aucun des moyens invoqués contre le jugement et l'arrêté en litige n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 20 mars 2018, Mme E...conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens.

Elle fait valoir en outre que :

- le mémoire en défense présenté au nom de l'Etat devant la Cour par le préfet de police et non par le ministre intéressé est irrecevable ;

- l'absence ou l'empêchement du préfet de police à la date de l'arrêté ne sont pas justifiés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 modifié par le décret n° 2012-1151 du 15 octobre 2012 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Laurent Marcovici, président assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Bocquet, président de la 5e chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Hameline, rapporteur ;

- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;

- et les observations de Me D..., représentant Mme E....

1. Considérant que, par un arrêté du 16 mai 2013, le préfet de police des Bouches-du-Rhône a ordonné la fermeture administrative durant un mois du débit de boisson " Dos Hermanas " exploité par Mme C... E...rue Bussy l'Indien à Marseille ; que celle-ci interjette appel du jugement du 20 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;

Sur la recevabilité du mémoire en défense du préfet de police des Bouches-du-Rhône :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-10 du code de justice administrative : " (...) Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat. " ; qu'aux termes de l'article R. 811-10-1 du même code : " I.-Par dérogation aux dispositions de l'article R. 811-10, le préfet présente devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat lorsque le litige est né de l'activité des services de la préfecture dans les matières suivantes : (...) 8° Police des débits de boisson " ;

3. Considérant que le préfet de police des Bouches-du-Rhône a pris la mesure de fermeture administrative de l'établissement exploité par Mme E...dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale des débits de boisson ; qu'en vertu des dispositions précitées, le préfet de police et non le ministre intéressé était donc compétent pour présenter un mémoire en défense au nom de l'Etat en appel ; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les écritures produites par le préfet de police dans la présente instance devraient être écartées des débats comme irrecevables ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 16 mai 2013 :

S'agissant de la légalité externe :

4. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 78-3 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, le préfet de police assure dans le département des Bouches-du-Rhône les missions de police administrative concourant à la sécurité intérieure visées notamment à l'article L. 3332-15 du code de la santé publique ; qu'aux termes de l'article 78-5 du même décret : " Le préfet de police des Bouches-du-Rhône est assisté pour l'exercice de ses fonctions d'un sous-préfet, directeur de son cabinet. " ; que l'article 78-7 de ce décret prévoit que : " En cas d'absence ou d'empêchement du préfet de police des Bouches-du-Rhône, sa suppléance, pour l'exercice des compétences mentionnées aux articles 78-2 et 78-3, est exercée de droit par le directeur de son cabinet. " ;

5. Considérant que l'arrêté contesté a été signé par M. B... A..., directeur de cabinet du préfet de police des Bouches-du-Rhône ; que celui-ci disposait, en application de l'article 78-7 précité du décret du 29 avril 2004, d'une compétence de plein droit pour suppléer le préfet de police, en cas d'absence ou d'empêchement de ce dernier, dans l'édiction des décisions de fermeture administrative de débits de boisson ; qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas été absent ou empêché à la date du 16 mai 2013 ; que la requérante ne peut utilement faire valoir, dans ces conditions, que le signataire de l'arrêté était incompétent faute de justifier d'un arrêté de délégation de signature régulièrement publié ; que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit, dès lors, être écarté " ;

6. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 alors applicable, aux dispositions de laquelle renvoie le 5° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.(...) ".

7. Considérant que si Mme E... fait valoir en appel qu'elle n'a pas été mise à même de présenter utilement ses observations préalablement à la décision contestée en méconnaissance des principes du caractère contradictoire de la procédure et des droits de la défense, il est constant que, par lettre du 4 avril 2013, le préfet de police l'a informée qu'il envisageait de prononcer une mesure de fermeture administrative de l'établissement qu'elle exploite sur le fondement de deux griefs tirés de ce que, d'une part, l'ouverture au public du patio après 22 heures avait été constatée par les services de police les 26 janvier et 15 mars 2013 malgré l'ordonnance de référé rendue le 18 décembre 2002 par le président du tribunal de grande instance de Marseille, et, d'autre part, que des nuisances sonores de nature à troubler la tranquillité publique du fait de l'utilisation du patio par la clientèle avaient été constatées le 15 mars 2013 ; que ce courrier, qui invitait la gérante de l'établissement à formuler des observations dans un délai de quinze jours, comportait des précisions suffisantes pour permettre à celle-ci de comprendre les motifs énoncés et d'évaluer la portée des faits reprochés ; que l'intéressée a d'ailleurs présenté des observations écrites en temps utile le 24 avril 2013 ; que ni les dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n'imposaient à l'administration de communiquer à Mme E... l'ensemble des pièces de la procédure avant de prendre la mesure de police en litige, et notamment pas les rapports ou procès-verbaux d'enquête établis par la police et susceptibles de servir par ailleurs à l'engagement de poursuites pénales ; que, dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure contradictoire préalable doit être écarté ;

S'agissant de la légalité interne :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique :

" 1. La fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas six mois, à la suite d'infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements. / Cette fermeture doit être précédée d'un avertissement qui peut, le cas échéant, s'y substituer, lorsque les faits susceptibles de justifier cette fermeture résultent d'une défaillance exceptionnelle de l'exploitant ou à laquelle il lui est aisé de remédier. / 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publique, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'Etat dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. (...) / 3. Lorsque la fermeture est motivée par des actes criminels ou délictueux prévus par les dispositions pénales en vigueur, à l'exception des infractions visées au 1, la fermeture peut être prononcée pour six mois. Dans ce cas, la fermeture entraîne l'annulation du permis d'exploitation visé à l'article L. 3332-1-1. / 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation.(...) " ;

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le bruit émanant de la clientèle de l'établissement " Dos Hermanas " dans le patio extérieur de l'établissement en soirée et dans la nuit est à l'origine de nombreuses nuisances pour les habitants des immeubles voisins qui en ont saisi à plusieurs reprises les services de l'Etat et de la commune de Marseille, huit d'entre eux ayant en outre déposé une plainte ou main-courante auprès des services de police au début de l'année 2013 à raison de ces faits ; qu'il résulte du rapport des services de police nationale du 15 mars 2013 établi par un agent assermenté et qu'il n'est pas sérieusement contesté qu'à cette date, des nuisances sonores importantes émanaient de la clientèle de l'établissement regroupée dans le patio et comptant plus de vingt personnes, ces nuisances étant très perceptibles depuis l'appartement de l'un des riverains selon les constatations effectuées par la police entre 22 heures et 23 heures ; que la seule circonstance que celles-ci n'étaient pas assorties d'une mesure acoustique du niveau sonore ne saurait suffire à remettre en cause le fait que le bruit constaté à une heure tardive était de nature à porter atteinte à la tranquillité publique ; que, si la requérante allègue que les faits ainsi rapportés sont insuffisamment établis, elle ne fournit aucun élément circonstancié en sens contraire, alors qu'il ressort à l'inverse des pièces du dossier, et notamment des plaintes et attestations des riverains, qu'un bruit excessif provenant de l'établissement jusqu'à au moins 2 heures du matin, heure de sa fermeture, était constaté de manière répétée ; que la circonstance que Mme E... ait été relaxée par un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 16 décembre 2013 des poursuites pénales engagées pour des agressions sonores commises en janvier 2013 demeure à cet égard sans influence ; que les faits constatés le 15 mars 2013, dont la matérialité est ainsi suffisamment établie, entrent dans la catégorie des atteintes à l'ordre et la tranquillité publics en relation avec la fréquentation et les conditions d'exploitation de l'établissement et sont au nombre de ceux qui justifient légalement une mesure de police administrative de fermeture prise par le préfet de police, sur le fondement du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique ;

10. Considérant que la requérante fait valoir à nouveau devant la Cour que l'autre motif de fermeture énoncé dans l'arrêté et tenant à l'acte délictueux qu'aurait commis l'établissement en ne respectant pas l'interdiction d'utilisation du patio après 22 heures prononcée à titre provisoire par l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille du 18 décembre 2002, ne pouvait légalement fonder une mesure de fermeture prise sur le fondement de l'article L. 3332-15 code de la santé publique, à défaut de tout effet de cette interdiction à la date des constatations opérées ; qu'en toute hypothèse, il résulte de l'instruction, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que le préfet de police aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que le motif mentionné précédemment et tiré du trouble à l'ordre public constaté en mars 2013 ; que, dès lors, la décision en litige n'est entachée ni d'erreur de fait, ni d'erreur de droit ;

11. Considérant, enfin, que compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du caractère répétitif des troubles à l'ordre et à la tranquillité publics imputables à l'établissement, dont la gérante ne démontre avoir pris aucune mesure utile afin de diminuer les nuisances causées en se bornant à relever l'installation d'une bâche dans le patio dont les effets sur le niveau sonore ne sont nullement établis, le préfet de police a pu sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation décider la fermeture administrative du débit de boisson " Dos Hermanas " pour une durée d'un mois ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police des Bouches-du-Rhône du 16 mai 2013 ;

En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :

13. Considérant que, pour les raisons indiquées aux points 4 à 11, la requérante n'établit pas que l'arrêté portant fermeture administrative de l'établissement " Dos Hermanas " serait entaché d'une illégalité fautive ; que, par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'Etat et tendant à la réparation du préjudice financier résultant de la période de fermeture ne peuvent en toute hypothèse qu'être également rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à Mme E... la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et au préfet de police des Bouches-du-Rhône

Délibéré après l'audience du 26 mars 2018 où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- Mme Hameline, premier conseiller,

- Mme Marchessaux, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 avril 2018.

2

N° 16MA01078


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA01078
Date de la décision : 09/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

49-05-04 Police. Polices spéciales. Police des débits de boissons.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: Mme Marie-Laure HAMELINE
Rapporteur public ?: M. REVERT
Avocat(s) : BOUMAZA

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-04-09;16ma01078 ?
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