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18/07/2017 | FRANCE | N°15MA03777

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 18 juillet 2017, 15MA03777


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...C...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son exposition aux poussières d'amiante.

Par une ordonnance n° 1303258 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, un mémoire et des pièces complémentaires, enregistrés le 10 septembre 2015, le 10 février 2016, le 14 décemb

re 2016 et le 29 juin 2017, MmeC..., représentée par la SELARL Teissonniere et Associés, demand...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...C...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son exposition aux poussières d'amiante.

Par une ordonnance n° 1303258 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, un mémoire et des pièces complémentaires, enregistrés le 10 septembre 2015, le 10 février 2016, le 14 décembre 2016 et le 29 juin 2017, MmeC..., représentée par la SELARL Teissonniere et Associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Toulon du 10 juillet 2015 ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi ainsi que la somme de 15 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence ;

3°) de majorer les sommes qui seront allouées des intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande d'indemnisation et de la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- une faible période d'exposition à l'amiante est suffisante pour déclencher une maladie ;

- le fait de ne pas bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité ne fait pas obstacle à la réparation de ses préjudices ;

- la carence fautive de l'Etat employeur est établie ;

- ses préjudices sont en lien avec cette carence fautive de l'Etat ;

- elle a subi un préjudice d'anxiété et des troubles dans les conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2016, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête et soutient qu'elle n'est pas fondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- l'arrêté du 28 février 1995 modifié, pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;

- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Argoud,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., de la SELARL Teissonniere et Associés, représentant MmeC....

1. Considérant que MmeC..., ouvrière d'Etat au sein de la direction des constructions navales (DCN) de Toulon du 27 mars 1984 au 30 juin 2006, a été employée en qualité de perforatrice vérifieuse ; que, par un courrier du 8 mai 2013, elle a sollicité auprès du ministre de la défense la réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence du fait de la carence fautive de l'Etat dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante ; qu'à la suite du silence gardé par l'administration sur sa demande, Mme C...a introduit devant le tribunal administratif de Toulon, un recours tendant à l'indemnisation de ces différents préjudices à hauteur de 15 000 euros chacun ; que Mme C...interjette appel de l'ordonnance du 10 juillet 2015 par laquelle le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande ;

2. Considérant que, pour rejeter l'ensemble des conclusions indemnitaires de Mme C..., le tribunal administratif de Toulon, après avoir rappelé que la carence de l'Etat qui n'a pas pris de mesures de protection particulière de ses agents contre les poussières d'amiante était susceptible d'engager sa responsabilité, a considéré que l'intéressée qui n'avait développé aucune pathologie imputable aux poussières d'amiante, ne précisait pas la durée de ses services au sein de la DCN et n'apportait ainsi aucun élément susceptible de justifier de la réalité de son exposition ;

3. Considérant, d'une part, que le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante comporte des dispositions interdisant l'exposition des travailleurs à l'amiante au-delà d'un certain seuil et impose aux employeurs de contrôler la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail, de nature à réduire le risque de maladie dans les établissements concernés ; que MmeC... n'établit pas, ainsi qu'il lui appartient de le faire, que les préjudices dont elle demande réparation trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat dans l'édiction de mesures législatives ou réglementaires destinées à imposer aux employeurs des mesures de prévention ;

4. Considérant, en revanche, qu'il ressort de l'ensemble des données scientifiques accessibles ou produites au dossier que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales ; que le double dispositif de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité et de la surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax tous les deux ans prévu à l'annexe II de l'arrêté du 28 février 1995 a été mis en place après que le législateur a reconnu le lien établi de façon statistiquement significative entre une exposition aux poussières d'amiante et une baisse d'espérance de vie ; qu'ainsi, eu égard aux effets de l'exposition d'une personne aux poussières d'amiante, il appartenait à l'Etat de prendre, en sa qualité d'employeur des ouvriers de la DCN jusqu'au 31 mai 2003, date à laquelle la DCN, service de l'Etat, est devenue DCNS, société de droit privé, les dispositions appropriées pour éviter que ses employés ne risquent d'inhaler des poussières d'amiante et garantir l'application effective de ces dispositions ; qu'il résulte de l'instruction que les quelques mesures, d'ailleurs tardives, qui ont été prises en ce sens, concernant notamment la mise en place, le 15 novembre 1979, de protections individuelles et collectives et la conduite à partir de cette date d'une réflexion sur la possibilité de remplacer l'amiante par d'autres produits, n'ont été que très partiellement mises en oeuvre ; qu'ainsi, l'Etat a commis en sa qualité d'employeur une faute de nature à engager sa responsabilité jusqu'au 31 mai 2003, date à laquelle la DCN, service de l'Etat, est devenue DCNS, société de droit privé ;

5. Considérant, d'autre part, que la décision d'ouverture du droit du travailleur au bénéfice du double dispositif d'une allocation de cessation anticipée d'activité et d'une surveillance post-professionnelle vaut reconnaissance pour l'intéressé de l'existence d'un lien établi de façon statistiquement significative entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que cette circonstance suffit ainsi, par elle-même, à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade et par là-même de voir son espérance de vie diminuée, et à être ainsi la source d'un préjudice indemnisable en tant que tel au titre du préjudice moral, en relation directe avec la carence fautive de l'Etat ; qu'en outre, pour évaluer le montant accordé en réparation de ce poste de préjudice, il appartient au juge de tenir compte, dans chaque espèce, de l'ampleur de l'exposition personnelle du travailleur aux poussières d'amiante ; que doivent ainsi notamment être prises en considération, tant les conditions d'exposition, lesquelles dépendent largement de la nature des fonctions de l'intéressé et des circonstances particulières de leur exercice, que la durée de cette exposition ;

Sur les préjudices :

6. Considérant que Mme C...estimant que son espérance de vie a été diminuée notablement du fait de l'absorption par ses poumons de poussières d'amiante pendant ses années d'activité professionnelle, soutient vivre depuis dans un état d'anxiété justifiant une réparation à ce titre fondée sur la carence fautive de son employeur ;

En ce qui concerne le préjudice d'anxiété :

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et qu'il n'est pas contesté, que Mme C... a travaillé pendant vingt-deux ans au sein de la DCN de Toulon où elle exercé des fonctions de comptabilité et de vérification des matériels qui l'ont amenée à se déplacer fréquemment au sein des bâtiments et dans les ateliers, dans lesquels elle a été exposée à de la poussière d'amiante du fait des conditions de ventilation ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 5 500 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :

8. Considérant que le compte rendu de scanner médical réalisé le 31 janvier 2013 versé au dossier par Mme C...ne permet pas d'établir que cette dernière est astreinte du fait de son exposition à l'amiante à un suivi médical à une fréquence telle qu'elle subit des troubles dans ses conditions d'existence ; que les attestations émanant de ses proches et de son médecin se bornent à relater son sentiment d'anxiété sans faire état de manifestations précises susceptibles de constituer des troubles dans les conditions d'existence ; que dès lors, il y a lieu de rejeter ses conclusions tendant à l'indemnisation de troubles dans les conditions d'existence dont elle souffrirait du fait de son exposition fautive aux poussières d'amiante ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 500 euros au titre des frais exposés par Mme C...et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : L'ordonnance du tribunal administratif de Toulon du 10 juillet 2015 est annulée.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme C...la somme de 5 500 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme C...la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme C...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...C...et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 4 juillet 2017, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. Argoud, premier conseiller,

- M. Coutel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 juillet 2017.

N° 15MA03777


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15MA03777
Date de la décision : 18/07/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Jean-Marie ARGOUD
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-07-18;15ma03777 ?
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