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01/06/2017 | FRANCE | N°16MA01526

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 01 juin 2017, 16MA01526


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Novatech a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 10 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail de la septième section de l'unité territoriale des Bouches-du-Rhône a refusé d'autoriser le licenciement de M. B... C....

Par un jugement n° 1400956 du 23 février 2016, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 21 avril 2016, la SA Novatech, représentée par Me A...

, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 f...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Novatech a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 10 décembre 2013 par laquelle l'inspecteur du travail de la septième section de l'unité territoriale des Bouches-du-Rhône a refusé d'autoriser le licenciement de M. B... C....

Par un jugement n° 1400956 du 23 février 2016, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 21 avril 2016, la SA Novatech, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 février 2016 ;

2°) d'annuler le refus de l'inspecteur du travail ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- M. C... a fait preuve d'insuffisances professionnelles répétées ;

- M. C... a également fait preuve d'insubordination en ne respectant pas la politique économique de l'entreprise et en ne respectant pas les procédures en vigueur en cas de retour de matériel prêté ;

- il a contribué à la dégradation des relations entre l'entreprise et un éminent chef de service lyonnais ;

- la demande d'autorisation est sans lien avec le mandat ;

- l'inspecteur du travail a commis des erreurs dans l'appréciation des faits ;

- il n'était pas tenu de refuser une demande d'autorisation de licenciement en l'absence de recherche de reclassement ;

- l'inspecteur du travail a retenu ce motif sans le soumettre à la procédure contradictoire ;

- l'attitude de M. C... a des répercussions sur la santé économique et le fonctionnement de l'entreprise.

Par ordonnance du 18 avril 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 18 avril 2017.

La ministre du travail a produit un mémoire en défense le 12 mai 2017, postérieurement à la clôture d'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Menasseyre, première conseillère,

- et les conclusions de M. Michaël Revert, rapporteur public.

1. Considérant que la SA Novatech, entreprise fabriquant et commercialisant des prothèses et matériels médicaux, a recruté M. B... C...par contrat à durée indéterminée du 12 janvier 2004, en qualité d'attaché commercial pour la région Sud Est ; que le 22 mars 2005, ce contrat a fait l'objet d'un avenant fixant les vingt départements de sa zone géographique d'exercice ; que M. C... a été élu en qualité de délégué du personnel les 24 avri1 2006 et 19 avri1 2010, et désigné délégué syndical le 1er juillet 2010 ; qu'en octobre 2013, la SA Novatech a demandé l'autorisation de le licencier ; que, par décision du 10 décembre 2013, l'inspecteur du travail de la septième section de l'unité territoriale des Bouches-du-Rhône a rejeté cette demande, au motif que les fautes disciplinaires alléguées n'étaient pas établies, que les faits d'insuffisance professionnelle ne l'étaient pas davantage, que la société n'avait pas envisagé la possibilité d'un reclassement et que la demande d'autorisation de licenciement était en lien avec l'exercice du mandat syndical ; que la SA Novatech fait appel du jugement du 23 février 2016, par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande dirigée contre ce refus ;

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'insuffisance professionnelle, il lui appartient de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette insuffisance est telle qu'elle justifie le licenciement, compte tenu de l'ensemble des mêmes règles et des mêmes exigences ;

Sur l'insuffisance professionnelle :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aucun texte législatif ou réglementaire ni aucun principe n'impose d'obligation de reclassement à un employeur qui souhaite licencier un salarié auquel il reproche une insuffisance professionnelle, les dispositions du code du travail ne prévoyant une telle obligation que dans les hypothèses où le licenciement est justifié soit par un motif économique soit par l'inaptitude physique du salarié ; que, dès lors, l'absence de recherche de reclassement ne faisait pas, par elle-même, obstacle au licenciement pour insuffisance professionnelle de M. C... ; que l'inspecteur du travail a, comme le soutient la société appelante, commis une erreur de droit en faisant peser une obligation de cette nature sur la SA Novatech ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement pour insuffisance professionnelle, la SA Novatech faisait valoir l'insuffisance et la mauvaise qualité de la couverture du territoire par M. C..., ce dernier se déplaçant essentiellement dans les Bouches-du-Rhône alors qu'il devrait couvrir un quart de la France, la médiocrité de ses rapports de visite, l'absence de veille concurrentielle transmise à la hiérarchie, l'absence de plans d'action clients, l'absence de suivi du tableau de gestion des dépôts de prothèses, la discordances entre les rapports déposés et les ventes réalisées, la mention d'informations erronées dans ces rapports ainsi que la méconnaissance de la législation relative à la " liste des produits et prestations remboursées par l'assurance maladie ", induisant une impossibilité de renseigner correctement les clients potentiels sur ces questions ; que l'ensemble de ces griefs a été étayé par les pièces produites par la société ; que celles-ci faisaient notamment apparaître que le tiers de l'activité de M. C... se concentrait sur le département des Bouches-du-Rhône, alors que son secteur en comptait vingt, dont le Rhône, avec la clientèle potentielle des hospices civils de Lyon, les Alpes-Maritimes ou l'Hérault ; que seuls quelques départements étaient démarchés avec assiduité, alors que toute une partie du secteur qui lui était confié était laissée en déshérence ; qu'il résulte également des pièces du dossier que, dans les secteurs autres que le Sud Est il en allait différemment et que, par comparaison, les rapports de visite de M. C... étaient lapidaires et contenaient beaucoup moins d'informations que ceux produits par ses collègues ; qu'il ressort ainsi des éléments versés aux débats que M. C... a, durablement, assuré sa mission de façon incomplète et imparfaite ; qu'une telle insuffisance, eu égard à son caractère répété et à l'expérience et la formation de M. C..., était susceptible de justifier son licenciement ;

5. Considérant que pour refuser de faire droit à la demande qui lui était soumise, en tant qu'elle était fondée sur l'insuffisance professionnelle, l'inspecteur du travail, sans réfuter les griefs précis dont il était fait état, a estimé que l'insuffisance invoquée apparaissait en contradiction avec la formation initiale de M. C..., ses compétences développées depuis, et son maintien dans l'emploi depuis près de dix ans, que cette insuffisance n'avait pas été admise lors d'une précédente demande de licenciement présentée en 2007 alors que l'emploi était demeuré inchangé depuis lors et qu'aucune formation dans le domaine règlementaire n'avait été suivie par M. C... alors qu'il appartient à l'employeur d'assurer l'adaptation du salarié à son poste ;

6. Considérant, toutefois que, s'agissant de ce dernier point, la société appelante démontre par les pièces versées aux débats que M. C... a été mis à même de participer aux cours de pneumologie interventionnelle organisés en partenariat avec son employeur par des praticiens de renom et participait aux réunions périodiques de ventes organisées par son employeur, au cours desquelles étaient dispensées aux participants des formations portant notamment sur les évolutions législatives et réglementaires concernant les dispositifs médicaux ; que c'est donc à tort que l'inspecteur du travail a estimé que M. C... n'avait suivi aucune formation ; que les qualifications initiales de M. C... ne pouvaient davantage fonder un refus au regard des éléments précis et circonstanciés dont il était fait état devant l'autorité administrative, pas plus que l'existence d'un précédent refus opposé six ans auparavant à la société ou que l'ancienneté de M. C... dans le poste qu'il occupait ; qu'il en résulte que la SA Novatech est fondée à soutenir que les motifs opposés à sa demande de licenciement pour insuffisance professionnelle n'étaient pas fondés ;

Sur la demande de licenciement fondée sur la faute :

7. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces versées aux débats que M. C..., contrairement à ses collègues, ne respectait pas la politique commerciale définie par la direction et proposait, à l'occasion d'appels d'offres, des prix qui n'étaient pas conformes aux intérêts économiques de l'entreprise, même dans le cas où cette dernière se trouvait en situation de monopole ; qu'ainsi, et contrairement à ce qu'a retenu l'inspecteur du travail, l'insubordination du salarié sur ce point est démontrée ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que, s'agissant du non-respect des procédures de retour du matériel prêté, un doute subsiste sur ce point, qui doit profiter au salarié, tout comme pour ce qui concerne le manque de loyauté de M. C... dans sa relation avec un chef de service renommé d'un hôpital lyonnais, les éléments produits sur ce point étant contradictoires ;

9. Considérant, en troisième lieu, qu'il n'est pas contesté que M. C... n'informait pas par mail le responsable du personnel de la prise ou pas de ses heures de délégation alors qu'il ressort des pièces du dossier que ce mode de fonctionnement avait été défini ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que les heures de délégation de l'intéressé étaient indiquées dans son agenda " calendar ", de sorte que le non-respect des consignes sur ce point ne peut être regardé comme suffisamment établi ;

10. Considérant que l'inspecteur du travail a considéré que les éléments de l'enquête ne confirmaient pas chacun des éléments dont il était fait état devant lui par l'employeur ; qu'il résulte de ce qui précède que si, contrairement à ce qu'a retenu l'autorité administrative, la matérialité du grief correspondant au non-respect de la politique tarifaire de l'employeur est établie, la société appelante n'est pas fondée à critiquer les autres motifs retenus par l'inspecteur du travail pour refuser la demande d'autorisation de licenciement, la matérialité des nombreux autres griefs invoqués par la société à l'appui de sa demande n'étant pas démontrée ; qu'il résulte de l'instruction que, même s'il avait admis l'existence du seul grief dont la matérialité apparaît établie, l'inspecteur du travail aurait pris la même décision ; qu'il en résulte que la SA Novatech n'est pas fondée à soutenir que le refus opposé à sa demande de licenciement pour motif disciplinaire était illégal ;

Sur le lien avec l'exercice du mandat :

11. Considérant que, pour décider que la demande de licenciement présentée devant lui était en rapport avec le mandat de délégué du personnel exercé par M. C... et en lien avec son mandat de délégué syndical, l'inspecteur du travail, après avoir relevé que cette demande intervenait après l'échec de la résolution d'un litige né entre M. C... et son employeur et dont l'objet était la détermination de la date de départ en retraite de l'intéressé, a indiqué que l'entreprise n'avait pas donné suite aux demandes réitérées de M. C... en vue de l'adhésion de l'entreprise à une convention collective, que M. C... avait fait l'objet d'une surveillance étroite restreignant sa liberté de se déplacer, qu'une première procédure de licenciement avait coïncidé avec le début du mandat électif et que la seconde procédure anticipait la fin normale de son mandat ;

12. Considérant, en premier lieu, que la circonstance qu'une demande d'autorisation de licenciement anticipe le terme du mandat ne saurait constituer l'indice d'un lien entre cette demande et l'exercice des fonctions représentatives ;

13. Considérant, en deuxième lieu, que M. C... a été élu en qualité de délégué du personnel le 24 avri1 2006 ; que la première demande de licenciement de l'intéressé a été introduite devant l'inspection du travail le 3 septembre 2007, soit un an et quatre mois plus tard ; que, dans ces conditions, il n'y avait pas de concomitance entre le début du mandat électif et cette première demande ;

14. Considérant, en troisième lieu, qu'à la suite de la plainte pour harcèlement moral introduite par M. C..., l'inspecteur du travail a conclu, après enquête, à l'absence de situation de harcèlement moral à l'encontre de Giacomo C...; qu'il a constaté l'absence de tout élément de dégradation des conditions de travail de l'intéressé et indiqué que les faits dénoncés à ce sujet, portant sur la détention par l'employeur d'un double des clefs de la voiture de fonction, les demandes de justificatifs des frais professionnels, et l'obligation de couverture de la totalité du territoire contractuel de prospection avaient été justifiés, de façon suffisante et étayée, par l'employeur ; que si, dans la décision de refus attaquée, l'inspecteur du travail indique que M. C... aurait fait l'objet d'une surveillance étroite restreignant sa liberté de se déplacer, il ne ressort pas des pièces du dossier que les attentes de son employeur aient excédé l'exercice légitime et de bonne foi de son pouvoir hiérarchique, de son pouvoir d'organisation et de gestion, ou la prise des mesures répondant aux exigences du service et à un souci de bonne gestion ; qu'il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les exigences de l'employeur visant à ce que M. C... rende compte de ses déplacement professionnels aient été en lien avec l'exercice par ce dernier de ses mandats ;

15. Considérant, en quatrième lieu, que les demandes présentées par M. C... en vue de l'adhésion à une convention collective ne ressortent pas des pièces du dossier ; que l'employeur a versé en revanche aux débats de nombreuses attestations circonstanciées faisant état de l'absence de rôle actif dans l'exercice de son mandat par M. C..., de la poursuite, à travers son mandat, de son propre intérêt, et d'un comportement manipulateur des travailleurs qu'il représentait ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, même si la demande d'autorisation de licenciement fait suite à l'échec d'une négociation entre les parties relatives à la date et aux conditions du départ en retraite de M. C..., elle ne peut être regardée comme étant en lien avec les fonctions représentatives exercées par l'intéressé ni avec son appartenance syndicale ; qu'il en résulte que c'est à tort que l'inspecteur du travail a également fondé son refus pour ce motif ;

17. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que si l'un des motifs opposé par l'inspecteur du travail à la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire dont il était saisi était fondé, aucun des motifs opposés à la demande fondée sur l'insuffisance professionnelle ne l'était ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la SA Novatech est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande en annulation de la décision du 10 décembre 2013 en tant qu'elle lui refusait l'autorisation de licencier M. C... pour insuffisance professionnelle ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SA Novatech et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La décision de l'inspecteur du travail du 10 décembre 2013 refusant à la SA Novatech l'autorisation de licencier M. C... est annulée en tant qu'elle porte sur la demande de licenciement pour insuffisance professionnelle.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 février 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la SA Novatech une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la SA Novatech est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Novatech, à la ministre du travail et à M. C....

Délibéré après l'audience du 16 mai 2017, où siégeaient :

- M. Guidal, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Chanon, premier conseiller,

- Mme D..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 1er juin 2017.

N° 16MA01526

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