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21/12/2015 | FRANCE | N°13MA04978

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 21 décembre 2015, 13MA04978


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I...A...et Mme B...D...ont demandé au tribunal administratif de Nice la condamnation, à titre principal, de la société anonyme Ruas, à titre subsidiaire du syndicat intercommunal à vocation multiple pour l'aménagement et l'équipement des cantons de Levens, Contes, l'Escarène et Nice (SILCEN) à leur verser la somme totale de 141 285,26 euros assortie des intérêts capitalisés en réparation du préjudice qu'ils ont subi résultant des dommages qui ont affecté leur propriété située à Contes le

7 février 2009 à la suite d'un éboulement de terrain.

Par un jugement n° 110273...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I...A...et Mme B...D...ont demandé au tribunal administratif de Nice la condamnation, à titre principal, de la société anonyme Ruas, à titre subsidiaire du syndicat intercommunal à vocation multiple pour l'aménagement et l'équipement des cantons de Levens, Contes, l'Escarène et Nice (SILCEN) à leur verser la somme totale de 141 285,26 euros assortie des intérêts capitalisés en réparation du préjudice qu'ils ont subi résultant des dommages qui ont affecté leur propriété située à Contes le 7 février 2009 à la suite d'un éboulement de terrain.

Par un jugement n° 1102730 du 22 octobre 2013, le tribunal administratif de Nice a mis hors de cause le SILCEN, a condamné la société Michel Ruas, en sa qualité de fermier du réseau de distribution d'eau potable, à leur verser la somme de 51 285,26 euros portant intérêts, sous déduction de la provision de 40 000 euros déjà versée en exécution de l'ordonnance du 14 mars 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Nice, a rejeté l'appel en garantie formé par la société Michel Ruas à l'encontre du SILCEN, a mis les frais d'expertise à la charge de la société Michel Ruas et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure contentieuse devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 23 décembre 2013 et par des mémoires complémentaires enregistrés les 11 décembre 2014 et 15 juillet 2015, M. A...et MmeD..., représentés par la SCP d'avocats Courtignon-Bezzina-Le Goff, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1102730 du 22 octobre 2013 du tribunal administratif de Nice en tant qu'il a, par son article 2, limité à la somme de 51 285,26 euros sous déduction de la provision de 40 000 euros déjà versée, assortie des intérêts capitalisés, la condamnation de la société Michel Ruas, au titre de l'indemnisation de leurs préjudices ;

2°) à titre principal, de condamner la société Ruas Michel à leur verser la somme totale de 191 285,26 euros assortie des intérêts capitalisés, à titre subsidiaire, condamner le syndicat intercommunal des cantons de Levens, Contes, l'Escarène et Nice (SILCEN) à leur verser la même somme assortie des intérêts capitalisés ;

3°) en tout état de cause, de condamner solidairement la société Ruas Michel et le SILCEN à leur verser la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner solidairement la société Ruas Michel et le SILCEN à leur rembourser les honoraires de l'expert J...d'un montant de 3 061,43 euros.

M. A...et Mme D...soutiennent que :

- ils sont propriétaires d'une maison sise 4000 chemin de Las Ayas à Contes ;

- la propriété est traversée par une canalisation de distribution d'eau potable appartenant au SILCEN exploitée par contrat d'affermage par la société Ruas Michel ;

- dans la nuit du 6 au 7 février 2009, lors de pluies très importantes, un glissement de terrain de l'ensemble du talus situé en aval de la maison a causé des dommages importants aux restanques de leur propriété ;

- saisi à leur demande, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a ordonné une expertise sur les causes du sinistre et l'expert, M.J..., a rendu son rapport le 1er octobre 2012 ;

- par ordonnance n° 1204045 du 14 mars 2013, confirmée par arrêt n° 13MA01324 du 19 septembre 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a condamné la société Michel Ruas à leur verser une somme de 40 000 euros à titre de provision ;

- cette provision ne leur a pas été versée ;

- le jugement attaqué est irrégulier pour être entaché d'un défaut de motivation du rejet de leur demande de réparation de la perte de la valeur vénale de la propriété et de l'indemnisation de leur préjudice moral à 5 000 euros ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il existait un lien de causalité entre les désordres occasionnés sur leur propriété et les fuites de la canalisation du SILCEN exploitée par son fermier la société Ruas Michel et que la responsabilité du fermier était engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute à l'égard des tiers pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public ;

- en revanche, c'est à tort qu'ils ont rejeté certains chefs de préjudice ;

- le jugement devra être confirmé en ce qui concerne d'une part, l'indemnisation des dommages causés à l'immeuble, soit la somme de 1 196 euros pour les travaux provisoires de terrassement et celle de 39 689,26 euros pour les travaux de construction d'un ouvrage de soutènement, d'autre part, celle de 5 400 euros pour leur trouble de jouissance pendant trois mois ;

- en revanche, la réparation de leur préjudice moral, fixée à 5 000 euros par les premiers juges, devra être portée à 15 000 euros ;

- la perte de la valeur vénale, écartée à tort par les premiers juges, s'élève à 130 000 euros compte tenu de l'attestation de l'agent immobilier ;

- la réparation de leur préjudice total devra ainsi être portée de 51 285,26 euros à la somme de 191 285,26 euros à parfaire.

Par mémoires enregistrés les 10 mars 2014, 22 juin 2015 et 28 juillet 2015, le syndicat intercommunal des cantons de Levens, Contes, l'Escarène et Nice (SILCEN) représenté par le cabinet d'avocats Deplano-G... -Salomon, conclut à titre principal, à la confirmation du jugement en tant qu'il l'a mis hors de cause et au rejet des demandes indemnitaires des requérants formées à son encontre, à titre subsidiaire, de rejeter la demande de réparation des requérants au titre de leur préjudice moral, de leur préjudice de jouissance, de la perte de la valeur vénale et des frais de construction d'un ouvrage de soutènement et en tout état de cause à la condamnation des requérants à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le SILCEN fait valoir que :

- l'appel incident de la société Ruas, enregistré le 6 juin 2014 au greffe de la Cour et qui présente un litige distinct de l'appel principal et qui n'attaque pas l'appelant principal, est tardif, dès lors que le jugement attaqué a été notifié à la société Ruas le 23 octobre 2013 ;

- à titre principal, c'est à bon droit que les premiers juges l'ont mis hors de cause, dès lors que le SILCEN a conclu le 17 octobre 2000 avec la société Ruas Michel une convention d'affermage du service public d'alimentation d'eau potable ;

- à titre subsidiaire, si la Cour estimait par extraordinaire que sa responsabilité était engagée, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les désordres avaient pour origine une négligence du fermier quant à la réparation de fuites d'eau et au curage régulier de la canalisation litigieuse ;

- l'expert n'affirme pas que le glissement de terrain provient d'un défaut d'entretien de cette canalisation ;

- les requérants n'ont pas pris toutes les précautions utiles au regard des caractéristiques intrinsèques des terrains ;

- l'expert judiciaire relève l'importance des précipitations à cet endroit dans le mois précédant le sinistre ;

- le déboîtement de la canalisation est la conséquence et non la cause du sinistre ;

- à titre infiniment subsidiaire, sur les préjudices, c'est à tort que les premiers juges ont alloué la somme de 39 689,26 euros au titre des travaux de construction d'un ouvrage de soutènement ;

- la somme de 5 400 euros allouée par les premiers juges au titre du préjudice de jouissance subi par les requérants est excessive ;

- le préjudice moral invoqué ne peut donner lieu à indemnisation ;

- le lien de causalité entre la perte de la valeur vénale alléguée et le sinistre n'est pas établi ;

- les requérants avaient connaissance de la situation du terrain en zone à risque d'effondrement avant l'achat de leur propriété ;

- il s'en remet à justice pour l'indemnisation des travaux de première urgence exécutés à hauteur de 1 196 euros ;

- les premiers juges n'ont pas alloué au SILCEN de frais irrépétibles et la Cour devra lui en allouer.

Par mémoires enregistrés les 6 juin 2014 et 15 juillet 2015, la société anonyme Entreprise Ruas Michel, représentée par la SCP d'avocats de Angelis-Semidei-Vuillquez-Habart Melki- Bardon-De Angelis, conclut à titre principal, au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement qui a retenu son entière responsabilité, à titre subsidiaire, à ce que sa part de responsabilité soit limitée à 50 %, à titre infiniment subsidiaire, à limiter en conséquence l'indemnisation des requérants à la somme de 19 844,63 euros pour les travaux de reprise et à celle de 5 000 euros pour leur préjudice de jouissance et en tout état de cause, à la condamnation des requérants à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société fait valoir que :

- son appel incident, qui n'est pas distinct du litige principal des épouxF..., est recevable sans condition de délai ;

- elle a versé à l'avocat des requérants à l'ordre de la CARSAM un chèque de 57 326,62 euros en exécution de l'ordonnance du juge des référés en l'absence de constitution de garantie par les requérants ;

- à titre principal, c'est à tort que les premiers juges, en se fondant sur le rapport erroné de l'expert, ont estimé que sa pleine responsabilité était engagée ;

- la chronologie des faits montre que ce n'est pas l'existence d'une fuite dans une canalisation qui est à l'origine du sinistre ;

- un contrôle fréquent des canalisations était effectué et les réparations rapidement effectuées ;

- le déboîtement de la canalisation a été signalé en mars 2009 alors que le glissement de terrain litigieux est survenu le 7 février 2009 ;

- l'étude EPUR dans son rapport du 27 février 2006 n'a mentionné aucune fuite ;

- d'autres recherches de fuite n'ont révélé aucune défaut sur canalisation le 14 mars 2007 ;

- une fuite sans rapport avec le sinistre a été réparée en février 2008 ;

- une campagne de recherche systématique de fuite réalisée par ses soins le 18 février 2008 s'est révélée négative ;

- une fuite signalée par le voisin des requérants le 22 février 2008 a, sans rapport avec le sinistre, été réparée le 25 février 2008 ;

- si un déboîtement de la canalisation a été signalé le 20 mars 2009, ce déboîtement est consécutif à un glissement de terrain et non l'inverse ;

- la fuite constatée le 30 mars 2009 a été réparée par ses soins ;

- c'est dès lors à tort que l'expert affirme que des fuites ont existé entre février 2008 et mars 2009 ;

- le spécialiste mandaté par les requérants le 14 février 2009, M.C..., ne constate aucune fuite sur canalisation juste après le sinistre ;

- lors de son inspection, l'expert lui-même n'a constaté l'existence d'aucune fuite ;

- c'est aussi à tort que les premiers juges ont écarté les autres causes du sinistre de nature à l'exonérer de sa responsabilité ;

- le mouvement de terrain litigieux s'est produit consécutivement à la survenance d'une pluviométrie exceptionnelle reconnue par l'expert ;

- la saturation des terres en eau n'est pas due à la fuite de la canalisation litigieuse ;

- M.C..., hydrogéologue incontesté et indépendant, dans son rapport du 14 février 2009, qui est intervenu trois fois sur la propriété des requérants, n'avait constaté aucune présence d'eau potable ;

- lors de sa première intervention, en juillet 2007, préalable au sinistre, ce spécialiste a donné son opinion sur les travaux relatifs notamment à l'assainissement non collectif que devaient accomplir les requérants pour éviter tout risque de sinistre et pour être en conformité avec le règlement du PPR qui n'ont pas été effectués par les requérants ;

- il mettait en avant des résurgences d'eaux usées importantes qui s'expliquent par une gestion non conforme depuis la construction de leur maison il y a 18 ans ;

- l'expert judiciaire n'a pas répondu pendant l'expertise à toutes ces remarques et a estimé à tort qu'il n'avait pas à se prononcer sur la conformité des travaux réalisés par les requérants par rapport aux préconisations de M. C...;

- il s'est fondé à tort sur les analyses réalisées unilatéralement par le laboratoire de l'environnement NCA quant à l'origine de l'eau et ses caractéristiques ;

- seule la pluviométrie combinée au caractère argileux du sol et à sa relative perméabilité explique le glissement de terrain ;

- la Cour devra ainsi mettre la société Ruas Michel hors de cause ;

- à titre subsidiaire, si la Cour estimait que sa responsabilité est engagée, sa responsabilité devra être partagée ;

- l'expert a estimé que le sinistre est imputable à 60 % au défaut d'entretien d'un réseau enterré vétuste et à 40 % à la pluviométrie exceptionnelle qui a déclenché le glissement de terrain ;

- l'absence de réalisation de travaux par les requérants a été écartée à tort par l'expert et les premiers juges ;

- sa part de responsabilité ne saurait excéder 50 % ;

- à titre infiniment subsidiaire, sur le quantum, les travaux provisoires de soutènement estimés suffisants pour assurer la stabilité de la propriété de reprise de la maison et des abords ont été évalués par l'homme de l'art à la somme de 39 689,26 euros, qu'il conviendra de réduire ;

- le préjudice de jouissance invoqué et retenu par l'expert n'est pas établi dès lors que les requérants ont été hébergés pendant 3 mois gracieusement par la mère de M. D...et ne saurait excéder la somme de 5 400 euros allouée par les premiers juges ;

- le préjudice moral invoqué n'aurait pas dû donner lieu à indemnisation par les premiers juges et la réparation demandée à ce titre du fait de la présence de l'ouvrage public, préexistante à l'achat, est en tout état de cause mal dirigée dès lors que c'est le SILCEN qui est propriétaire de la canalisation ;

- l'expert écarte la perte de valeur vénale alléguée comme sans lien avec le sinistre ;

- la Cour rejettera le point de départ des intérêts et de leur capitalisation, dès lors que c'est le propriétaire des canalisations, le SILCEN, qui est responsable de l'état de vétusté de ces canalisations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2015 :

- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public ;

- et les observations de Me E...pour Mme D...et M.A..., de Me H...pour la SA Entreprise Ruas Michel et de Me G...pour le SILCEN.

Deux notes en délibéré ont été produites les 7 et 10 décembre 2015 pour M. A...et Mme D...par la SCP d'avocats Courtignon-Bezzina-Le Goff.

1. Considérant que Mme D...et M. A...sont propriétaires d'un terrain sur lequel est édifiée une villa au 4000 chemin de Las Ayas à Contes ; que leur propriété est traversée par une canalisation de distribution d'eau potable appartenant au syndicat intercommunal à vocation multiple pour l'équipement et l'aménagement du territoire des cantons de Levens, Contes, l'Escarène et Nice (SILCEN) exploitée par contrat d'affermage du 17 octobre 2000 par la société Ruas Michel ; que les restanques de cette propriété ont été détruites, le 7 février 2009, par un éboulement de terrain ; qu'estimant que les dommages subis résultaient d'un défaut d'entretien du réseau public d'eau potable, Mme D...et M.A..., en leur qualité de tiers par rapport au réseau public d'eau potable, ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice d'ordonner une expertise aux fins de rechercher notamment les causes du mouvement de terrain ; que l'expert, désigné par ordonnance du 16 septembre 2009, a rendu son rapport le 1er octobre 2012 ; que Mme D...et M. A...ont alors demandé au juge des référés la condamnation solidaire du SILCEN et de la SA Ruas Michel à leur verser une provision de 46 285,26 euros ; que, par ordonnance n° 1204045 du 14 mars 2013, le juge des référés a mis hors de cause le SILCEN, a estimé que la créance des requérants n'était pas sérieusement contestable et a condamné la SA Michel Ruas à verser à Mme D...et à M. A...la somme de 40 000 euros à titre de provision, dont le versement a été subordonné à la constitution d'une garantie ; que, par arrêt n° 13MA01324 du 19 septembre 2013, la Cour a confirmé que la créance des requérants envers la société Ruas Michel n'était pas sérieusement contestable et a alloué à Mme D...la somme de 20 000 euros à titre de provision et une autre somme de 20 000 euros à M. A...au même titre et a rejeté le surplus des conclusions incidentes de Mme D...et M. A...tendant à être relevés de la constitution d'une garantie ; que parallèlement, Mme D...et M. A...ont demandé aux juges du fond la condamnation du SILCEN et de la société Ruas Michel à leur verser la somme totale de 141 285,26 euros assortie des intérêts au taux légal et capitalisés en réparation de leur préjudice ; que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont estimé que seule la responsabilité de la société Ruas Michel devait être retenue et ont condamné la société à verser à M. A...et à Mme D...la somme de 51 285,26 euros assortie des intérêts capitalisés, sous déduction de la provision de 40 000 euros déjà versée en application de l'ordonnance susvisée du 14 mars 2013, ont mis les frais d'expertise, d'un montant de 3 061,43 euros à la charge de la société Ruas Michel, ont rejeté le surplus de la demande et ont rejeté l'appel en garantie formé par la société Ruas Michel à l'encontre du SILCEN ; que Mme D... et M. A...demandent en appel à la Cour à titre principal, de condamner la société Ruas Michel à leur verser la somme totale de 191 285,26 euros assortie des intérêts capitalisés, à titre subsidiaire, condamner le SILCEN à leur verser la même somme assortie des intérêts capitalisés ; que la société Ruas Michel conclut à titre principal, au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement qui a retenu son entière responsabilité, à titre subsidiaire, à ce que sa part de responsabilité soit limitée à 50 %, à titre infiniment subsidiaire, à limiter en conséquence l'indemnisation des requérants ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que les premiers juges ont écarté l'indemnisation de la perte de la valeur vénale des requérants au motif que les fuites de la canalisation d'eau, cause déterminante du litige, avaient été réparées, que les travaux de soutènement allaient permettre d'assurer le drainage de leur terrain et qu'en outre, les requérants avaient construit en 2005 leur villa dans une zone à risque en raison des mouvements de terrain ; qu'ils ont ainsi suffisamment motivé le rejet de ce poste de préjudice ; qu'ils ont pu, sans entacher leur jugement d'une insuffisance de motivation, décider que le préjudice moral des requérants devait être réparé par la somme de 5 000 euros ; qu'ainsi, Mme D...et M. A...ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier pour ce motif ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne les causes du sinistre :

3. Considérant que le terrain des requérants est aménagé en restanques et que l'effondrement survenu le 7 février 2009 d'une masse de 4 000 m3 à 6 000 m3 sur ces terrasses ont entrainé leur destruction ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du 1er octobre 2012 de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Nice, dont rien ne permet de dire qu'il manquerait d'impartialité, que des fuites d'eau provenant de la canalisation traversant le terrain des requérants existaient antérieurement au sinistre, sans qu'il ait été possible à l'homme de l'art de déterminer la localisation exacte de ces fuites d'eau, leur importance et leurs causes exactes à savoir un déboitement de canalisations ou leur rupture due à leur vétusté ; que la société Ruas Michel affirme, en produisant ses fiches d'intervention sur le réseau public d'eau potable dans le secteur entre février 2008 et mars 2009, que toutes ces fuites d'eau détectées avant le sinistre, les 25 février 2008 en contrebas de la propriété des requérants et les 22 et 30 mars 2009 et qui seraient "sans rapport" avec ce dernier, ont fait chacune l'objet d'une réparation par ses soins diligents et que le déboîtement de la canalisation signalé le 20 mars 2009, postérieurement au sinistre, serait consécutif à un glissement de terrain et non à l'origine du sinistre ; qu'elle fait aussi valoir qu'une campagne de recherche systématique de fuite réalisée par ses soins le 18 février 2008, soit un an avant le sinistre, s'est révélée négative ; que l'expert poursuit en indiquant que le mouvement des terres constaté à l'origine du sinistre est imputable à trois causes simultanées, à savoir un facteur géologique, la nature argileuse du terrain, un facteur météorologique, un épisode pluvieux exceptionnel, et un facteur humain, la négligence dans l'exploitation des ouvrages par la société Ruas ; que, pour identifier la cause déterminante du sinistre, l'expert s'appuie sur notamment la circonstance que seules les terres traversées en amont par les canalisations d'eau se sont effondrées, les autres restanques de leur terrain restant visibles et que les autres propriétés voisines, qui sont toutes implantées en zone bleue du plan de prévention des risques mouvements de terrain et qui ont été soumises aux mêmes précipitations météoriques et ne supportant pas de canalisations n'ont pas été affectées par ce sinistre ; que par ailleurs, l'expert a fait procéder à une inspection pendant deux mois, du 29 juin au 29 août 2011, par la société SMC au moyen de caméra de deux tronçons de canalisation qui a mis en évidence la présence de concrétions importantes sur toute la longueur des tronçons concernés, lesquelles ont eu pour effet de diminuer le diamètre de la canalisation et de favoriser d'éventuels déboitements en cas de débit plus important pouvant augmenter la pression ; que l'expert en conclut que le sinistre trouve son origine déterminante dans l'écoulement continu d'une fuite d'eau d'une canalisation du réseau public, constatée sur le terrain avant l'épisode pluvieux qui a duré trois mois consécutifs, lequel a eu pour conséquence la saturation des terres déjà imbibées et leur glissement sur la propriété de M. A...et de MmeD... ; qu'il conclut que le sinistre du 7 février 2009 est imputable pour 60 % au défaut d'entretien d'un réseau enterré dont la vétusté avérée nécessitait une surveillance étroite et 40 % au phénomène météorologique, à savoir une pluviométrie exceptionnelle qui a constitué le facteur déclenchant du sinistre ; que la société Ruas Michel fait valoir que seules ces conditions pluviométriques exceptionnelles sont à l'origine du sinistre en se fondant sur le rapport du 14 février 2009, rapidement rendu après le sinistre, du cabinet spécialiste en géologie, géotechnique, hydrogéologie mandaté par la commune après l'accident pour appuyer sa demande de reconnaissance, décidée le 20 juillet 2009, de l'état de catastrophe naturelle pour mouvement de terrain, qui affirme que le sinistre résulterait uniquement des conditions climatiques exceptionnelles ; que l'expert, qui n'était pas tenu de prendre en compte ce rapport, a toutefois précisé que les conclusions de ce rapport privé n'étaient pas fiables, dès lors que, notamment, les investigations menées par ce cabinet pour connaître l'origine de l'éboulement de terrain n'étaient pas explicitées clairement ; que la société Ruas a pu contester pendant l'expertise, comme elle l'a fait dans un dire, les critiques de l'expert sur ce point ; que dans ces conditions, les premiers juges ont pu à bon droit estimer que les pluies qui se sont abattues pendant plusieurs mois sur le département des Alpes-Maritimes n'étaient pas la cause déterminante du sinistre et que les désordres litigieux ont pour origine la présence de fuites d'eau répétées sur le terrain des requérants et de concrétions dans les canalisations ; que, par suite, le lien de causalité entre le fonctionnement de l'ouvrage public litigieux et les dommages subis par les requérants est établi ;

En ce qui concerne la détermination de la personne responsable :

4. Considérant qu'en cas de délégation limitée à la seule exploitation de l'ouvrage, comme c'est le cas en matière d'affermage, si la responsabilité des dommages imputables à son fonctionnement relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires, celle résultant de dommages imputables à son existence, à sa nature et son dimensionnement, appartient à la personne publique délégante ; que ce n'est qu'en cas de concession d'un ouvrage public c'est-à-dire d'une délégation de sa construction et de son fonctionnement, que peut être recherchée par des tiers la seule responsabilité du concessionnaire, sauf insolvabilité de ce dernier, en cas de dommages imputables à l'existence ou au fonctionnement de cet ouvrage ;

5. Considérant que le SILCEN, propriétaire du réseau public d'eau potable, a confié par affermage le service public d'alimentation en eau potable à la société Ruas Michel par convention du 17 octobre 2001 ; que l'article 11 de cette convention prévoit que "le fermier est responsable du non fonctionnement du service vis-à-vis des usagers, du syndicat et des tiers (...) Le fermier est tenu de réparer les dommages aux personnes, aux biens et à l'environnement causés par le fonctionnement du service et les ouvrages dont il a la charge (..). Il garantit le syndicat contre tout recours des usagers et des tiers." ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit au point 3 que l'éboulement de terrain litigieux trouve son origine déterminante dans l'exploitation du service public d'alimentation en eau potable ; que les requérants, tiers par rapport à cet ouvrage public affermé, sont ainsi fondés à rechercher à titre principal la responsabilité sans faute du délégataire, la société Ruas Michel ;

6. Considérant, ensuite, que l'obligation à la dette, qui porte sur la détermination de la ou des personnes contre lesquelles les requérants, victimes du dommage, pouvaient diriger leurs conclusions indemnitaires, est distincte de la contribution à la dette, qui permet d'arrêter laquelle de ces personnes, in fine, notamment par le biais des appels en garantie, devra financièrement assumer la charge du dommage ; qu'ainsi qu'il vient d'être dit, il résulte du rapport de l'expert que l'éboulement de terrain litigieux résulte non pas de l'existence de la canalisation traversant le terrain des requérants, mais du fonctionnement de cette canalisation ; que, par suite, la société Michel Ruas n'est pas fondée à soutenir que le SILCEN serait seul responsable des dommages causés au fonds de M. A...et de Mme D...; que, dans ces conditions, les premiers juges ont pu décider à bon droit que la responsabilité sans faute de la société Ruas Michel était engagée du fait de l'exploitation de l'ouvrage public litigieux et mettre hors de cause le SILCEN personne publique délégante ;

En ce qui concerne les causes exonératoires de responsabilité :

7. Considérant d'abord que les premiers juges ont pu à bon droit estimer que les pluies qui se sont abattues sur le département ne présentaient pas de caractère irrésistible et imprévisible de nature à leur conférer le caractère de force majeure de nature à exonérer la responsabilité de la SA Ruas de sa responsabilité ;

8. Considérant ensuite qu'il ne résulte pas de l'instruction que les requérants auraient commis des fautes dans la construction de leur villa dans une zone classée en zone bleue du plan de prévention des risques de mouvement de terrain ; que la circonstance que les requérants n'auraient pas exécuté les travaux et notamment ceux relatifs au système d'assainissement individuel préconisés en 2005 lors de la construction de la maison et en 2007 par le cabinet spécialiste en géologie, géotechnique, hydrogéologie susmentionné ne permet pas, contrairement à ce que fait valoir la société Ruas Michel, d'exonérer la société d'une part de sa responsabilité, dès lors que l'expert ne retient pas, ainsi qu'il a été dit au point 3, cette cause dans l'origine du sinistre ; qu'il en résulte que l'entière responsabilité de la société Ruas est engagée ;

Sur le préjudice :

9. Considérant que les premiers juges ont alloué à M. A...et à Mme D...la somme de 1 196 euros TTC au titre des travaux provisoires de terrassement, celle de 39 689,26 euros pour édifier un ouvrage de soutènement avec drainage, celle de 5 400 euros au titre du préjudice de jouissance résultant de l'impossibilité de disposer de leur villa pendant trois mois et celle de 5 000 euros au titre de leur préjudice moral ; qu'ils ont écarté les autres chefs de préjudice invoqués par les requérants ; que Mme D...et M. A...estiment cette réparation insuffisante ; que la société Ruas Michel estime qu'elle est excessive ;

10. Considérant en premier lieu que l'expert a estimé, dans son rapport définitif, eu égard aux factures produites pendant l'expertise, le coût des travaux provisoires de terrassement entrepris par Mme D...et de M. A...pour retenir les terres du talus et adoucir la pente à la somme de 1 196 euros et a chiffré à 39 689,26 euros le coût d'un ouvrage de soutènement avec drainage de la zone sinistrée pour assurer la sécurité des lieux après la destruction des restanques ; que ces frais présentent un lien direct avec le sinistre ; que la société Ruas Michel ne conteste pas utilement le montant de ces frais en faisant valoir que si les requérants avaient réalisé préventivement les travaux préconisés en 2005 et 2007 par le spécialiste en hydrologie, le sinistre aurait été évité, dès lors qu'ainsi qu'il a été dit, l'absence de réalisation de ces travaux ne constitue pas une cause dans la survenance du sinistre ; qu'il y a lieu de confirmer la somme de 40 885,26 euros allouée par les premiers juges au titre des travaux entrepris et à réaliser par les requérants ;

11. Considérant en deuxième lieu que l'expert indique dans son rapport que le sinistre a eu pour seule conséquence un effondrement des terres du talus situé à l'arrière de la villa à l'extérieur et que la perte de la valeur vénale alléguée pendant les opération d'expertise par les requérants n'était pas établie dès lors qu'il n'a constaté aucune dégradation à l'intérieur de leur villa ; que les fuites de la canalisation ont été réparées et que les travaux susmentionnés préconisés par l'expert permettent d'assurer une stabilité de leur terrain ; que la seule circonstance que la propriété ait fait l'objet de ce sinistre n'est pas de nature à établir un lien de causalité avec la dépréciation alléguée du prix de cette propriété, alors que la construction de la villa résulte du choix des requérants de l'implanter dans une zone à risque en raison des mouvements de terrain ; que la perte de la valeur vénale invoquée liée à la seule présence de la canalisation sur le terrain des requérants, qui constitue au demeurant un dommage permanent distinct du dommage accidentel résultant de l'éboulement de terrain survenu le 7 février 2009, n'est pas établie ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté le chef du préjudice lié à la perte de la valeur vénale de la propriété des requérants ;

12. Considérant en troisième lieu que la circonstance que les requérants ont été hébergés gracieusement par la mère de Mme D...pendant les trois mois où les requérants n'ont pas pu disposer de leur propriété en raison du sinistre, ainsi que le reconnait l'expert ne fait pas obstacle à l'indemnisation du préjudice de jouissance des requérants consistant en ne pas pouvoir user librement de leur bien ; que les premiers juges ont fait une estimation excessive de ce préjudice, qui présente un caractère anormal et spécial en allouant la somme de 5 400 euros aux requérants à ce titre ; qu'il y a lieu de ramener cette indemnisation à la somme de 3 000 euros ;

13. Considérant en quatrième lieu que les premiers juges ont fait une estimation excessive du préjudice moral des requérants en leur allouant la somme de 5 000 euros à ce titre ; qu'il y a lieu de ramener l'indemnisation de ce préjudice qui présente un caractère anormal à la somme de 1 000 euros ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par M. A...et Mme D...s'élève à la somme totale de 44 885,26 euros ; que la société Ruas Michel est fondée dans cette mesure à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont alloué la somme de 51 285,26 euros au titre de la réparation des préjudices subis ; qu'il y a lieu d'allouer la somme de 22 442,63 euros à M. A...et une autre somme de 22 442,63 euros à MmeD..., sous déduction de la provision de 20 000 euros qui leur a été allouée à chacun en exécution de l'arrêt du 19 septembre 2013 de la cour administrative d'appel de Marseille annulant partiellement l'ordonnance susmentionnée du 14 mars 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Nice, assorties des intérêts capitalisés dans les conditions énoncées par le jugement attaqué ; que le SILCEN est fondé à soutenir que c'est à bon droit que les premiers juges l'ont mis hors de cause ;

Sur les dépens :

15. Considérant qu'il n'y a pas lieu de revenir sur la dévolution des frais d'expertise effectuée par les premiers juges ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que la société Ruas Michel et le SILCEN, qui ne sont pas les parties perdantes à l'instance, soient condamnés solidairement à verser quelque somme que ce soit à Mme A...et M. D...; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner Mme A...et M. D...à verser les sommes que demandent la société Ruas Michel et le SILCEN au titre de ces dispositions ;

DECIDE :

Article 1er : La somme que la société Ruas Michel a été condamnée à verser à Mme A...et M. D... par l'article 2 du jugement du 22 octobre 2013 du tribunal administratif de Nice est ramenée à la somme de 44 885,26 euros. La société Ruas Michel versera la somme de 22 442,63 euros à M. A...et une autre somme de 22 442,63 euros à MmeD..., sous déduction de la provision de 20 000 euros qui leur a été allouée à chacun en exécution de l'arrêt du 19 septembre 2013 de la cour administrative d'appel de Marseille annulant partiellement l'ordonnance du 14 mars 2013 du juge des référés du tribunal administratif de Nice. Chacune de ces sommes portera intérêt à compter du 9 juillet 2011 date d'enregistrement de leur demande et capitalisation de ces intérêts à compter du 9 juillet 2012, à chaque échéance annuelle.

Article 2 : Le jugement du 22 octobre 2013 du tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4: Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D..., à M. I...A..., à la société Ruas Michel et au syndicat intercommunal à vocation multiple pour l'équipement et l'aménagement des cantons de Levens, Contes, l'Escarène et Nice.

Copie sera adressée à l'expert pour information.

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N° 13MA049783

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13MA04978
Date de la décision : 21/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-02 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Régime de la responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : SCP COURTIGNON - BEZZINA - LE GOFF

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2015-12-21;13ma04978 ?
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