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13/02/2018 | FRANCE | N°16MA02650

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 13 février 2018, 16MA02650


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à lui verser la somme de 30 000 euros avec intérêts et capitalisation en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son exposition aux poussières d'amiante.

Par un jugement n° 1303589 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juillet 2016, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour

:

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 mai 2016 ;

2°) de conda...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à lui verser la somme de 30 000 euros avec intérêts et capitalisation en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son exposition aux poussières d'amiante.

Par un jugement n° 1303589 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juillet 2016, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 mai 2016 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice d'anxiété et la somme de 15 000 euros en réparation de troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis ;

3°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices, des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette formalité ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- une faible période d'exposition à l'amiante est suffisante pour déclencher une maladie ;

- le fait de ne pas bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité ne constitue pas un obstacle à la réparation de ses préjudices ;

- la carence fautive de l'Etat employeur est établie ;

- ses préjudices sont en lien avec cette carence fautive de l'Etat ;

- il a subi un préjudice d'anxiété.

La requête a été communiquée le 6 septembre 2016 au ministre de la défense qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Une mise en demeure a été adressée le 10 novembre 2017 au ministre de la défense, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 14 décembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 16 janvier 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- le décret n° 96-97 du 7 février 1996 ;

- le décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 ;

- l'arrêté du 28 février 1995, pris en application de l'article D. 461 25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;

- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jorda,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., substituant Me D... de la SELARL Teissonniere et Associés représentant M. C....

1. Considérant que M. C... a été employé au sein de la DCN de Toulon en qualité de photographe ; que, par un courrier du 19 septembre 2013, il a sollicité en vain auprès du ministre de la défense, sans être atteint d'une pathologie liée à l'amiante, la réparation de son préjudice d'anxiété en raison de l'inquiétude permanente de développer une telle pathologie ainsi que de ses troubles dans les conditions d'existence du fait de la carence fautive de l'Etat dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante ; qu'il relève appel du jugement de rejet de sa requête indemnitaire ;

Sur l'acquiescement aux faits :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 612-6 du code de justice administrative :

" Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n'a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant " ; que si, lorsque le défendeur n'a produit aucun mémoire, le juge administratif n'est pas tenu de procéder à une telle mise en demeure avant de statuer, il doit, s'il y procède, en tirer toutes les conséquences de droit et qu'il lui appartient seulement, lorsque les dispositions précitées sont applicables, de vérifier que l'inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d'aucune pièce du dossier ;

Sur la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat :

3. Considérant que, pour rejeter l'ensemble des conclusions indemnitaires de M. C..., le tribunal administratif de Toulon, après avoir rappelé que la carence de l'Etat qui n'a pas pris de mesures de protection particulière de ses agents contre les poussières d'amiante était susceptible d'engager sa responsabilité, a considéré qu'en dépit de la période au cours de laquelle l'intéressé était susceptible d'avoir été exposé à ces substances et, qu'alors qu'il n'avait développé aucune pathologie imputable auxdites poussières, il n'apportait pas devant le juge d'éléments complémentaires suffisants relatifs à sa situation professionnelle pour justifier de son préjudice moral résultant d'une potentielle exposition à l'amiante ;

4. Considérant que le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante comporte des dispositions interdisant l'exposition des travailleurs à l'amiante au-delà d'un certain seuil et impose aux employeurs de contrôler la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail, de nature à réduire le risque de maladie dans les établissements concernés ; que M. C... n'établit pas, ainsi qu'il lui appartient de le faire, que les préjudices dont il demande réparation trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat dans l'édiction de mesures législatives ou réglementaires destinées à imposer aux employeurs des mesures de prévention ;

5. Considérant, en revanche, qu'il ressort de l'ensemble des données scientifiques accessibles ou produites au dossier que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales ; que le double dispositif de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité et de la surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax tous les deux ans prévu à l'annexe II de l'arrêté du 28 février 1995 a été mis en place après que le législateur a reconnu le lien établi de façon statistiquement significative entre une exposition aux poussières d'amiante et une baisse d'espérance de vie ; qu'ainsi, eu égard aux effets de l'exposition d'une personne aux poussières d'amiante, il appartenait à l'Etat de prendre, en sa qualité d'employeur des ouvriers de la DCN jusqu'au 31 mai 2003, date à laquelle la DCN, service de l'Etat, est devenue DCNS, société de droit privé, les dispositions appropriées pour éviter que ses employés ne risquent d'inhaler des poussières d'amiante et garantir l'application effective de ces dispositions ; qu'il résulte de l'instruction que les quelques mesures, d'ailleurs tardives, qui ont été prises en ce sens, concernant notamment la mise en place, le 15 novembre 1979, de protections individuelles et collectives et la conduite à partir de cette date d'une réflexion sur la possibilité de remplacer l'amiante par d'autres produits, n'ont été que très partiellement mises en oeuvre ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. C... a bénéficié de ces dispositifs ; que la responsabilité de l'Etat en sa qualité d'employeur est ainsi engagée ;

Sur le préjudice d'anxiété :

6. Considérant que la décision d'ouverture du droit du travailleur au bénéfice du double dispositif d'une allocation de cessation anticipée d'activité et d'une surveillance post-professionnelle vaut reconnaissance pour l'intéressé de l'existence d'un lien établi de façon statistiquement significative entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que cette circonstance suffit ainsi, par elle-même, à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade et par là-même de voir son espérance de vie diminuée, et à être ainsi la source d'un préjudice indemnisable en tant que tel au titre du préjudice moral, en relation directe avec la carence fautive de l'Etat ; qu'en outre, pour évaluer le montant accordé en réparation de ce poste de préjudice, il appartient au juge de tenir compte, dans chaque espèce, de l'ampleur de l'exposition personnelle du travailleur aux poussières d'amiante ; que doivent ainsi notamment être prises en considération, tant les conditions d'exposition, lesquelles dépendent largement de la nature des fonctions de l'intéressé et des circonstances particulières de leur exercice, que la durée de cette exposition ;

7. Considérant que M. C... estimant que son espérance de vie a été diminuée notablement du fait de l'absorption par ses poumons de poussières d'amiante pendant ses années d'activité professionnelle, soutient vivre depuis dans un état d'anxiété justifiant une réparation à ce titre fondée sur la carence fautive de son employeur ;

8. Considérant qu'il est constant que M. C... a été exposé à l'amiante alors qu'il exerçait les fonctions d'ouvrier d'Etat au sein des services de la DCN de Toulon du 16 septembre 1963 au 3 février 2002 en qualité de photographe ; qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la profession de photographe exercée par M. C... ne figure pas au nombre de celles mentionnées par l'arrêté du 21 avril 2006 susmentionné et le requérant ne remplit pas les conditions requises pour pouvoir bénéficier du dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante prévu par le décret n° 2001-1269 du 21 décembre 2001 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que l'activité de l'intéressé l'a régulièrement amené à être exposé ponctuellement à l'amiante lors de ses fréquents reportages photographiques sur des sous-marins ou porte-avions ou à l'occasion de travaux spécifiques ; que le risque d'exposition à l'inhalation de poussières d'amiante était d'autant plus récurrent que des collègues attestent qu'il intervenait aussi dans des ateliers contenant de l'amiante jusque dans les années 90 ; que si le compte-rendu du scanner thoracique du 26 janvier 2016 conclut à l'absence de pathologie bénigne ou maligne pleuro-parenchymateuse d'exposition à l'amiante, le compte-rendu du scanner du 18 janvier 2011 concluait à la présence de plaques pleurales apicales calcifiées associées à quelques micro-nodules lobaires ; que le ministre n'a pas produit d'observation en défense en dépit d'une mise en demeure ; que l'intéressé présente ainsi un risque non négligeable d'être atteint d'une pathologie médicale directement liée à son exposition à l'amiante ; que, dès lors, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de l'intéressé, qui vit dans la crainte de développer subitement une pathologie grave, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 7 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;

Sur les troubles dans les conditions d'existence :

9. Considérant que s'agissant des troubles dans les conditions d'existence qu'il invoque, M. C... se borne à produire trois compte rendus de scanners et trois attestations de proches qui mentionnent son état anxieux ; qu'ainsi, dès lors que l'intéressé a déjà été indemnisé au titre d'un préjudice d'anxiété, ses conclusions tendant à son indemnisation au titre des troubles dans les conditions d'existence allégués mais qui ne résultent pas suffisamment de l'instruction en dépit d'un acquiescement aux faits du défendeur, ne peuvent qu'être rejetées ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a refusé de condamner l'Etat à lui allouer une somme au titre de son préjudice d'anxiété ;

Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 mai 2016 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. C..., tous intérêts confondus à la date du présent arrêt, la somme de 7 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. B... C....

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2018, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. Jorda, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 février 2018.

Le rapporteur,

Signé

J. JORDALe président,

Signé

S. GONZALES

Le greffier,

Signé

C. LAUDIGEOIS

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

N° 16MA02650 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA02650
Date de la décision : 13/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Julien JORDA
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-02-13;16ma02650 ?
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