Vu la requête sommaire, enregistrée le 21 février 2011, présentée pour le centre hospitalier de Digne-les-Bains, dont le siège est quartier Saint Christophe à Digne-les-Bains (04003), pris en la personne de son directeur, par Me J... ; le centre hospitalier de Digne-les-Bains demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0906925 du 22 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille, sur la demande des consortsE..., l'a condamné à verser aux intéressés la somme totale de 56 451,10 euros en réparation de leurs préjudices, cette somme totale étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 2009, à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence la somme de 520,49 euros au titre de ses débours, assortie des intérêts à compter du 3 novembre 2009, et la somme de 173,50 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
2°) de rejeter les conclusions des consorts E...et de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence ;
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le tribunal était saisi ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que la prise en charge de Mme E...était défaillante, en raison d'une absence fautive d'évaluation clinique approfondie ;
- seule une fraction des préjudices aurait dû faire l'objet d'une indemnisation ;
- le tribunal a procédé à une évaluation excessive des préjudices subis ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire complémentaire enregistré le 14 juin 2011, présenté pour le centre hospitalier de Digne-les-Bains, qui maintient ses conclusions précédentes, par les mêmes moyens ;
Il précise que :
- dans le cadre d'une hospitalisation libre, le patient dispose de la liberté d'aller et de venir et que le fait qu'un patient ait pu échapper à la surveillance dont il faisait l'objet ne suffit pas à établir qu'une faute ait été commise dans l'organisation ou le fonctionnement du service ;
- rien ne laissait entrevoir le geste fatal dans les heures qui l'ont précédé ;
- un des aspects de la personnalité de la victime consistait à masquer de grandes souffrances intérieures sous un aspect très jovial ;
- il était très difficile de prévoir qu'elle allait quitter l'établissement et passer à l'acte ;
- la faute n'aurait au mieux entraîné qu'une perte de chance d'éviter le suicide ;
- la réparation du préjudice moral du veuf s'effectue habituellement à hauteur de 10 000 euros et celle des enfants de 5 000 euros ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 août 2011, présenté pour M. K... E..., Mlle LætitiaE..., Mme L... F..., M. A... E..., M. B... E..., par Me G...M..., qui concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Digne-les-Bains au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- l'obligation de surveillance incombant aux établissements de santé lorsqu'un patient est hospitalisé en service psychiatrique est une obligation renforcée ;
- même sans indications médicales particulières, l'établissement psychiatrique doit assurer une surveillance appropriée compte tenu de l'état médical du patient ;
- le docteur Jacquemin lui-même a recommandé à son mari le bénéfice d'une hospitalisation à la demande de son épouse et ajouté qu'il ferait lui-même les démarches pour un placement d'office si le besoin s'en faisait sentir ;
- M. E...a attiré l'attention du service sur l'état de son épouse, à plusieurs reprises ;
- la liberté du patient en hospitalisation psychiatrique doit être surveillée ;
- ses manquements ayant permis le passage à l'acte, l'hôpital doit être tenu pour responsable de celui-ci et condamné à réparer l'intégralité du préjudice ;
- le montant des indemnités allouées est conforme à la jurisprudence ;
Vu, enregistrées le 14 novembre 2011, les observations, présentées par la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence, qui conclut au rejet de la requête ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 décembre 2011, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes, par Me C...qui conclut au rejet de la requête ;
Elle soutient que le montant de ses débours s'est élevé à la somme de 520,49 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 avril 2012, présenté pour le centre hospitalier de Digne-les-Bains, qui maintient ses conclusions précédentes, par les mêmes moyens ;
Il ajoute que le rejet des conclusions de l'organisme social résultera nécessairement de ce que sa responsabilité n'est pas en cause ;
Vu la lettre en date du 31 octobre 2012, informant les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir est susceptible d'être fondée sur un moyen soulevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de l'intervention de la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 novembre 2012, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Vaucluse, par Me C...qui indique que dans la cadre de la mutualisation entre les caisses primaires d'assurance maladie, la caisse des Hautes-Alpes exerce désormais les recours pour le compte de la caisse de Vaucluse ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu l'arrêté du 3 décembre 2012 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mai 2013 :
- le rapport de Mme Menasseyre, rapporteure,
- les conclusions de Mme Fedi, rapporteure publique,
- et les observations de Me G...pour les consortsE... ;
1. Considérant que MmeE..., alors âgée de 57 ans, qui souffrait de profondes crises de dépression accompagnées d'états suicidaires a été admise, le 29 mars 2005 vers 22 heures 30 au sein du service de psychiatrie du centre hospitalier de Digne-les-Bains, sous le régime de l'hospitalisation libre, en provenance du service des urgences de l'hôpital de Manosque dans lequel son mari l'avait accompagnée en raison d'une brusque altération de son humeur ; que le lendemain, le centre hospitalier, alerté vers 18 heures par un appel téléphonique de M. E...inquiet des propos que lui tenait par téléphone son épouse, a constaté son absence ; que, malgré les recherches entreprises, Mme E...a été découverte inanimée dans un état grave dans un magasin de bricolage, entre 18 heures et 18 heures 15, après avoir ingurgité une demi bouteille d'acide sulfurique ; qu'elle est décédée pendant son transport à l'hôpital ; que le centre hospitalier de Digne-les-Bains relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamné à réparer les préjudices résultant de ce décès pour son veuf, ses enfants et la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que si le centre hospitalier a soutenu, dans sa requête sommaire, de façon lapidaire, que le jugement était insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le tribunal administratif a été saisi, il n'a assorti ce moyen d'aucune précision permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé ; que le moyen doit, par suite, être écarté ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Digne-les Bains :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I.-Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...)"
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme E...souffrait depuis des années d'importants troubles dépressifs, qui l'avaient conduite à plusieurs reprises à être hospitalisée et avaient donné lieu à plusieurs tentatives de suicide ; qu'elle était connue du service dans lequel elle était hospitalisée, pour y avoir séjourné à deux reprises au cours des deux années précédentes et y être suivie par son chef de service ; que ce dernier n'ignorait notamment pas qu'un des aspects de la personnalité de la patiente consistait à masquer de grandes souffrances intérieures sous un aspect très jovial ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif que l'évaluation clinique de la patiente s'est limitée à une simple observation, l'absence de demande exprimée et le calme du comportement ayant été tenus comme des indicateurs suffisants de l'état mental de la patiente ; que l'expert a ainsi relevé que " Les informations portées sur la fiche d'observations médicales et du service infirmier sont très sommaires : pas de compte-rendu ou de résumé d'examen clinique à l'admission (...) pas de consigne relative à la surveillance et à la prise en charge infirmière ; pas d'indication de cadre de soin personnalisé (....) Dans la fiche d'observations ne figure aucune transmission infirmière, ciblée ou classique, relative à l'état clinique ni aux éléments précités ; pas d'évaluation clinique ni médicale ni infirmière tracée au cours des 22 heures de séjour dans l'établissement. Les informations écrites sont exclusivement de l'ordre du factuel, de l'entrée le 29 mars à 22 heures au constat de l'absence de l'intéressée le 30 à 19 heures. " ; qu'il a également relevé que " L'admission de Mme E...pour la troisième fois au service de psychiatrie du CH de Digne semble avoir été considérée d'emblée et par la suite comme une répétition des séjours précédents amenant un apaisement rapide sans incident notable, n'appelant de ce fait pas de modalités particulières de prise en charge. " ; qu'il a, enfin, relevé l'absence de mise en place de cadre de soin particulier et de prise en charge spécifique, notamment en ce qui concerne la problématique suicidaire qui n'a pas été considérée comme prioritaire, l'absence de consigne médicale et de diagnostic infirmier ; que, dans ce contexte et alors même que le centre hospitalier de Digne-les-Bains fait valoir que rien ne laissait entrevoir le geste fatal dans les heures qui l'ont précédé et qu'il était très difficile de prévoir que Mme E... allait quitter l'établissement et passer à l'acte, il apparaît que la prise en charge de la patiente dans cet établissement n'a pas été adaptée à sa pathologie ; que si le centre hospitalier fait également valoir que le régime d'hospitalisation libre sous lequel était hospitalisée Mme E... faisait obstacle à l'adoption de méthodes coercitives de surveillance, et s'il ne disposait que de pouvoirs limités dans le cadre d'un tel régime d'hospitalisation, ces circonstances ne sont pas de nature à démontrer que l'établissement aurait apporté à l'état de la patiente, dont la fragilité était connue du service, une réponse graduée, médicamenteuse, humaine, matérielle, adaptée ; qu'en s'abstenant de procéder dans les délais utiles à une évaluation clinique, médicale et infirmière de l'état de la patiente, susceptible de rendre possible une prise en charge adaptée et, le cas échéant, une adaptation de son régime d'hospitalisation, le centre hospitalier universitaire de Digne-les-Bains a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; qu'il n'est, ainsi, pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que sa responsabilité était engagée ;
Sur l'évaluation des préjudices :
5. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; que les consorts E...ne sauraient, à cet égard, faire utilement valoir que les manquements de l'hôpital ont permis le passage à l'acte de la victime, cette circonstance n'étant pas, à elle seule, de nature à démontrer que les fautes commises par l'hôpital devraient donner lieu à une réparation intégrale des préjudices qui en procèdent ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme E...souffrait de très lourds antécédents et avait tenté à plusieurs reprises de mettre fin à ses jours ; que ses souffrances intérieures étaient intenses et qu'il est probable que, compte tenu de ces souffrances, Mme E... aurait cherché à mettre fin à ses jours ; qu'elle était par ailleurs, à son entrée au centre hospitalier, sous un traitement médicamenteux associant plusieurs psychotropes, un anti-dépresseur, un thymorégulateur, deux neuroleptiques, un tranquillisant et un hypnotique, qui ne l'a pas empêchée de passer à l'acte ; qu'ainsi il ne peut être tenu pour certain que, même en présence d'une prise en charge exempte de faute, Mme E...aurait échappé au risque de suicide inhérent à son état ; qu'au regard du grand risque de passage à l'acte de la patiente au moment de son hospitalisation, sur lequel le service avait été alerté par son époux, de l'existence d'antécédents qui avaient été surmontés et de la personnalité de l'intéressée, il sera fait une juste appréciation de l'ampleur de la chance d'éviter le suicide de l'intéressée perdue à raison des défaillances du service public hospitalier en la fixant à 25 % des différents chefs de préjudice ayant résulté du décès de MmeE... ;
7. Considérant que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Digne-les-Bains, le tribunal administratif de Marseille n'a pas retenu une appréciation excessive des préjudices moraux résultant pour M. E...et ses enfants du décès de leur épouse en mère ;
8. Considérant toutefois que l'application du pourcentage de perte de chance retenu au... ;
Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année (...) " ; que l'arrêté du 3 décembre 2012 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale fixe les montants maximum et minimum de cette indemnité respectivement à 1 015 euros et à 101 euros à compter du 1er janvier 2013 ; que, compte tenu de ce plancher et du montant des sommes dont le remboursement a été obtenu par la caisse, la somme allouée au titre de ces dispositions à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute Provence doit être ramenée à 101 euros ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Digne-les-Bains est seulement fondé à demander que les indemnités que le tribunal de Marseille l'a condamné à verser aux intimés soient réduites dans les proportions exposées ci-dessus ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier de Digne-les-Bains qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse aux consorts E...une quelconque somme au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le principal de la somme que le centre hospitalier de Digne-les-Bains a été condamné par l'article 1er du jugement du 22 décembre 2010 à payer à M. K...E...est ramené à 5 863 euros.
Article 2 : Le principal de la somme que le centre hospitalier de Digne-les-Bains a été condamné par l'article 1er du jugement du 22 décembre 2010 à payer à Mlle LaetitiaE...est ramené à 3 000 euros.
Article 3 : Le principal de la somme que le centre hospitalier de Digne-les-Bains a été condamné par l'article 1er du jugement du 22 décembre 2010 à payer respectivement à M. A...E..., à M. B... E...et à Mme L...F...née E...est ramené à 1 750 euros.
Article 4 : Le principal de la somme que le centre hospitalier de Digne-les-Bains a été condamné par l'article 2 du jugement du 22 décembre 2010 à verser à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-de-Haute-Provence au titre de ses débours est ramené à la somme de 130 euros. Le montant alloué à cet organisme par le même article au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est ramené à la somme de 101 euros.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 décembre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier de Digne-les-Bains est rejeté.
Article 7 : Les conclusions des consorts E...tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Digne-les-Bains, à M. K... E..., à Mlle LaetitiaE..., à Mme L... F..., à M. A... E..., à M. B... E..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes de Haute-Provence.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2013, où siégeaient :
- M. Duchon-Doris, président de chambre,
- Mme Menasseyre, première conseillère,
- MmeH..., première conseillère,
Lu en audience publique, le 17 juin 2013
La rapporteure,
A. MENASSEYRELe président,
J.-C. DUCHON-DORIS
La greffière,
D. GIORDANO
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 11MA00769