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20/06/2017 | FRANCE | N°16MA05010

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre - formation à 3, 20 juin 2017, 16MA05010


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 61 184 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'annulation illégale, par l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994, des jours de congés récupérateurs non pris, acquis avant le 6 décembre 1994.

Par un jugement n° 1102196 du 27 septembre 2013, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 6 000 euros tous intérêts confondu

s en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 61 184 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'annulation illégale, par l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994, des jours de congés récupérateurs non pris, acquis avant le 6 décembre 1994.

Par un jugement n° 1102196 du 27 septembre 2013, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à verser à M. B... une somme de 6 000 euros tous intérêts confondus en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence et a rejeté le surplus de sa demande.

Par un arrêt n° 13MA04538 du 10 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de M. B..., réformé ce jugement, en portant à 11 000 euros tous intérêts confondus la somme due par l'Etat, au titre de ces mêmes préjudices et rejeté le surplus des conclusions de l'intéressé ainsi que l'appel incident du ministre de l'intérieur.

Par une ordonnance n° 393564 du 21 décembre 2016, le Président de la 3ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article R. 122-12 6° du code de justice administrative, a annulé cet arrêt du 10 juillet 2015 et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2013, et des mémoires complémentaires, enregistrés les 18 février 2015, 9 avril 2015 et 22 mars 2017, M. B..., représenté par la société d'avocats Huglo-Lepage et Associés, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 27 septembre 2013 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il n'a fait droit que partiellement à sa demande ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 61 184 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de l'instance et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la suppression illégale des repos compensateurs constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- il a subi un préjudice financier du fait de la suppression de ses repos compensateurs ;

- sans les illégalités commises par le ministre de l'intérieur, il aurait pu bénéficier de 228,5 jours réactualisés de repos compensateur acquis avant 1994 préalablement à son départ en retraite, soit une somme de 51 184 euros ;

- à défaut d'indemnisation, l'Etat bénéficierait d'un enrichissement sans cause ;

- il y aurait une rupture du principe d'égalité devant les charges publiques s'il n'était pas indemnisé comme ses collègues partis en retraite depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 12 décembre 2008 ;

- il a subi un préjudice et des troubles dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 14 janvier 2015, le ministre de l'intérieur conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande de M. B....

Il soutient que :

- le requérant n'a pas subi de préjudice financier ;

- le tribunal a estimé à tort que le requérant n'a eu connaissance de sa créance que le 12 décembre 2008 et que sa créance n'était pas prescrite ;

- le requérant ne justifie ni d'un préjudice moral ni de troubles dans ses conditions d'existence, car il n'a pas cherché à bénéficier de ses congés avant son départ en retraite.

Par lettre du 27 mars 2017, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et indiquant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du code de justice administrative.

Une ordonnance du 12 mai 2017 a fixé la clôture de l'instruction à la date de son émission, en application des dispositions des articles R. 613-1 et R. 611-11-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté par le ministre de l'intérieur, a été enregistré le 29 mai 2017, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le décret n° 79-834 du 22 septembre 1979 ;

- le décret n° 94-1047 du 6 décembre 1994 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Portail,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

- et les observations de M. B..., requérant.

1. Considérant que M. B... a exercé des fonctions dans le cadre du groupement d'hélicoptères de la sécurité civile, dépendant de la direction de la sécurité civile du ministère de l'intérieur, en qualité de mécanicien sauveteur secouriste sur la base de Perpignan, jusqu'à son admission à la retraite le 14 janvier 2005 ; que, par lettre du 30 septembre 2009, il a formé auprès du ministre de l'intérieur une demande tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de ce qu'il n'a pu bénéficier de ses repos compensateurs avant son admission à la retraite, par application d'un arrêté ministériel du 6 décembre 1994 ; que, par un jugement du 27 septembre 2013, le tribunal administratif de Montpellier a condamné l'Etat à lui verser la somme de 6 000 euros en réparation des ses préjudices, tous intérêts confondus, et a rejeté le surplus de sa demande ; que, par un arrêt n° 13MA04538 du 10 juillet 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a réformé ce jugement, en portant à 11 000 euros tous intérêts confondus la somme due par l'Etat, et a rejeté le surplus des conclusions de l'intéressé ainsi que l'appel incident du ministre de l'intérieur ; que, par une ordonnance n° 393564 du 21 décembre 2016, le Président de la 3ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat a annulé cet arrêt du 10 juillet 2015, au motif que la Cour a commis une erreur de droit en écartant l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre, en estimant que le requérant n'aurait eu connaissance de l'illégalité de l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994 qu'à la date de la décision du 12 décembre 2008 du Conseil d'Etat jugeant illégal cet arrêté, et sans rechercher la date à laquelle ce texte avait été publié, et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Marseille ;

En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de la même loi, la prescription ne court pas contre le créancier " qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance. " ; que lorsque la créance d'un agent porte sur la réparation du préjudice résultant de l'illégalité d'une disposition réglementaire qui a porté atteinte, par elle-même, aux droits qu'il avait acquis du fait des services accomplis jusqu'alors, son fait générateur doit être rattaché à l'année au cours de laquelle cette disposition a été régulièrement publiée, sans que l'agent ne puisse être regardé comme ignorant légitimement l'existence d'une telle créance jusqu'à ce qu'ait été révélée l'illégalité dont la disposition était entachée ;

3. Considérant, d'une part, que si le ministre de l'intérieur soutient que l'arrêté du 6 décembre 1994 aurait été publié au bulletin officiel du ministère de l'intérieur, il n'en justifie pas ; qu'en tout état de cause, aux termes de l'article 1er du décret n° 79-834 du 22 septembre 1979, en vigueur à la date du 6 décembre 1994 : " Les documents administratifs mentionnés au 1 de l'article 9 de la loi du 17 juillet 1978 émanant des administrations centrales de l'Etat sont, sous réserve des dispositions de l'article 6 de la loi, publiés dans des bulletins ayant une périodicité au moins trimestrielle et comportant dans leur titre la mention Bulletin officiel. Dans les six mois de l'entrée en vigueur du présent décret, des arrêtés ministériels pris après avis de la commission de coordination de la documentation administrative déterminent pour chaque administration le titre exact du ou des bulletins concernant cette administration, la matière couverte par ce ou ces bulletins ainsi que le lieu où le public peut les consulter ou s'en procurer copie. " ; que l'arrêté du 11 septembre 1980, portant création du bulletin officiel du ministre de l'intérieur, alors en vigueur, dispose : " La publication des directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles visées à l'article 9 de la loi du 17 juillet 1978 et émanant du ministre de l'intérieur ... est assurée dans un bulletin unique portant le titre de " bulletin officiel du ministre de l'intérieur... " ; que la publication d'un acte au bulletin officiel d'un ministère n'est régulière que lorsque l'obligation de publier cet acte dans ce recueil résulte d'un texte législatif ou réglementaire lui même publié au Journal officiel de la République française ;

4. Considérant que l'arrêté du 6 décembre 1994, par lequel le ministre de l'intérieur a décidé l'annulation des repos compensateurs non pris par le personnel de la sécurité civile, n'est pas au nombre des actes visés par l'arrêté précité du 11 septembre 1980 ; que la publication de cet arrêté, alléguée par le ministre, au bulletin officiel du ministère de l'intérieur, n'a pas, dès lors, été régulière ; que le ministre n'est donc pas fondé à soutenir que le délai de la prescription quadriennale a commencé à courir à l'encontre de M. B... à compter d'une telle publication ; que, par suite, la créance dont se prévaut M. B... n'était pas prescrite quand il a formé sa réclamation préalable le 30 septembre 2009 ; qu'il y a lieu ,dès lors, d'écarter l'exception de prescription opposée par le ministre de l'intérieur ;

Sur la responsabilité :

5. Considérant, en premier lieu, que la suppression illégale, par l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994, des jours de congés récupérateurs non pris, acquis avant le 6 décembre 1994 par M. B... est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions du décret du 7 février 2002, portant dérogation aux garanties minimales de durée du travail et de repos applicables à certains agents en fonction dans les services relevant de la direction de la défense et de la sécurité civile ou relevant de la direction générale de l'administration du ministère de l'intérieur, ne prévoient pas l'indemnisation des jours de repos compensateurs non pris ; que M. B... ne saurait se prévaloir des dispositions du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat, sa situation relevant à cet égard du décret précité du 7 février 2002, ne prévoyant ainsi qu'il a été dit aucune indemnisation à ce titre ; qu'il n'est pas fondé davantage à se prévaloir des dispositions de l'arrêté du 27 juillet 2005 qui n'étaient pas en vigueur à la date de son admission à la retraite ; qu'il n'est pas fondé, dès lors, à soutenir qu'il a subi un préjudice financier du fait de l'annulation des jours de repos compensateurs non pris à la date de publication du décret du 6 décembre 1994 ;

7. Considérant, en troisième lieu, que si le requérant se prévaut d'un enrichissement sans cause de l'Etat, il est constant que le service effectué au cours de la période précédant son départ à la retraite, au cours de laquelle il aurait souhaité utiliser ses congés récupérateurs, a été effectué en contrepartie de la rémunération qui lui était due ; que ce moyen doit, dès lors, et, en tout état de cause, être écarté ;

8. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que des agents, qui auraient accumulé des repos compensateurs sur une même période que M. B..., auraient bénéficié d'une indemnisation au titre de ces jours de repos compensateurs non pris ; que le requérant ne peut, dès lors, et, en tout état de cause, se prévaloir d'un droit à indemnisation en invoquant une méconnaissance du principe d'égalité de traitement ;

9. Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction que M. B..., admis à la retraite en janvier 2005, avait acquis des repos compensateurs d'une durée de 228,5 jours à la date de l'arrêté ministériel du 6 décembre 1994 ayant annulé les congés récupérateurs non pris à la date de publication du décret du 6 décembre 1994 ; que l'illégalité de cet arrêté du 6 décembre 1994 n'ayant été révélée que par la décision précitée du Conseil d'Etat du 12 décembre 2008, M. B... n'a pas été mis en mesure, avant son départ effectif à la retraite, de bénéficier de ses 228,5 jours de repos compensateurs acquis et illégalement supprimés ; qu'il a ainsi subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en condamnant l'Etat à lui verser une somme de 14 000 euros ; que les intérêts au taux légal sur cette somme courront à compter du 11 mai 2011, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Montpellier ; qu'il résulte de l'instruction que M. B... a demandé qu'il soit procédé à la capitalisation des intérêts dans son mémoire enregistré le 12 septembre 2013 au greffe du tribunal administratif de Montpellier ; qu'il y a lieu de faire droit à sa demande de capitalisation des intérêts à cette date du 12 septembre 2013, à laquelle il était dû plus d'une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ; que, dès lors, M. B... est seulement fondé, dans cette mesure, à demander la réformation du jugement attaqué du 27 septembre 2013 du tribunal administratif de Montpellier ; qu'en revanche, eu égard à ce qui précède, les conclusions incidentes du ministre de l'intérieur doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. B... ;

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 6 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. B... est portée à la somme de 14 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2011. Les intérêts échus à la date du 12 septembre 2013 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du 27 septembre 2013 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 4 : Les conclusions incidentes du ministre de l'intérieur sont rejetées.

Article 5 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2017, où siégeaient :

- Mme Buccafurri, présidente,

- M. Portail, président-assesseur,

- Mme C..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 20 juin 2017.

2

N° 16MA05010


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA05010
Date de la décision : 20/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Point de départ du délai.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme BUCCAFURRI
Rapporteur ?: M. Philippe PORTAIL
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : SELARL HUGLO - LEPAGE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-06-20;16ma05010 ?
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