La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/11/2016 | FRANCE | N°15MA03905

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre - formation à 3, 07 novembre 2016, 15MA03905


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler les arrêtés du 18 août 2015 par lesquels le préfet de l'Hérault, d'une part, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1504568 du 21 août 2015, le magistrat désigné près le tribunal administratif de Montpellier a annulé les arrêtés du 18 août 2015 et a enjoint au préfet de l'Hérault de munir M. B... d'une au

torisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours et de se prononcer sur sa situati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler les arrêtés du 18 août 2015 par lesquels le préfet de l'Hérault, d'une part, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination, d'autre part, l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1504568 du 21 août 2015, le magistrat désigné près le tribunal administratif de Montpellier a annulé les arrêtés du 18 août 2015 et a enjoint au préfet de l'Hérault de munir M. B... d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours et de se prononcer sur sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 septembre 2015, le préfet de l'Hérault demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 août 2015 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... ;

Il soutient que les premiers juges ont commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que M. B... ne démontre pas encourir effectivement et personnellement des risques en cas de retour dans son pays d'origine.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 août 2016, M. B..., représenté par Me Mazas, conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Hérault de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, dans l'attente de la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ", ou à défaut de la délivrance d'un titre de séjour " salarié " ;

- à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil, lequel renonce à percevoir l'aide juridictionnelle en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- l'appel est irrecevable à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français dès lors qu'aucun moyen n'est développé à son encontre ;

- il encourt des risques personnels dès lors qu'il est kurde et insoumis ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :

- elle est entachée de vice de procédure ;

- le préfet n'a pas procédé à un examen réel et complet de sa situation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- le préfet a commis une erreur de droit en s'estimant lié par la décision de la Cour nationale du droit d'asile (Cnda) ;

- la décision méconnait les dispositions de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait l'article 3 de la convention des Nations Unies de 1984 relative à la prévention de la torture.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 février 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signée le 10 décembre 1984 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Steinmetz-Schies ;

- les conclusions de M. Thiele, rapporteur public ;

- les observations de Me Mazas, avocat, pour M. B....

1. Considérant que M. B..., ressortissant turc, né le 21 mars 1991, a déclaré être entré en France le 15 décembre 2011 afin de solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié ; que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a rejeté sa demande d'asile par décision du 3 juillet 2012, confirmée par la Cnda le 6 février 2013 ; que, par un arrêté du 5 mars 2013, le préfet de l'Hérault a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours ; que par un jugement du 17 septembre 2013, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 7 avril 2015, la légalité de l'arrêt du 5 mars 2013 a été confirmée ; que suite à une demande de réexamen de sa demande d'asile, le préfet de l'Hérault lui a, le 16 décembre 2013, sur le fondement du 4° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, refusé le séjour et l'a informé que sa demande de réexamen sera instruite selon la procédure prioritaire ; que le 31 janvier 2014, l'OFPRA, a rejeté sa demande ; que le 21 mars 2014, le préfet de l'Hérault a pris à son encontre un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ; que le 18 août 2015, le préfet a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai ainsi qu'un arrêté portant assignation à résidence ; que par un jugement du 21 août 2015, dont le préfet de l'Hérault relève appel, le tribunal administratif de Montpellier a annulé les arrêtés du 18 août 2015 et a enjoint au préfet de l'Hérault de munir M. B... d'une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours et de se prononcer sur sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement;

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. B... :

2. Considérant que, contrairement à ce que soutient M. B..., le préfet de l'Hérault conteste le moyen retenu par les premiers juges à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français, tiré de ce qu'il n'aurait pas procédé à un examen réel et sérieux de la situation de M. B... ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut de motivation de la requête doit être écartée ;

Sur les moyens d'annulation retenus par le tribunal administratif :

3. Considérant que pour annuler l'arrêté du 18 août 2015 par lequel le préfet de l'Hérault a obligé M. B... de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination vers lequel il doit être renvoyé, le magistrat désigné a estimé que le préfet n'a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa situation et a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; qu'il résulte de ces dispositions combinées que l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger a l'obligation de s'assurer, au vu du dossier dont elle dispose et sous le contrôle du juge, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5. Considérant que M. B... a fait valoir que son engagement en faveur de la cause kurde ainsi que son refus d'effectuer son service militaire, faisant de lui un insoumis, lui font courir le risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Turquie ; que, toutefois, si ses sympathies pour la cause kurde lui ont été reconnues par l'Ofpra ainsi que sa possible participation aux " tentes pour une solution démocratique ", M. B... n'a fourni aucun élément permettant d'établir qu'il est un militant actif qui peut craindre des risques de la nature de ceux que mentionne l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'existence d'une situation générale de violences dans le pays ne permet pas d'établir qu'il serait personnellement menacé ; que la conscription, à laquelle il a été convoqué le 27 février 2012, et la qualité d'objecteur de conscience qu'il revendique sans en apporter de preuves, ne suffisent pas à établir les risques invoqués ; que, par suite, le préfet de l'Hérault, qui a procédé à un examen particulier de sa situation, contrairement à ce que soutient M. B..., est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les moyens invoqués, les premiers juges ont annulé l'arrêté du 18 août 2015 ;

6. Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. B... en première instance et en appel, à l'encontre de l'arrêté du 18 août 2015 par lequel le préfet de l'Hérault l'a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays de destination et l'a assigné à résidence;

Sur les autres moyens soulevés par M. B... :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

7. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient M. B..., le préfet de l'Hérault a procédé, ainsi que cela ressort des termes mêmes de la décision litigieuse, à un examen approfondi de sa situation personnelle en examinant ses déclarations et les éléments produits; que, par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de sa situation doit être écarté ;

8. Considérant, en deuxième lieu, qu'aucun élément ne permet d'établir que le droit d'être entendu aurait été méconnu par le préfet de l'Hérault, qui, s'il vise dans la décision contestée la procédure établie par les services de police en date du 18 août 2015, se réfère aussi aux productions de l'intéressé ; que, par suite, le vice de procédure allégué par M. B... doit être écarté ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

9. Considérant en premier lieu, qu'il ne ressort pas de l'arrêté contesté que le préfet de l'Hérault se soit borné à reprendre les éléments contenus dans les décisions de l'Ofpra et de la Cnda ; qu'il a, au contraire, examiné la situation de M. B... et ne s'est pas estimé en situation de compétence liée ;

10. Considérant en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : " 1. Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture./ 2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'Etat intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention des Nations Unies relative à la prévention de la Torture : " 1. Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. 2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes , y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'Etat intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. " ; qu'il résulte de ces dispositions combinées, que l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger a l'obligation de s'assurer, au vu du dossier dont elle dispose et sous le contrôle du juge, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

11. Considérant que M. B..., dont les demandes d'asile ont été rejetées les 6 février 2013 et 20 octobre 2014 par la Cnda, fait valoir qu'en Turquie le statut d'objecteur de conscience n'est pas reconnu, et qu'en application du droit turc, il sera automatiquement placé en détention pour désertion de l'armée en cas de retour en Turquie, qu'il sera poursuivi pénalement jusqu'à ce qu'il accepte d'intégrer l'armée et risque d'être soumis à la torture ; que toutefois, de telles allégations et documents produits sur les risques encourus, ne sont pas de nature, à eux seuls, à justifier que la décision contestée l'expose personnellement à des risques de persécutions ou à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 3 de la convention des nations unies contre la torture du 10 février 1984 ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 18 août 2015; que ses conclusions à fin d'injonction, et celles tendant à ce qu'une somme représentative des frais de procédure soit, en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative ou 37 de la loi du 10 juillet 1991, mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 21 août 2015 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Montpellier tendant à l'annulation de l'arrêt du préfet de l'Hérault du 18 août 2015 et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3: Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Mazas et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2016, où siégeaient :

- M. Moussaron, président,

- Mme Steinmetz-Schies, président-assesseur,

- Mme Markarian, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 7 novembre 2016.

6

N° 15MA03905


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15MA03905
Date de la décision : 07/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. MOUSSARON
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre Steinmetz-Schies
Rapporteur public ?: M. THIELE
Avocat(s) : SCM MAZAS - ETCHEVERRIGARAY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-11-07;15ma03905 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award