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14/02/2017 | FRANCE | N°14MA00467

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 14 février 2017, 14MA00467


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C...veuve D...a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 16 mars 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant droit de son époux décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1201381 du 5 décembre 2013, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Proc

dure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 janvier 2014 et 23 décem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C...veuve D...a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 16 mars 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant droit de son époux décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1201381 du 5 décembre 2013, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 janvier 2014 et 23 décembre 2016, Mme C... veuveD..., représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 décembre 2013 ;

2°) d'annuler la décision du 16 mars 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande, présentée en qualité d'ayant droit de son époux décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

3°) d'enjoindre au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de lui présenter une proposition d'indemnisation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont M. D... a souffert ;

4°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices des intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort qu'après avoir reconnu que sa demande satisfaisait aux conditions posées par les articles 1 et 2 de la loi du 5 janvier 2010 le ministre de la défense a considéré que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenance de la maladie de son époux pouvait être considéré dans les circonstances de l'espèce comme négligeable ;

- la méthode utilisée par le CIVEN pour déterminer le caractère négligeable ou pas du risque ne prend en considération que certains faits et ne rend pas compte, ainsi, de la réalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2015, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête de Mme C....

Il soutient qu'elle n'est pas fondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renouf,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., substituant MeE..., représentant

Mme C... veuveD....

1. Considérant que Mme C... fait appel du jugement du 5 décembre 2013 du tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 mars 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande d'indemnisation qu'elle a présentée, en qualité d'ayant droit de son époux décédé, au titre des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français modifiée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes du I de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " Les demandes d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) " et qu'aux termes du II de ce même article : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction également applicable au litige : " Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable, et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

5. Considérant qu'il est constant que le mari de Mme C... a séjourné du 25 juillet 1966 au 9 novembre 1966 sur l'atoll de Hao ; qu'il a été ensuite atteint d'un cancer de l'oesophage, maladie qui figure au nombre des maladies radio-induites limitativement énumérées à l'annexe du décret du 11 juin 2010 pris en application de la loi du 5 janvier 2010 ; que, par suite, la demande de Mme C... entre dans le champ d'application des dispositions précitées ; qu'ainsi, Mme C... doit bénéficier de l'indemnisation que ces dispositions prévoient, sauf à ce que le ministre de la défense établisse que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de son époux est négligeable ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la méthode retenue par le CIVEN pour évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires s'appuie sur une pluralité de critères, recommandés par l'Agence internationale de l'énergie atomique, notamment sur les conditions particulières d'exposition de l'intéressé, et qui, pour le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants, prend en compte, au titre de la contamination externe, les résultats de mesures de surveillance individuelles ou collectives disponibles ou, en leur absence, la dose équivalente à la valeur du seuil de détection des dosimètres individuels pour chaque mois de présence, fondée sur des données de surveillance radiologique atmosphérique permanente effectuée dans les centres d'essais nucléaires et, au titre de la contamination interne, les résultats des mesures individuelles de surveillance, ou en leur absence, les résultats des mesures de surveillance d'individus placés dans des situations comparables ; que ces critères, ainsi qu'il a été dit ci-dessus aux points 2 et 3, ne méconnaissent pas les dispositions de la loi et permettent, sur ce fondement, d'établir, le cas échéant, le caractère négligeable du risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie dont souffre l'intéressé ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que le mari de Mme C..., M. D..., militaire de carrière, a, ainsi qu'il a été dit au point 5, séjourné sur l'atoll de Hao du 25 juillet 1966 au 9 novembre 1966 ; qu'un essai nucléaire dans l'atmosphère avait eu lieu le 19 juillet 1966, 6 jours avant son arrivée, suivi de 3 autres essais réalisés les 11 septembre 1966, 24 septembre 1966 et 4 octobre 1966 ; que, d'une part, ces essais se sont déroulés à proximité immédiate des atolls de Mururoa et de Fangataufa, soit à plus de 460 kilomètres de l'atoll de Hao ; que, d'autre part, il est constant que M. D... a alors exercé ses attributions de mécanicien à bord d'avions " Neptune " (P2V6) qui se tenaient toujours éloignés du champignon provoqué par les explosions ; que si, en revanche, les avions " Vautour ", également stationnés à la base aérienne de Hao, avaient notamment pour mission d'effectuer des prélèvements dans les nuages radioactifs en vue d'analyses radio-chimiques, lesdits avions faisaient l'objet de décontamination après chaque mission et il ne résulte pas de l'instruction que M. D... aurait pu pénétrer dans la zone contrôlée de décontamination dont l'accès lui était interdit ; qu'enfin, il n'est pas contesté que l'ensemble des aliments et des boissons consommés par les militaires, y compris l'eau potable, était alors importé ; qu'ainsi, eu égard aux conditions concrètes d'exposition de M. D... aux risques de contamination, les dosimètres d'ambiance de la base aérienne de Hao établis tout au long de l'année 1966 et l'anthropogammamétrie réalisée le 3 novembre 1966, quelques jours avant le départ de l'intéressé et alors qu'aucun essai nucléaire n'a ensuite été réalisé entre cet examen et son départ, ont constitué des mesures de surveillance du risque de contamination tant interne qu'externe suffisantes ;

9. Considérant, enfin, que les dosimétries d'ambiance réalisés pendant le séjour de M. D... sur l'atoll de Hao ont constaté des doses nulles et l'anthropogammamétrie réalisée le 3 novembre 1966 révèle un taux de tri de 0,98 et, par suite, l'absence à cette date de contamination interne de l'intéressé ; qu'il résulte de ces résultats, même corrigés de la part d'incertitude qu'ils comportent, que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue du cancer de l'oesophage présenté, 12 années après son séjour en Polynésie française, par M. D... alors âgé de 46 ans, est négligeable ; que, par suite, c'est à bon droit que le ministre a, par la décision attaquée, rejeté la demande d'indemnisation présentée par Mme C... sur le fondement des dispositions précitées ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande de première instance ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C...veuve D...et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2017, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. Renouf, président assesseur,

- M. Coutel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 février 2017.

N° 14MA00467 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA00467
Date de la décision : 14/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Philippe RENOUF
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-02-14;14ma00467 ?
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