Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A...ont demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2009, à raison de la plus-value réalisée lors de la cession, le 25 juin 2009, du bien immobilier qu'ils possédaient à Beausoleil (Alpes-Maritimes).
Par un jugement n° 1101670 du 17 janvier 2014, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 20 mai 2014 par télécopie et régularisée par courrier le 21 mai suivant, M. et MmeA..., représentés par Me C...et MeB..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 17 janvier 2014 ;
2°) de prononcer la décharge de l'imposition contestée ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'application du taux de 33,33 % prévu par l'article 244 bis A-I-1 du code général des impôts pour le calcul de la plus-value réalisée lors de la cession de leur bien immobilier institue, entre personnes physiques résidentes ou non d'un Etat membre de l'espace économique européen, une inégalité de traitement incompatible avec le droit communautaire ;
- ce taux constitue une entrave au principe de libre circulation des capitaux posé par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, laquelle ne saurait être justifiée par la clause de gel prévue à l'article 64 de ce même traité.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 septembre 2014, le ministre de finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme A...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 88/361 du 24 juin 1988 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chevalier-Aubert,
- et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant que M. et MmeA..., de nationalité allemande et demeurant..., ont cédé le 25 juin 2009 un bien immobilier qu'ils possédaient à Beausoleil (Alpes-Maritimes) ; que l'administration a remis en cause, par proposition de rectification du 29 janvier 2010, le taux de prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu de 16 % qu'ils revendiquaient à raison de la plus-value immobilière réalisée lors de la vente, en portant ce taux à 33,1/3 % sur le fondement de l'article 244 bis A du code général des impôts ; que M. et Mme A... relèvent appel du jugement en date du 17 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la décharge du supplément d'impôt sur le revenu auquel ils ont été ainsi assujettis au titre de l'année 2009 pour un montant de 76 055 euros ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête ;
2. Considérant qu'en vertu de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne alors en vigueur, devenu l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ; que, toutefois, aux termes de l'article 57 du même traité, devenu l'article 64 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " L'article 56 ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national (...) en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers (...) ", et, aux termes de l'article 58 du même traité, devenu l'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : / a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; / b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ", sous réserve que ces dispositions et mesures ne constituent " ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux " ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 244 bis A du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " I.-1. Sous réserve des conventions internationales, les plus-values, telles que définies aux e bis et e ter du I de l'article 164 B, réalisées par les personnes et organismes mentionnés au 2 du présent I lors de la cession des biens ou droits mentionnés au 3 sont soumises à un prélèvement selon le taux fixé au deuxième alinéa du I de l'article 219. ...Par dérogation au premier alinéa, les personnes physiques, les associés personnes physiques de sociétés ou groupements dont les bénéfices sont imposés au nom des associés et les porteurs de parts, personnes physiques, de fonds de placement immobilier mentionnés à l'article 239 nonies, résidents d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale, sont soumis au prélèvement selon le taux fixé au premier alinéa de l'article 200 B. 2 Sont soumis au prélèvement mentionné au 1 : a) Les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de 'article 4 B ; ....3. Le prélèvement mentionné au 1 s'applique aux plus-values résultant de la cession : a) De biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens ;........V.-Le prélèvement mentionné au I est libératoire de l'impôt sur le revenu dû en raison des sommes qui ont supporté celui-ci. " ; que l'article 200 B du code général des impôts alors en vigueur précise que : " Les plus-values réalisées dans les conditions prévues aux articles 150 U à 150 UB sont imposées au taux forfaitaire de 16 % (...) " ; que selon l'article 219 du même code, alors applicable " I. Pour le calcul de l'impôt, le bénéfice imposable est arrondi à l'euro le plus proche. La fraction d'euro égale à 0,50 est comptée pour 1. Le taux normal de l'impôt est fixé à 33,1 / 3 %... " ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'une personne physique est soumise, sur les plus-values de cessions d'immeubles situés en France, au taux de 16 % lorsqu'elle est résidente d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale, alors que le taux d'imposition est porté à 33,1/3 % lorsqu'elles ne résident pas dans l'un de ces Etats ; qu'en réduisant le taux de rentabilité d'un investissement immobilier en France, ces dispositions sont de nature à dissuader les investisseurs résidents de certains pays tiers d'investir en France et, par suite, constituent une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination de ces pays, en principe interdite par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne ;
5. Considérant qu'il résulte des stipulations précitées de l'article 57 du traité instituant la Communauté européenne, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts des 18 décembre 2007 et 5 mai 2011, rendus dans les affaires C-101/05, Skatteverket et C-348/09, Prunus, que des Etats membres peuvent appliquer des dispositions de droit national restreignant les mouvements de capitaux en provenance ou à destination de pays tiers si ces dispositions ou des dispositions identiques dans leur substance aux dispositions en cause ou qui n'en diffèrent qu'en tant qu'elles comportaient des obstacles supplémentaires à la libre circulation des capitaux existent de façon ininterrompue depuis le 31 décembre 1993 et si elles se rapportent à des investissements directs ;
6. Considérant que les dispositions de l'article 244 bis A du code général des impôts applicables au présent litige ont fait partie de l'ordre juridique français de manière ininterrompue depuis leur création par l'article 8 de la loi n° 76-660 du 19 juillet 1976, soit antérieurement à la date du 31 décembre 1993 mentionnée à l'article 57 du traité instituant la Communauté européenne ; que compte tenu de la clause dite de gel inscrite à cet article 57 pour l'application de laquelle c'est l'Etat de provenance des capitaux et non la nationalité de l'investisseur qui importe, reste autorisée l'application aux pays tiers, et donc à la Principauté de Monaco, des restrictions aux mouvements de capitaux existant le 31 décembre 1993 lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris des investissements immobiliers ; que, toutefois, par un arrêt C-181/12, Yvon Welte, du 17 octobre 2013, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que si les notions " d'investissements directs " et " d'investissements immobiliers " n'étaient pas définies par le traité, il ressortait de l'énumération figurant dans la rubrique I de l'annexe I de la directive 88/361/CEE du 24 juin 1988 et des notes explicatives s'y rapportant que la notion d'investissement direct concernait les investissements auxquels procèdent les personnes physiques ou morales et qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et l'entreprise à qui ces fonds sont destinés en vue de l'exercice d'une activité économique et qu'il ressortait de l'intitulé même de la rubrique II de cette annexe que les " investissements immobiliers " visés à cette rubrique ne comprenaient pas les investissements directs visés à la rubrique I de cette annexe ; que la Cour en a déduit que, lorsqu'il se réfère aux " investissements directs, y compris les investissements immobiliers ", l'article 57, paragraphe 1 vise les seuls investissements immobiliers qui constituent des investissements directs relevant de la rubrique I de l'annexe I de la directive 88/361 et qu'en revanche, des investissements immobiliers de type " patrimonial ", effectués à des fins privées sans lien avec l'exercice d'une activité économique, ne relèvent pas du champ d'application de cet article ;
7. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction et il n'est d'ailleurs pas allégué par l'administration que l'acquisition par M. et Mme A...du bien immobilier qu'ils possédaient à Beausoleil aurait été effectuée en vue de l'exercice d'une activité économique ; qu'ainsi, cette acquisition ne constituait pas un investissement direct au sens de l'article 57, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne devenu l'article 64 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, interprété à la lumière de la directive 88/361 du 24 juin 1988, mais un investissement immobilier entrant dans la catégorie II de la nomenclature annexée à ladite directive ; qu'il s'ensuit que l'investissement réalisé par M. et Mme A...tout comme la cession du bien en cause intervenue en 2009 ne relevant pas pour ce motif du champ d'application de la dérogation prévue par l'article 57, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, le prélèvement fiscal mis à la charge de M. et Mme A...sur la base du taux de 33,33 % constituait une restriction aux mouvements de capitaux entre un Etat membre de la Communauté européenne et un Etat tiers, prohibée par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à la décharge du complément d'imposition auquel ils ont été assujettis sur le fondement de l'article 244 bis A à raison de la plus-value immobilière qu'ils ont réalisée en 2009 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A...et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 17 janvier 2014 est annulé.
Article 2 : M. et Mme A...sont déchargés de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu mise à leur charge au titre de l'année 2009 pour un montant de 76 055 euros.
Article 3 : L'Etat versera à M.et Mme A...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L.76181 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M.et Mme A...et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2016, où siégeaient :
- M. Cherrier, président,
- Mme Chevalier-Aubert, président assesseur,
- Mme Boyer, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 octobre 2016.
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N° 14MA02153