Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis à la suite d'une exposition aux poussières d'amiante, de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts échus à compter de la première demande d'indemnisation et de condamner également l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance n° 1303261 du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er septembre 2015 et le 10 février 2016, M.A..., représenté par MeD..., demande à la Cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du tribunal administratif de Toulon du 10 juillet 2015 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral subi et des troubles dans les conditions d'existence ;
3°) de majorer le montant de l'indemnisation des préjudices, des intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande d'indemnisation avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette formalité.
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- l'ordonnance est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la carence fautive de l'Etat employeur est établie ;
- il a subi un préjudice d'anxiété et des troubles dans les conditions d'existence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2016, l'Etat conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens du requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;
- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;
- le décret n° 96-97 du 7 février 1996 ;
- l'arrêté du 28 février 1995, pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'Etat, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renouf,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., substituant MeD..., représentant M. A....
1. Considérant que M.A..., ouvrier d'Etat au sein de la direction des constructions navales de Toulon du 14 septembre 1979 au 28 février 1981 puis du 3 mars 1982 au 31 décembre 2011, a été employé en qualité de mécanicien de maintenance ; que, par un courrier du 19 avril 2013, il a sollicité auprès du ministre de la défense la réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence du fait de la carence fautive de l'Etat dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante ; qu'à la suite du silence gardé par l'administration sur sa demande, M. A...a introduit devant le tribunal administratif de Toulon un recours tendant à l'indemnisation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ; que M. A...interjette appel de l'ordonnance du 10 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Considérant que, pour rejeter l'ensemble des conclusions indemnitaires de M. A..., le tribunal administratif de Toulon, après avoir rappelé que la carence de l'Etat qui n'a pas pris de mesures de protection particulière de ses agents contre les poussières d'amiante était susceptible d'engager sa responsabilité, a considéré que l'intéressé qui n'avait développé aucune pathologie imputable aux poussières d'amiante, ne précisait pas la durée de ses services au sein de la DCN et n'apportait ainsi aucun élément susceptible de justifier de la réalité de son exposition ;
3. Considérant, d'une part, que le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante comporte des dispositions interdisant l'exposition des travailleurs à l'amiante au-delà d'un certain seuil et impose aux employeurs de contrôler la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail, de nature à réduire le risque de maladie dans les établissements concernés ; que M. A...n'établit pas, ainsi qu'il lui appartient de le faire, que les préjudices dont il demande réparation trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'Etat dans l'édiction de mesures législatives ou réglementaires destinées à imposer aux employeurs des mesures de prévention ;
4. Considérant, en revanche, que la carence de l'Etat, employeur de personnels exposés aux poussières d'amiante, dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité propres à les soustraire à ce risque d'exposition, est de nature à engager sa responsabilité ; que cette carence a exposé ces personnels à un risque sanitaire grave dès lors qu'il ressort de l'ensemble des données scientifiques accessibles ou produites au dossier que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales ; que le double dispositif de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité et de la surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax tous les deux ans prévu à l'annexe II de l'arrêté du 28 février 1995 a été mis en place après que le législateur a reconnu le lien établi de façon statistiquement significative entre une exposition aux poussières d'amiante et la baisse d'espérance de vie ; que pour tenter de démontrer, en l'espèce, l'absence de carence de l'Etat dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante, le ministre se fonde sur une note-circulaire adressée à la DCN de Brest du 18 octobre 1976 définissant les mesures de protection individuelle et collective,
sur une note du 14 août 1979 faisant le point sur l'utilisation de l'amiante dans l'ensemble des DCN ainsi que sur une note du 8 avril 1980 relative à l'abandon des produits à base d'amiante ; que, toutefois, ces pièces qui ne sont pas propres aux établissements dans lesquels a travaillé M.A..., ne suffisent pas à établir que l'Etat a mis en oeuvre, au sein de la DCN de Toulon, les mesures de protection imposées par le décret du 17 août 1977 ni celles renforcées du décret du 7 février 1996 ; que si le ministre se prévaut également de l'attestation d'exposition à l'amiante produite par le requérant mentionnant la mise à disposition de protection individuelle pour des travaux bien définis et l'isolation des opérations susceptibles d'entraîner des poussières d'amiante, il n'apporte aucun élément prouvant que M. A...a pu bénéficier de tels dispositifs et, à supposer qu'il en ait bénéficié, que ces mesures respectaient les obligations fixées par décret en terme d'utilisation, d'entretien et de contrôle ; qu'il en résulte que la responsabilité de l'Etat en sa qualité d'employeur est engagée envers M.A... ;
5. Considérant, d'autre part, que la décision d'ouverture du droit du travailleur au bénéfice de ce double dispositif de l'allocation et de la surveillance post-professionnelle vaut reconnaissance pour l'intéressé de l'existence d'un lien établi de façon statistiquement significative entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que cette circonstance suffit ainsi, par elle-même, à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade et par là-même d'une espérance de vie diminuée, et à être ainsi la source d'un préjudice indemnisable en tant que tel au titre du préjudice moral, en relation directe avec la carence fautive de l'Etat ; qu'en outre, pour évaluer le montant accordé en réparation de ce poste de préjudice, il appartient au juge de tenir compte, dans chaque espèce, de l'ampleur de l'exposition personnelle du travailleur aux poussières d'amiante ; que doivent ainsi notamment être prises en considération, tant les conditions d'exposition, lesquelles dépendent largement de la nature des fonctions de l'intéressé et des circonstances particulières de leur exercice, que la durée de cette exposition ;
Sur les préjudices :
6. Considérant que M. A...estimant que son espérance de vie a été diminuée notablement du fait de l'absorption par ses poumons de poussières d'amiante pendant ses années d'activité professionnelle, soutient vivre depuis dans un état d'anxiété justifiant une réparation à ce titre fondée sur la carence fautive de son employeur ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, d'une part, M. A... a travaillé
dans des ateliers relevant de la DCN l'exposant aux poussières d'amiante pendant plus de trente-et-un ans ; que, d'autre part, en qualité de mécanicien de maintenance, M. A...a été chargé du démontage, de la réparation et de la remise en état de matériel d'armement à bord des navires amiantés ; qu'en outre, son frère qui a également travaillé au sein de la DCN en qualité d'ouvrier d'Etat a développé des plaques pleurales en lien avec une exposition à l'amiante ; qu'au regard de ces conditions d'exposition à l'amiante, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de l'intéressé qui vit dans la crainte de développer subitement une pathologie grave, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 12 000 euros, tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
8. Considérant que M. A...verse au dossier la fiche de suivi des services de médecine du travail faisant état de dix-sept radiographies pulmonaires réalisées entre 1977 et 2008,
sept explorations fonctionnelles respiratoires entre 1999 et 2010 ainsi que d'un scanner thoracique passé en 2011, révélant ainsi un suivi médical contraignant effectué pendant plus de trente ans ; qu'il produit également une attestation de son frère relatant le stress permanent dans lequel il vit et qui a entraîné chez lui une prise de poids anormale ; que l'ensemble de ces éléments est de nature à établir la réalité de troubles dans ses conditions d'existence dont, par une juste appréciation, le montant de la réparation sera fixé à la somme de 2 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête ;
Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A...et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du tribunal administratif de Toulon du 10 juillet 2015 est annulée.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A...la somme de 14 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2016, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président-assesseur,
- Mme Baux, premier conseiller.
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N° 15MA03706 6