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14/02/2017 | FRANCE | N°14MA00401

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 14 février 2017, 14MA00401


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E...veuve B...et M. C... B...ont demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 15 septembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté leur demande, présentée en qualité d'ayant droit respectivement de leur époux et père décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1103399 du 5 décembre 2013, le tribunal administr

atif de Nîmes a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E...veuve B...et M. C... B...ont demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 15 septembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté leur demande, présentée en qualité d'ayant droit respectivement de leur époux et père décédé, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1103399 du 5 décembre 2013, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 janvier 2014 et 22 décembre 2016, Mme F... E...veuve B...et M. C... B..., représentés par Me G..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 décembre 2013 ;

2°) d'annuler la décision du 15 septembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté leur demande, présentée en qualité d'ayant droit de M. D... B..., tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

3°) d'enjoindre sous astreinte au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de lui présenter une proposition d'indemnisation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont M. B... a souffert ;

4°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort qu'après avoir reconnu qu'il satisfaisait aux conditions posées par les articles 1 et 2 de la loi du 5 janvier 2010 le ministre de la défense a considéré que le risque attribuable aux essais nucléaires français dans la survenance de la maladie de M. B... peut être considéré dans les circonstances de l'espèce comme négligeable ;

- la méthode utilisée par le CIVEN pour déterminer le caractère négligeable ou pas du risque ne prend en considération que certains faits et ne rend pas, ainsi, compte de la réalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2014, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête des consortsB....

Il soutient que c'est à bon droit que le tribunal a jugé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de M. B... était négligeable et qu'il ne justifiait pas une indemnisation au titre de cette législation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renouf,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., substituant MeG..., représentant les consortsB....

1. Considérant que les consorts B...font appel du jugement du 5 décembre 2013 du tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 15 septembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté la demande d'indemnisation qu'ils ont présentée, en qualité d'ayant droit respectivement de leur époux et père décédé, au titre des dispositions de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français modifiée : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./ Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes du I de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " Les demandes d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) " et qu'aux termes du II de ce même article : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 11 juin 2010 pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction également applicable au litige : " Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

4. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable, et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

5. Considérant qu'il est constant que M. B... a séjourné à bord du porte-avion Foch à proximité de Mururoa du 23 juin au 11 octobre 1966 ; qu'il a été ensuite atteint d'un cancer du poumon, maladie qui figure au nombre des maladies radio-induites limitativement énumérées à l'annexe du décret du 11 juin 2010 pris en application de la loi du 5 janvier 2010 ; que, par suite, la demande des consorts B...entre dans le champ d'application des dispositions précitées ; qu'ainsi, les requérants doivent bénéficier de l'indemnisation que ces dispositions prévoient, sauf à ce que le ministre de la défense établisse que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. B... est négligeable ;

6. Considérant que M. B..., militaire de carrière, a, ainsi qu'il a été dit au point précédent, séjourné à proximité de Mururoa du 23 juin au 11 octobre 1966 à bord du porte-avion Foch ; qu'il est constant qu'au cours de cette période, six essais nucléaires atmosphériques ont été réalisés ; qu'il résulte de l'instruction que le ministre de la défense ne précise pas la distance exacte du navire du lieu d'expérimentation lors de chacun de ces essais atmosphériques ni la durée à l'issue de laquelle il revient à proximité de Mururoa où l'essai a eu lieu ; que, de même, si le ministre se prévaut du port constant pas l'intéressé de dosimètres pendant la période et de relevés de dosimétrie d'ambiance à bord du navire, il n'apporte aucune précision en réponse au fait, relevé par les requérants, que le tableau produit par le ministre lui-même ne porte, s'agissant d'un des 3 relevés dosimétriques en cause, aucun chiffre, seule la mention " film non rendu " figurant dans la colonne destinée au chiffrage de la dose de millirems reçue ; qu'enfin, alors que M. B... n'a bénéficié d'aucune mesure de surveillance portant sur une éventuelle contamination interne, le ministre ne précise pas les mesures qui auraient été prises pour éviter une telle contamination notamment par ingestion de boissons ; que, par suite, les mesures de surveillance dont le ministre a fait état ne peuvent être regardées comme suffisantes pour déterminer l'étendue de l'exposition effective de M. B... à des rayonnements ionisants ; que, dès lors, le ministre de la défense ne peut être regardé comme ayant rapporté la preuve de ce que le risque attribuable dans la survenance de la maladie dont a souffert M. B... était négligeable ; qu'ainsi, la présomption de causalité instituée par les dispositions précitées n'étant pas renversée, c'est à tort que le ministre a, par sa décision du 15 septembre 2011, rejeté la demande des consorts B...tendant au bénéfice de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts B...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa nouvelle rédaction issue de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 qu'il appartient dorénavant au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, devenu autorité administrative indépendante, de statuer sur les demandes d'indemnisation et de proposer, lorsque les conditions sont réunies, une indemnisation ; qu'il y a lieu, par suite, et eu égard à tout ce qui précède, d'enjoindre au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de présenter aux consorts B...une proposition d'indemnisation des préjudices que M. B... a subi du fait du cancer du poumon dont il a été victime dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par les requérants ;

9. Considérant que les consorts B...ont droit aux intérêts au taux légal des sommes qui leur sont dues à compter du 3 août 2010, date de la réception par l'administration de leur demande d'indemnisation ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 22 décembre 2016 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts B...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 décembre 2013 et la décision du ministre de la défense du 15 septembre 2011 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de présenter à Mme F... E...veuve B...et M. C... B...une proposition d'indemnisation des préjudices que M. B... a subis du fait du cancer du poumon dont il a été atteint, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Les sommes dues en application de l'article 2 porteront intérêts au taux légal à compter du 3 août 2010. Les intérêts échus le 22 décembre 2016 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : L'État versera aux consorts B...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E...veuveB..., à M. C... B..., au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2017, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. Renouf, président assesseur,

- M. Coutel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 février 2017.

N° 14MA00401 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA00401
Date de la décision : 14/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-01-05 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: M. Philippe RENOUF
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-02-14;14ma00401 ?
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