Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société International Yacht Consulting Limited a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2009, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1300724 du 24 juin 2014, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 20 octobre 2014, la société International Yacht Consulting Limited, représentée par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 24 juin 2014 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle ne peut être regardée comme disposant d'un établissement stable en France ;
- les recettes retenues par le vérificateur sont théoriques et ne correspondent pas aux recettes encaissées, déclarées aux services fiscaux britanniques ;
- elle justifie des frais de fonctionnement ainsi que des commissions versées aux intermédiaires qui doivent être déduits des recettes imposables ;
- elle a rempli toutes ses obligations fiscales et juridiques en Grande-Bretagne.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 mars 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention du 22 mai 1968 entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord, tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carotenuto,
- et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant que la société International Yacht Consulting Limited, dont le siège social est en Grande-Bretagne, exerce une activité de courtage en gestion et affrètement de yachts ; qu'en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, un droit de visite et de saisie a été exercé, le 29 juillet 2009, au domicile de son représentant légal, M. A..., situé à Vence (Alpes-Maritimes) ; que l'administration a estimé que les pièces saisies permettaient de caractériser l'exercice d'une activité en France de la société International Yacht Consulting Limited à partir d'un établissement stable ; que la société International Yacht Consulting Limited n'ayant déposé aucune déclaration fiscale à raison de cette activité, l'administration a mis à sa charge, par voie de taxation d'office, des cotisations d'impôt sur les sociétés au titre des années 2006 à 2009, à hauteur de 786 944 euros en droits et pénalités ; que la société International Yacht Consulting Limited a saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la décharge de ces impositions ; que par le jugement attaqué du 24 juin 2014, le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
Sur le principe de l'assujettissement de la société International Yacht Consulting Limited à l'impôt sur les sociétés :
2. Considérant que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu'il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale ;
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale française :
3. Considérant qu'aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France, (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions. " ;
4. Considérant que les éléments saisis par l'administration fiscale au cours de la visite domiciliaire mentionnée au point 1 ont permis d'établir que la société International Yacht Consulting Limited a pour gérant M. A... ; que ce dernier est également dirigeant de la société Yachting Consultants and Investments Inc, unique associée de la société International Yacht Consulting Limited, dont le siège est situé aux Bahamas ; que de nombreux documents émanant de la société requérante mentionnent l'adresse du domicile de M. A..., situé à Vence, comme adresse française ; que le site internet de la société appelante fait apparaître le numéro de téléphone fixe de M. A... et le numéro de téléphone portable de M. B..., co-directeur ou co-manager de la société, ainsi que le numéro anglais d'un télécopieur dont les télécopies étaient automatiquement redirigées vers une adresse de messagerie française ; que M. A..., dans ses relations avec les tiers, mentionnait son numéro de téléphone portable français comme numéro de contact ; que les renseignements recueillis par l'administration dans le cadre de son droit de communication attestent de l'utilisation régulière de ces lignes au cours de la période vérifiée ; que si M. A... soutient avoir séjourné à plusieurs reprises et régulièrement en Angleterre au cours des années vérifiées, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il ne l'établit pas ; que d'autres documents, notamment bancaires et financiers, ont révélé que de nombreux ordres de mouvements effectués sur les comptes de la société étaient décidés à partir du territoire français par M. A... ; que celui-ci était habilité à passer les contrats au nom de la société International Yacht Consulting Limited et au nom des loueurs de navires, à gérer les relations clients et le service après-vente, à signer les factures, disposait de chéquiers libellés au nom de la société, donnait ses instructions à M. B... et lui donnait procuration sur les comptes de l'entreprise ; que M. A... assurait ainsi la gestion administrative, commerciale et financière pleine et entière de la société International Yacht Consulting Limited ; que si cette dernière tenait une comptabilité en Angleterre et y souscrivait des déclarations fiscales, il n'est en tout état de cause pas établi qu'elle comptabilisait dans cet Etat les opérations réalisées par son dirigeant en France ; que, dès lors, la société requérante, qui exerçait de manière habituelle son activité par l'entremise de M. A..., doit être regardée comme une entreprise exploitée en France au sens de l'article 209 du code général des impôts ;
En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-britannique :
5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 susvisée : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable. " ; qu'aux termes de l'article 4 de la même convention : " 1. Au sens de la présente convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. 2. L'expression "établissement stable" comprend notamment : (...) b. Une succursale ; c. Un bureau ; (...) 4. Une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant, autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 5, est considérée comme "établissement stable" dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, à moins que l'activité de cette personne ne soit limitée à l'achat de marchandises pour l'entreprise. " ;
6. Considérant que, pour l'application de ces stipulations, pour avoir un établissement stable en France, une société résidente du Royaume-Uni doit soit disposer d'une installation fixe d'affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité soit avoir recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l'engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres ; que les bénéfices industriels et commerciaux dégagés par cet établissement sont alors imposables en France ;
7. Considérant qu'il résulte des constatations énoncées au point 4 que la société International Yacht Consulting Limited doit être regardée comme disposant à Vence, pendant les années en litige, d'une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle elle exerçait son activité en France ; qu'elle disposait ainsi d'un établissement stable au sens du 2 de l'article 4 de la convention franco-britannique ; qu'en application du 1 de l'article 6 de cette même convention, les bénéfices issus de cet établissement stable ne sont imposables qu'en France ; que, dès lors, les stipulations de la convention du 22 mai 1968 ne font pas obstacle à l'application de la loi fiscale française ;
Sur le montant de l'imposition :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. " ;
9. Considérant que, ainsi qu'il a été dit au point 1, la société International Yacht Consulting Limited a été assujettie à l'impôt sur les sociétés en France au titre des années 2006 à 2009 selon la procédure de taxation d'office prévue au 2 de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales ; qu'ainsi elle supporte la charge de la preuve de l'exagération des impositions qu'elle conteste ;
En ce qui concerne l'évaluation des bénéfices imposables :
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour déterminer le bénéfice de la société International Yacht Consulting Limited, en l'absence de toute comptabilité, l'administration a calculé la différence entre les montants portés sur les contrats de location de yachts " MYBA ", augmentés du montant total de l' " Advance Provisionning Allowance " (APA) figurant dans les documents saisis lors de procédure de visite domiciliaire, et les débits apparaissant sur les comptes bancaires de la société ; que les charges déductibles retenues par le service ont représenté, respectivement au titre des exercices clos en 2006, 2007 et 2008, une moyenne de 84,54 %, 90,27 % et 73,57 % du chiffre d'affaires reconstitué ; que, pour l'exercice 2009, l'activité n'ayant été exercée que sur un trimestre, le vérificateur a pris en compte la moyenne des pourcentages admis pour les années 2006 à 2008, soit 82,79 % ; que si la société requérante produit en appel, pour les années vérifiées, des copies de factures qu'elle aurait émises, ainsi que la copie des comptes annuels déposés à la " Companies House ", ces documents ne sont pas de nature à remettre en cause l'évaluation des chiffres d'affaires à laquelle ont procédé les services fiscaux au titre de l'activité qu'elle a exercée en France ; que si, s'agissant des charges déductibles, la société International Yacht Consulting Limited se prévaut de copies de factures de commissions versées aux intermédiaires et d'une copie du grand livre des dépenses courantes, ces éléments ne permettent pas davantage de démontrer une sous-estimation des dépenses retenues par le service à partir de l'examen de ses comptes bancaires, alors qu'elle ne produit pas de relevés bancaires mentionnant le versement de ces commissions ; que dans ces conditions, la société International Yacht Consulting Limited n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'exagération des impositions en litige ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société International Yacht Consulting Limited n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société International Yacht Consulting Limited au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société International Yacht Consulting Limited est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société International Yacht Consulting Limited et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2016, où siégeaient :
- M. Cherrier, président,
- Mme Chevalier-Aubert, président assesseur,
- Mme Carotenuto, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2016.
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N° 14MA04242