Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B...a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 1er août 2013 par laquelle l'inspecteur du travail de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) Languedoc-Roussillon a autorisé son licenciement pour motif économique.
Par un jugement n° 1302453 du 26 février 2015, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 30 mars 2015, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 26 février 2015 ;
2°) d'annuler la décision du 1er août 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'annulation de la décision homologuant le plan de sauvegarde pour l'emploi implique l'illégalité de l'autorisation de licenciement ;
- la procédure de consultation préalable à l'autorisation de licenciement était irrégulière ;
- le motif économique du licenciement n'a pas été analysé à la lumière des irrégularités de gestion et des conditions dans lesquelles les difficultés de la société Call expert ont été provoquées ;
- il incombait à l'autorité administrative de vérifier la réalité des suppressions des postes de travail et le caractère éventuellement discriminatoire de la mesure envisagée, ce dont elle s'est abstenue ;
- l'administration n'a pas sérieusement contrôlé les efforts de reclassement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2015, Me D..., agissant en qualité de mandataire judiciaire de la SAS Call Expert Languedoc-Roussillon conclut, à titre principal, à ce que la Cour sursoie à statuer dans l'attente des décisions du Conseil d'Etat saisi de pourvois dirigés contre les arrêts 14MA00471 et 14MA00387, à titre subsidiaire au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du Conseil d'Etat aura une incidence directe sur l'instance en cours ;
- le moyen tiré de l'absence de motif économique est irrecevable ;
- les autres moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, première conseillère,
- les conclusions de M. Frédéric Salvage, rapporteur public.
1. Considérant que, par un jugement du 5 juillet 2013, le tribunal de commerce de Nîmes a prononcé la liquidation judiciaire sans poursuite d'activité de la SAS Call Expert Languedoc-Roussillon, filiale à 100 % de la SAS Call Expert, et a désigné Me D... en qualité de mandataire liquidateur ; que, le 19 juillet 2013, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Languedoc-Roussillon a homologué le document élaboré par Me D... en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail en vue du licenciement collectif pour motif économique des salariés de l'entreprise ; que, le 1er août 2013, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement pour motif économique de Mme B..., membre du comité d'entreprise et déléguée syndicale ; que, par deux arrêts du 15 avril 2014, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé la décision d'homologation du 19 juillet 2013, les pourvois dirigés contre ces arrêts ayant été eux-mêmes rejetés le 7 décembre 2015 ; que, par un jugement du 26 février 2015, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de l'autorisation de licenciement du 1er août 2013 ; que Mme B... fait appel de ce jugement ;
2. Considérant que, le Conseil d'Etat s'étant prononcé le 7 décembre 2015 sur les pourvois introduits contre les arrêts par lesquels la Cour a annulé la décision du 19 juillet 2013, la demande de Me D... tendant à ce que la Cour sursoie à statuer dans l'attente de la décision du juge de cassation a, en toute hypothèse, perdu son objet ;
3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. (...) " ; que les articles L. 1233-24-1 et L. 1233-24-4 du même code prévoient que le contenu de ce plan de sauvegarde de l'emploi peut être déterminé par un accord collectif d'entreprise et qu'à défaut d'accord, il est fixé par un document élaboré unilatéralement par l'employeur ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1233-28 du code du travail que l'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours doit réunir et consulter, selon le cas, le comité d'entreprise ou les délégués du personnel ; qu'à ce titre, le I de l'article L. 1233-30 du même code dispose, s'agissant des entreprises ou établissements qui emploient habituellement au moins cinquante salariés, que : " (...) l'employeur réunit et consulte le comité d'entreprise sur : / 1° L'opération projetée et ses modalités d'application, conformément à l'article L. 2323-15 ; / 2° Le projet de licenciement collectif : (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision litigieuse : " En l'absence d'accord collectif (...) l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié (...) la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise (...) et le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : / 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe ; / 2° Les mesures d'accompagnement prévues au regard de l'importance du projet de licenciement ; / 3° Les efforts de formation et d'adaptation tels que mentionnés aux articles L. 1233-4 et L. 6321-1 " ; qu'enfin, aux termes des dispositions de l'article L. 1233-58 du code : " I.-En cas (...) de liquidation judiciaire, (...) le liquidateur (...) qui envisage des licenciements économiques, met en oeuvre un plan de licenciement dans les conditions prévues aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-4. / (...) le liquidateur(...) réunit et consulte le comité d'entreprise (...) dans les conditions prévues à l'article L. 2323-15 ainsi qu'aux articles : / (...) 3° L. 1233-30, I à l'exception du dernier alinéa, et deux derniers alinéas du II, pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés ; (...) 6° L. 1233-57-5 et L. 1233-57-6, pour un licenciement d'au moins dix salariés dans une entreprise d'au moins cinquante salariés. " ;
4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes des dispositions de l'article L. 2411-1 du code du travail : " Bénéficie de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre, y compris lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié investi de l'un des mandats suivants : 1° Délégué syndical ; (...) 3° Membre élu du comité d'entreprise (...) " ; qu'en vertu des dispositions des articles L. 2411-3 et L. 2411-8 du code du travail, tant le licenciement d'un délégué syndical que celui d'un membre élu du comité d'entreprise ne peuvent intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ; que, selon les dispositions de l'article L. 2421-3 du même code : " Le licenciement envisagé par l'employeur (...) d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire (...) est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article R. 2421-9 du même code : " (...) Lorsque le salarié est inclus dans un licenciement collectif pour motif économique de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, la délibération du comité d'entreprise ne peut avoir lieu (...) avant la réunion du comité prévue à l'article L. 1233-58. " ;
5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que lorsque le liquidateur d'une entreprise placée en liquidation judiciaire envisage le licenciement collectif pour motif économique de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, il doit à la fois faire approuver par le DIRECCTE le plan de sauvegarde de l'emploi qu'il a élaboré unilatéralement ou négocié avec les organisations syndicales représentatives et obtenir de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier les salariés protégés dont l'emploi est supprimé ; que, dans l'hypothèse d'un document élaboré unilatéralement par l'employeur, il appartient au DIRRECTE de vérifier, notamment, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise tant sur l'opération projetée et ses modalités d'application que sur le projet de licenciement collectif ; qu'il appartient à l'inspecteur du travail, pour sa part, de contrôler, notamment, le respect de la procédure spéciale de consultation du comité d'entreprise sur le licenciement du salarié protégé dont le licenciement pour motif économique est envisagé, lorsque la protection dont il bénéficie la requiert, cette dernière procédure n'intervenant qu'une fois les procédures générales menées à leur terme ; que l'avis que le comité d'entreprise donne sur le projet de licenciement d'un salarié protégé inclus dans un tel projet de licenciement collectif ne peut être régulièrement émis lorsque la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise sur le licenciement collectif suivie préalablement n'a pas été régulière ; qu'enfin la régularité de la procédure de consultation prévue par les dispositions de l'article L. 1233-58 du code du travail implique que le comité d'entreprise a disposé des informations lui permettant de se prononcer en toute connaissance de cause et a été mis à même d'émettre régulièrement un avis sur le respect, par le plan de sauvegarde de l'emploi et le projet de licenciement collectif, des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code, en fonction des critères rappelés à l'article L. 1233-57-3 de ce code ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-57-6 du code du travail : " L'administration peut, à tout moment en cours de procédure, faire toute observation ou proposition à l'employeur concernant le déroulement de la procédure ou les mesures sociales prévues à l'article L. 1233-32. Elle envoie simultanément copie de ses observations au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel et, lorsque la négociation de l'accord visé à l'article L. 1233-24-1 est engagée, aux organisations syndicales représentatives dans l'entreprise. / L'employeur répond à ces observations et adresse copie de sa réponse aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales " ; que, lorsque ces observations concernent la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel, les suites qui leur sont données par l'employeur comme le respect par celui-ci de l'obligation d'adresser copie de sa réponse aux représentants du personnel et, le cas échéant, aux organisations syndicales, doivent être pris en compte par l'administration dans l'appréciation globale de la régularité de cette procédure d'information et de consultation ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que plusieurs documents, pourtant transmis par Me D... à l'autorité administrative en réponse à des observations formulées sur le fondement des dispositions de l'article L. 1233-57-6 du code du travail, notamment une note d'information datée du 11 juillet 2013 relative à la situation économique et financière du groupe Call Expert, n'ont pas été adressés au comité d'entreprise ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, si cette méconnaissance par l'employeur de ses obligations n'est pas de nature à entraîner nécessairement l'irrégularité de la procédure d'information et de consultation, elle peut être prise en compte dans l'appréciation globale de la régularité de cette procédure ; qu'il ressort également des pièces du dossier que, bien que les principaux éléments des documents mentionnés ci-dessus aient été lus lors de la réunion du comité d'entreprise du 16 juillet 2013, le comité d'entreprise n'a pas disposé, en temps utile, des éléments d'information disponibles qui lui étaient nécessaires pour apprécier la situation économique et financière du groupe auquel appartenait la société Call Expert Languedoc-Roussillon et qu'il n'a, dans ces conditions, pas été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause sur le respect, par les mesures de reclassement du plan de sauvegarde de l'emploi, des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du code du travail au regard des moyens du groupe et sur le bien-fondé des raisons économiques et financières du projet de licenciement ; que le comité d'entreprise n'ayant, ainsi, pas été mis à même d'émettre régulièrement l'avis sur le projet de licenciement collectif prévu par les dispositions de l'article L. 1233-58 du code du travail, l'avis prévu par les dispositions de l'article L. 2421-3 du même code donné par le comité d'entreprise sur le projet de licenciement de Mme B..., salariée protégée incluse dans ce projet, ne pouvait être régulièrement émis ; que cette circonstance faisait obstacle à ce que l'inspecteur du travail puisse légalement autoriser le licenciement demandé ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er août 2013 autorisant son licenciement ;
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme B... qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à Me D... la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à Mme B... au titre de ces mêmes dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 26 février 2015 et la décision de l'inspecteur du travail de la DIRECCTE Languedoc-Roussillon du 1er août 2013 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de Me D... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...B..., au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à Me C...D....
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2016, où siégeaient :
- M. Lascar, président de chambre,
- M. Guidal, président assesseur,
- Mme F..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 6 octobre 2016.
N° 15MA01326 2
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