Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C...a demandé à titre principal au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 7 octobre 2013 rejetant sa demande d'introduction de famille au bénéfice de son épouse et de son fils.
Par un jugement n° 1307821 du 24 mars 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 14 août 2015, M. C..., représenté par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 mars 2015 ;
2°) d'annuler la décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 7 octobre 2013 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône d'autoriser le regroupement familial en faveur de son épouse et de son fils ;
4°) de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au profit de son conseil, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ne pouvaient substituer d'office le motif tiré de l'insuffisance de ses ressources du fait de sa qualité de retraité par le motif tiré de ce qu'il perçoit l'allocation adulte handicapé sans commettre une erreur de droit ;
- le préfet des Bouches-du-Rhône a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation ;
- les ressources tirées de l'allocation adulte handicapé doivent être prises en compte pour l'appréciation de son droit à bénéficier du regroupement familial ;
- le tribunal et le préfet auraient dû tenir compte de l'ensemble de sa situation et non pas uniquement de ses ressources ;
- il remplit l'ensemble des conditions lui permettant de bénéficier du regroupement familial ;
- la décision du préfet porte atteinte à son droit au respect de sa vie familiale.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 juin 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Héry,
- et les conclusions de M. Thiele, rapporteur public,
1. Considérant que M. C..., ressortissant tunisien vivant en France sous couvert d'une carte de résident valable jusqu'au 17 janvier 2019, a présenté le 14 janvier 2013 une demande d'introduction de famille au bénéfice de son épouse et de son fils ; que sa demande a été rejetée par décision du 7 octobre 2013 du préfet des Bouches-du-Rhône au motif qu'il ne justifiait pas de ressources suffisantes ; que M. C... relève appel du jugement du 24 mars 2015 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à titre principal à l'annulation de cette décision ;
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ; qu'aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et des libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants tunisiens en application des stipulations des articles 5 et 11 de l'accord franco-tunisien susvisé : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineur de dix-huit ans. " ; que l'article L. 411-5 de ce code dispose : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants:/ 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur (...) Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne qui demande le regroupement familial est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code (...) " ; que l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale dispose : " L'allocation aux adultes handicapés est également versée à toute personne qui remplit l'ensemble des conditions suivantes:/ 1° Son incapacité permanente, sans atteindre le pourcentage fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 821-1, est supérieure ou égale à un pourcentage fixé par décret (...) " ;
4. Considérant que le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté la demande de regroupement familial de M. C... au motif de l'insuffisance de sa pension de retraite, d'un montant de 761 euros ; que ce motif est entaché d'une erreur de fait, M. C... ne percevant pas une pension de retraite mais une allocation adulte handicapé versée sur le fondement de l'article L. 821-2 du code de la sécurité sociale ; que le préfet ne peut opposer à un adulte handicapé l'insuffisance de ses ressources dans son appréciation du droit de ce dernier à une vie privée et familiale normale, sans introduire une discrimination à raison de son handicap prohibée par les stipulations combinées des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, l'erreur de fait ainsi commise par le préfet sur la nature des ressources perçues par M. C...a été de nature à influencer le sens de la décision ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner l'ensemble des moyens, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant que l'exécution de la présente décision implique nécessairement que le préfet des Bouches-du-Rhône procède à un nouvel examen de la demande de M. C..., dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant que M. C..., qui bénéficie de l'aide juridictionnelle totale accordée par décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Marseille du 16 juin 2015, a formé des conclusions tendant à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat, au profit de son conseil ; qu'il doit ainsi être regardé comme ayant entendu demander l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique permettant au juge de condamner la partie perdante à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide, le versement de cette somme valant renonciation de l'avocat à percevoir la part contributive de l'Etat ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire partiellement droit à ses conclusions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Me B...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, cette somme valant renonciation de Me B...à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1307821 du 24 mars 2015 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : La décision du 7 octobre 2013 du préfet des Bouches-du-Rhône est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder à un nouvel examen de la demande de M. C... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 200 (mille deux cents) euros à Me B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2016, où siégeaient :
- M. Moussaron, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme Héry, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 4 avril 2016.
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N° 15MA03472