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06/05/2014 | FRANCE | N°11MA04721

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, 06 mai 2014, 11MA04721


Vu la requête, enregistrée le 22 décembre 2011, présentée pour Mme C...B..., domiciliée..., par Me A...; Mme B...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0804855, 1000471 du 9 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2002 à 2006 ;

2°) de surseoir à statuer pour saisir la Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Un

ion européenne, d'une question préjudicielle en interprétation de l'article 64 dudi...

Vu la requête, enregistrée le 22 décembre 2011, présentée pour Mme C...B..., domiciliée..., par Me A...; Mme B...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0804855, 1000471 du 9 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes tendant à la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2002 à 2006 ;

2°) de surseoir à statuer pour saisir la Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'une question préjudicielle en interprétation de l'article 64 dudit traité ;

3°) de prononcer la décharge des impositions en cause, soit 118 758 euros au titre des années 2002 à 2004 et 87 561 euros au titre des années 2005 et 2006 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

..........................................................................................................

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 juin 2012, présenté par le ministre de l'économie et des finances ; le ministre conclut au rejet de la requête ;

Le ministre soutient :

- que la procédure de rectification menée au titre des années 2005 et 2006 a été régulière ; que les observations de Mme B...en réponse aux propositions de rectification des 8 octobre 2007 et 5 décembre 2008 n'ont jamais été reçues par le service ;

- que la jurisprudence du Conseil d'Etat confirme le principe selon lequel la restriction posée par l'article 164 C du code général des impôts, qui fait partie de l'ordre juridique français depuis l'intervention de l'article 7 de la loi du 29 décembre 1976, aux investissements directs y compris immobiliers en provenance d'un pays tiers comme la Principauté de Monaco, n'entrait pas dans le champ d'application du paragraphe 1 de l'article 73 B du traité instituant la Communauté européenne, devenu article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que la jurisprudence de la CJUE a, s'agissant de mouvements impliquant des investissements immobiliers, mis en oeuvre la clause de gel après contrôle d'effectivité, d'antériorité et de continuité de la restriction mais sans recherche particulière ni validation d'un caractère direct ou économique de l'investissement au sens de la nomenclature des mouvements de capitaux énoncée à l'annexe I de la directive du 24 juin 1988 ;

- que la requérante, qui ne résidait ni en France, ni en Finlande, n'entre pas dans le champ d'application de la clause de non-discrimination et est imposable sur le fondement de l'article 164 C du code général des impôts ;

- que la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne s'oppose pas à ce que des dispositions différentes s'appliquent à des personnes placées dans des situations différentes ; que toute différence de traitement n'emporte pas violation de l'article 14 de la convention, ni de l'article 1er de son premier protocole additionnel ;

- que la requérante ne démontre pas qu'elle a en Finlande son domicile fiscal ;

Vu, enregistré le 6 janvier 2014, le mémoire en réplique présenté pour MmeB... ; celle-ci conclut aux mêmes fins que sa requête ;

Elle soutient en outre que l'arrêt du Conseil d'Etat n° 360488 du 26 décembre 2013 règle au fond le litige lié à son imposition à l'impôt sur le revenu en application de l'article 164 C du code général des impôts ;

Vu le mémoire, enregistré le 1er avril 2014, présenté par le ministre de l'économie et des finances ; celui-ci confirme ses précédentes écritures ;

Il soutient en outre que le bien en cause n'est pas la propriété de MmeB... ; qu'il est la propriété d'une société civile immobilière dont Mme B...détient la majorité des parts ; que Mme B...n'ayant pas la disposition directe dudit bien, elle ne peut utilement se prévaloir de la jurisprudence qu'elle cite, laquelle ne vise que le cas des propriétaires des habitations pour lesquelles les dispositions de l'article 164 C ont été mises en oeuvre ; que la clause de gel énoncée à l'article 73 C du traité instituant la Communauté européenne reste applicable ;

Vu, enregistré le 7 avril 2014, le mémoire en réplique présenté pour MmeB... ; celle-ci conclut aux mêmes fins que sa requête ;

Elle soutient en outre que l'application de l'article 164 C du code général des impôts, comme le rappelle la doctrine administrative, est indépendante du mode de disposition de l'habitation ; que le contribuable doit avoir la disposition de l'habitation, directement ou sous couvert d'un tiers ; que sont ainsi concernées les personnes qui ont à leur disposition une habitation comme associées d'une société immobilière ;

Vu le mémoire, enregistré le 8 avril 2014 par télécopie et régularisé le 10 avril suivant, présenté par le ministre de l'économie et des finances ; celui-ci persiste dans ses précédentes écritures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Vu la convention fiscale conclue le 18 mai 1963 entre la République française et la Principauté de Monaco ;

Vu la directive 88/361 du 24 juin 1988 ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 avril 2014,

- le rapport de M. Martin, rapporteur ;

- et les conclusions de M. Guidal, rapporteur public ;

1. Considérant que MmeB..., de nationalité finlandaise et résidente à Monaco, associée de la société civile immobilière (SCI) Floro ayant son siège à Monaco et dont elle possède 490 parts sur 500, a été imposée à l'impôt sur le revenu en France au titre des années 2002 à 2006 en application du premier alinéa de l'article 164 C du code général des impôts sur une base forfaitaire égale à trois fois la valeur locative réelle de la villa dont la SCI Floro est propriétaire à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes) ; que Mme B...relève appel du jugement en date du 9 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes de décharge des impositions susmentionnées ;

2. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction issue du traité d'Amsterdam devenu article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites " ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 57 du traité instituant la Communauté européenne, devenu article 64 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " L'article 56 ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers (...) " ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 7 de la convention fiscale entre la France et la Principauté de Monaco, signée le 18 mai 1963 : " Les personnes physiques de nationalité française qui transporteront à Monaco leur domicile ou leur résidence - ou qui ne peuvent pas justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco à la date du 13 octobre 1962 - seront assujetties en France à l'impôt sur le revenu des personnes physiques et à la taxe complémentaire dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou leur résidence en France (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 164 C du code général des impôts : " Les personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal en France mais qui y disposent d'une ou plusieurs habitations, à quelque titre que ce soit, directement ou sous le couvert d'un tiers, sont assujetties à l'impôt sur le revenu sur une base égale à trois fois la valeur locative réelle de cette ou de ces habitations à moins que les revenus de source française des intéressés ne soient supérieurs à cette base, auquel cas le montant de ces revenus sert de base à l'impôt. Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas aux contribuables de nationalité française qui justifient être soumis dans le pays où ils ont leur domicile fiscal à un impôt personnel sur l'ensemble de leurs revenus et si cet impôt est au moins égal aux deux tiers de celui qu'ils auraient à supporter en France sur la même base d'imposition. (...) " ;

3. Considérant que MmeB..., résidente monégasque de nationalité finlandaise, associée majoritaire d'une société civile immobilière de droit monégasque propriétaire en France d'un bien immobilier, était dans la même situation que celle des ressortissants français qui résident à Monaco sans pouvoir justifier de cinq ans de résidence habituelle dans la principauté à la date du 13 octobre 1962 et disposent d'une habitation en France, directement ou sous couvert d'un tiers ; que toutefois, l'intéressée était soumise, à la différence de ces derniers, par l'application combinée de l'article 164 C du code général des impôts et du paragraphe 1 de l'article 7 de la convention fiscale franco-monégasque, à une taxation minimum à l'impôt sur le revenu sur une base égale à trois fois la valeur locative du bien immobilier qu'elle possédait en France sans que lui soit ouverte la possibilité d'établir que ses revenus étaient inférieurs à cette base ; que cette différence d'imposition, qui ne résultait que d'une différence de nationalité, constituait une restriction à la libre circulation des capitaux entre Etats membres et pays tiers ;

4. Considérant que compte tenu de la clause dite de gel inscrite, pour les années d'imposition en litige, à l'article 57 du traité instituant la Communauté européenne pour l'application de laquelle c'est l'Etat de provenance des capitaux et non la nationalité de l'investisseur qui importe, reste autorisée l'application aux pays tiers, et donc à la Principauté de Monaco, des restrictions aux mouvements de capitaux existant le 31 décembre 1993 lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris des investissements immobiliers ; que, toutefois, par un arrêt C-181/12, Yvon Welte, du 17 octobre 2013, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que si les notions d'" investissements directs " et d'" investissements immobiliers " n'étaient pas définies par le traité, il ressortait de l'énumération figurant dans la rubrique I de l'annexe I de la directive 88/361/CEE du 24 juin 1988 et des notes explicatives s'y rapportant que la notion d'investissement direct concernait les investissements auxquels procèdent les personnes physiques ou morales et qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et l'entreprise à qui ces fonds sont destinés en vue de l'exercice d'une activité économique et qu'il ressortait de l'intitulé même de la rubrique II de cette annexe que les " investissements immobiliers " visés à cette rubrique ne comprenaient pas les investissements directs visés à la rubrique I de cette annexe ; que la Cour en a déduit que, lorsqu'il se réfère aux " investissements directs, y compris les investissements immobiliers ", l'article 57, paragraphe 1 vise les seuls investissements immobiliers qui constituent des investissements directs relevant de la rubrique I de l'annexe I de la directive 88/361 et qu'en revanche, des investissements immobiliers de type " patrimonial ", effectués à des fins privées sans lien avec l'exercice d'une activité économique, ne relèvent pas du champ d'application de cet article ;

5. Considérant, alors que les contribuables qui disposent d'une habitation en France directement ou par l'intermédiaire d'une société civile sont dans la même situation au regard des dispositions précitées de l'article 164 C du code général des impôts et qu'il ne ressort nullement de l'arrêt Yvon Welte sus-analysé que la Cour de justice de l'Union européenne aurait entendu opérer une distinction, s'agissant des investissements immobiliers de type " patrimonial ", entre les personnes physiques et morales, qu'il ne résulte pas de l'instruction et qu'il n'est d'ailleurs pas soutenu par le ministre que l'acquisition par la SCI Floro du bien immobilier sis à Roquebrune-Cap-Martin aurait été effectuée en vue de l'exercice d'une activité économique ; que, par suite, ladite acquisition ne constitue pas un investissement direct au sens de l'article 57, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne devenu l'article 64 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, interprété à la lumière de la directive 88/361 du 24 juin 1988, mais un investissement immobilier entrant dans la catégorie II de la nomenclature annexée à ladite directive ; qu'il s'ensuit que, l'investissement en litige ne relevant pas pour ce motif du champ d'application de la dérogation prévue par l'article 57, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, les impositions mises à la charge de Mme B... au titre des années 2002 à 2006 constituaient une restriction aux mouvements de capitaux entre un Etat membre de la Communauté européenne et un Etat tiers, prohibée par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2002 à 2006 ; qu'il y a lieu de prononcer la décharge de ces impositions à concurrence des montants, non contestés, de 38 997 euros au titre de l'année 2002, 37 585 euros au titre de l'année 2003, 42 176 euros au titre de l'année 2004, 48 536 euros au titre de l'année 2005 et 39 025 euros au titre de l'année 2006 ;

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 9 décembre 2011 est annulé.

Article 2 : Mme B...est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2002 à 2006 à concurrence des sommes de 38 997 (trente-huit mille neuf cent quatre-vingt dix-sept) euros au titre de l'année 2002, 37 585 (trente-sept mille cinq cent quatre-vingt-cinq) euros au titre de l'année 2003, 42 176 (quarante-deux mille cent soixante-seize) euros au titre de l'année 2004, 48 536 (quarante-huit mille cinq cent trente-six) euros au titre de l'année 2005 et 39 025 (trente-neuf mille vingt-cinq) euros au titre de l'année 2006.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B...la somme de 2 000 (deux mille) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...B...et au ministre des finances et des comptes publics.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre-formation à 3
Numéro d'arrêt : 11MA04721
Date de la décision : 06/05/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-01-05 Contributions et taxes. Généralités. Textes fiscaux. Conventions internationales.


Composition du Tribunal
Président : M. CHERRIER
Rapporteur ?: M. Laurent MARTIN
Rapporteur public ?: M. GUIDAL
Avocat(s) : CIAUDO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2014-05-06;11ma04721 ?
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