Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 21 décembre 2009 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande d'indemnisation des congés récupérateurs non pris, acquis avant le 6 décembre 1994 et de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 132 920 euros au titre des préjudices subis, assortie des intérêts légaux.
Par un jugement n° 1008333 du 6 mars 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 14MA02012 du 29 mars 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, sur appel de M. A..., a condamné l'Etat à verser la somme de 36 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par l'intéressé et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Par ordonnance n° 400460 du 21 décembre 2016, le président de la 3ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sur pourvoi du ministre de l'intérieur, a annulé cet arrêt du 29 mars 2016 et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Marseille.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée, sous le n° 14MA02012, le 6 mai 2014 et des mémoires complémentaires enregistrés les 3 avril 2015, 17 février 2016 et 14 février 2017, M. A..., représenté par la SCP d'avocats Huglo-Lepage et associés, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1008333 du 6 mars 2014 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 132 920 euros au titre du préjudice moral assortie des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen soulevé dans sa note en délibéré relatif à l'inopposabilité de la prescription quadriennale ;
- en l'absence de preuve de la publication régulière de l'arrêté réglementaire du 6 décembre 1994 par le ministre de l'intérieur, l'exception de prescription quadriennale invoquée par le ministre ne peut lui être opposée ;
- à défaut de cette publication régulière, le fait générateur de la créance qu'il détient résultant de l'illégalité de l'arrêté du 6 décembre 1994 ne peut être rattaché à une date précise ;
- le bulletin officiel du ministère de l'intérieur (BOMI), créé par arrêté ministériel du 11 septembre 1980, n'a pas vocation à assurer la publication des arrêtés réglementaires qui doit être effectuée au Journal Officiel (JO) de la République Française ;
- l'obligation de publication de cet arrêté dans le BOMI n'étant pas prévue par un texte lui-même publié au JO, une telle publication n'est pas en tout état de cause régulière ;
- dès lors que depuis un arrêt du Conseil d'Etat n° 297702 du12 décembre 2008, les agents partant à la retraite depuis 2009 bénéficient désormais de la réintégration de leurs repos compensateurs antérieure à 1994, l'exception de prescription quadriennale opposée par l'Etat pour refuser de l'indemniser constitue une rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- l'illégalité fautive, reconnue par le Conseil d'Etat, de l'arrêté du 6 décembre 1994 supprimant les repos compensateurs accumulés ouvre droit à réparation de son seul préjudice moral ;
- il était titulaire de 450,26 jours ou 501,71 jours actualisés de repos compensateurs ou récupérateurs qu'il n'a pas pu prendre au moment de son départ à la retraite le 28 octobre 2006 ;
- en application du principe de réparation intégrale des préjudices et d'égalité de traitement avec ses collègues partis en retraite après l'arrêt du Conseil d'Etat du 12 décembre 2008, son préjudice moral doit ainsi être réparé par l'allocation d'une somme de 132 920 euros correspondant à un total de 3 511,97 heures supplémentaires évaluées à 35 euros par heure sur la base de son indice 513.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2015 et par un mémoire enregistré le 14 juin 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Un mémoire a été enregistré le 22 juin 2017 présenté pour M. A... et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;
- le décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 fixant le régime applicable aux personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile ;
- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail ;
- le décret n° 2005-621 du 30 mai 2005 fixant les dispositions applicables aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile au groupement des moyens aériens ;
- l'arrêté du 6 décembre 1994 relatif aux modalités d'application des règlements intérieurs en vigueur dans les unités opérationnelles du groupement des moyens aériens ;
- l'arrêté du ministre de l'intérieur portant règlement intérieur applicable aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères du 19 août 1997 ;
- l'arrêté du 27 juillet 2005 relatif à l'application aux personnels navigants du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile du décret n° 2002-146 du 7 février 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée du travail et de repos applicables à certains agents en fonction dans les services relevant de la défense et de la sécurité civiles ou relevant de la direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur ;
- la décision n° 297702 du Conseil d'Etat du 12 décembre 2008 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carassic,
- les conclusions de M. Roux, rapporteur public ;
- et les observations de M. A....
1. Considérant que M. A..., brigadier-major de la police nationale affecté en qualité de pilote auprès du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile de Marignane, a été admis à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 28 octobre 2006 ; que le 29 septembre 2009, il a adressé au ministre de l'intérieur une demande préalable tendant à l'indemnisation des jours de repos compensateurs dont il n'a pas pu bénéficier avant son départ à la retraite par application de l'arrêté du 6 décembre 1994 relatif aux modalités d'application des règlements intérieurs en vigueur dans les unités opérationnelles du groupement des moyens aériens, lequel a supprimé les repos compensateurs non pris avant le 7 décembre 1994 des personnels navigants du groupement d'hélicoptères ; que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé illégal cet arrêté par une décision n° 297702 du 12 décembre 2008 ; que le ministre de l'intérieur ayant rejeté sa demande par décision du 21 décembre 2009, M. A... a demandé au tribunal administratif de Marseille la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 132 920 euros augmentée des intérêts et de la capitalisation des intérêts correspondant à 501,71 jours de repos compensateurs au titre de son préjudice financier et moral ; que, par jugement attaqué du 6 mars 2014, le tribunal administratif de Marseille a retenu l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre et a rejeté sa demande ; que, sur appel de M. A..., la cour administrative d'appel de Marseille dans son arrêt n° 14MA02012 du 29 mars 2016, a écarté l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre, a annulé ce jugement du 6 mars 2014, a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 36 000 euros tous intérêts confondus au titre de son préjudice moral et a rejeté le surplus de sa requête ; que, saisi d'un pourvoi du ministre de l'intérieur, le président de la 3ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, par ordonnance n° 400460 du 21 décembre 2016 prise en application du 6° de l'article R. 122-12 du code de justice administrative, a annulé cet arrêt du 29 mars 2016 au motif que la Cour avait commis une erreur de droit, eu égard au caractère réglementaire de l'arrêté du 6 décembre 1994, en écartant l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre sans rechercher la date à laquelle cet arrêté avait été publié et a renvoyé l'affaire devant la Cour ; que dans le dernier état de ses écritures, M. A... demande à la Cour de condamner l'Etat à lui verser la somme de 132 920 euros assortie des intérêts capitalisés au titre de son seul préjudice moral ;
Sur les fins de non recevoir opposées par le ministre à la demande de première instance :
2. Considérant, en premier lieu, que le courrier du 21 décembre 2009 par lequel le ministre de l'intérieur a rejeté la demande préalable de M. A... doit être regardé, contrairement à ce que soutient le ministre, comme une décision susceptible d'un recours contentieux au sens de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ;
3. Considérant, en second lieu, que la demande indemnitaire préalable du 29 septembre 2009 formée par M. A..., rejetée par la décision du 21 décembre 2009, a lié le contentieux alors même qu'elle n'était pas chiffrée et que cette demande ne portait ni sur le préjudice moral, ni sur les troubles dans les conditions d'existence dont l'intéressé se prévaut devant le juge administratif ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fins de non recevoir opposées par le ministre de l'intérieur doivent être écartées ;
Sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi, la prescription ne court pas contre le créancier " qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance. "; que lorsque la créance d'un agent porte sur la réparation du préjudice résultant de l'illégalité d'une disposition réglementaire qui a porté atteinte, par elle-même, aux droits qu'il avait acquis du fait des services accomplis jusqu'alors, son fait générateur doit être rattaché à l'année au cours de laquelle cette disposition a été régulièrement publiée, sans que l'agent ne puisse être regardé comme ignorant légitimement l'existence d'une telle créance jusqu'à ce qu'ait été révélée l'illégalité dont la disposition était entachée ;
6. Considérant que le ministre de l'intérieur, dans son mémoire en défense enregistré le 31 mai 2013 devant le greffe du tribunal administratif de Marseille, s'est prévalu d'une publication de l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994, qui est un acte réglementaire, supprimant rétroactivement les repos compensateurs des personnels navigants, au "bulletin officiel (BOMI) du 4ème trimestre" sans autre précision et sans produire la pièce pourtant annoncée comme pièce jointe ; qu'en outre, le ministre n'a pas déféré à la mesure d'instruction de la Cour aux fins de produire la preuve de cette publication au BOMI ; que si, par ailleurs, le ministre soutient que le délai de prescription a couru à compter de la publication du décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 fixant le régime applicable aux personnels navigants du groupement des moyens aériens de la sécurité civile, aucune disposition de ce décret ne supprime les repos compensateurs de ces personnels ; que, dans ces conditions, le délai de prescription relatif à la créance de M. A... prévu par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 n'a pas commencé à courir à compter de la publication de ce décret ; que par suite, l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre doit être écartée ; que, dès lors, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande indemnitaire au motif que sa créance était prescrite ;
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :
7. Considérant que le préjudice invoqué, résultant de la perte de jours de repos compensateurs non pris, qui est susceptible d'être invoqué par l'ensemble des membres du personnel navigant du groupement d'hélicoptères, ne constitue pas un préjudice spécial ; que, dès lors, M. A... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques ;
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat :
8. Considérant que l'illégalité de l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994, supprimant rétroactivement les repos compensateurs des personnels navigants accumulés et non pris avant le 7 décembre 1994 et portant atteinte aux droits acquis de M. A..., a été reconnue par la décision du 12 décembre 2008 du Conseil d'Etat ; que l'administration, en annulant illégalement les jours de repos compensateurs accumulés par M. A... au 30 novembre1994, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du requérant ;
Sur le préjudice :
9. Considérant que M. A..., qui était titulaire de 501,71 jours de repos compensateurs qu'il n'a pas pu prendre au moment de son départ à la retraite, a subi un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 32 000 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande ; qu'il est dès lors fondé à demander l'annulation du jugement attaqué et la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 32 000 euros en réparation du préjudice subi ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
11. Considérant que M. A... a demandé à ce que les sommes qui lui sont dues portent intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2010, date d'enregistrement de sa demande au Tribunal ; qu'il y a lieu, dès lors, de fixer le point de départ des intérêts sur la somme susmentionnée de 32 000 euros au 30 décembre 2010 ;
12. Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par M. A... dans son mémoire enregistré le 2 septembre 2013 devant le tribunal administratif de Marseille ; qu'à cette date, au moins une année d'intérêts était due ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 2 septembre 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A... au titre des frais non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 6 mars 2014 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 32 000 euros à M. A.... Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2010. Les intérêts échus à la date du 2 septembre 2013, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 4: L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2017, où siégeaient :
- Mme Buccafurri, présidente,
- M. Portail, président-assesseur,
- Mme Carassic, première conseillère.
Lu en audience publique, le 13 juillet 2017.
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N° 16MA05011