Vu, enregistrée le 16 février 2011, la requête présentée pour M. B...F..., demeurant ...par la SCP d'avocats Penard G...; M. F...demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0900724 du 16 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département du Vaucluse à lui verser la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la construction du chemin départemental n° 942 constituant la déviation nord de la commune de Carpentras ;
2°) de faire droit à sa demande ;
3°) de condamner le département de Vaucluse à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que :
- il a acquis le 11 octobre 2005 une parcelle de terrain à bâtir, située 370 chemin Saint-Roch, en bordure de la route départementale 942 qui constitue la déviation nord de Carpentras ;
- un mur anti bruit a été construit le long de la route pour protéger les propriétés riveraines des nuisances sonores évidentes liées à son utilisation, mais ce mur a été arrêté au droit de sa parcelle, qui n'est dès lors pas protégée du bruit ;
- il a demandé à plusieurs reprises sans succès au président du conseil général la prolongation de ce mur jusqu'à son habitation ;
- sa demande indemnitaire préalable du 8 novembre 2008 a été rejetée par le conseil général le 8 novembre 2008 ;
- la responsabilité sans faute du département de Vaucluse est engagée pour dommage permanent dû à un ouvrage public ;
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, la création d'une voie rapide cause un préjudice anormal aux riverains ouvrant droit à réparation ;
- c'est pour cela d'ailleurs que le conseil général a édifié ce mur ;
- ce dommage est spécial dès lors qu'il est le seul riverain dont la parcelle n'est pas protégée par un mur anti bruit ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il justifie ainsi d'un préjudice particulier ;
- cette situation rompt l'égalité des riverains de la route ;
- une prolongation du merlon de terre devant sa maison qui lui a été proposée ne permettrait pas de réduire les nuisances sonores ;
- le coût des travaux d'aménagement d'un mur anti bruit en limite de sa propriété, selon l'estimation d'un devis de 33 356,44 euros TTC et les troubles de jouissance qui lui ont été occasionnés seront réparés par l'allocation d'une somme totale de 40 000 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu, enregistré le 24 mai 2011, le mémoire présenté pour le département de Vaucluse, représenté par son président en exercice, par la SELARL d'avocats Pezet-Perez, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation du requérant à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Le département fait valoir que :
- par arrêté du 19 juin 1986, prorogé le 30 mai 1991, le préfet de Vaucluse a déclaré d'utilité publique le projet de déviation du chemin départemental 942 à Carpentras ;
- le maire de la commune de Carpentras a délivré au requérant un permis de construire le 6 avril 2006 pour édifier une maison d'habitation sur sa parcelle acquise le 11 octobre 2005 ;
- les travaux de déviation ont commencé en juin 2005 pour une mise en circulation en décembre 2006 ;
- la théorie de la pré-occupation conduit à écarter tout droit à indemnité lorsque les dommages causés par l'ouvrage public étaient prévisibles à la date de l'achat ou de la construction ;
- or, l'arrêté de déclaration d'utilité publique des travaux de déviation de la route départementale est intervenu le 19 juin 1986 ;
- le requérant a acquis sa parcelle en octobre 2005 ;
- à la date de sa demande de permis de construire, les travaux de déviation avaient débuté ;
- et le permis de construire délivré le 6 avril 2006 précisait que la construction projetée se trouvait dans un secteur situé au voisinage d'une infrastructure de transport terrestre ;
- le requérant ayant assumé le risque en toute connaissance de cause, il ne peut se prévaloir d'un préjudice anormal et spécial ;
Vu, enregistré le 8 juin 2011, le mémoire présenté pour M. F...par la SCP Penard-G..., qui persiste dans ses précédentes écritures et soutient en outre que :
- le droit du citoyen à un environnement sain est reconnu par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui impose le respect de la vie privée et familiale dans un tel environnement et par l'article 12 paragraphe 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui prône l'amélioration de tous les aspects de l'hygiène du milieu ;
- en droit interne, l'article 1er de la Charte de l'environnement, de valeur constitutionnelle, et l'article 110-2 du code de l'environnement garantissent le droit de tout individu à un environnement sain ;
- les nuisances environnementales ouvrent droit à réparation sur le fondement de la responsabilité sans faute ;
- son droit à un environnement sain et à la protection du domicile contre les nuisances sonores est invocable en l'espèce ;
- le procès verbal d'huissier établi à sa demande le 17 mai 2011 constate que la clôture de propriété se situe à une douzaine de mètres de la voie rapide à 4 voies et a qualifié le bruit généré par le passage des véhicules d'important ;
- le lotissement actuellement en construction à proximité de sa maison est quant à lui protégé par le mur anti bruit ;
Vu, enregistré le 8 août 2011, le mémoire présenté pour M. F...par la SCP Penard-G..., qui persiste dans ses précédentes écritures et soutient en outre que :
- la construction du mur anti bruit a commencé en décembre 2006, soit deux mois après le début de la construction de sa maison ;
- la théorie de la pré-occupation exige, en application de l'article L. 112-6 du code de la construction et de l'habitation, trois conditions cumulatives, dont l'une n'était pas remplie en l'espèce, dès lors que l'édification du mur a modifié les conditions d'exploitation de l'infrastructure, à savoir la route départementale ;
Vu, enregistré le 15 septembre 2011, le mémoire présenté pour le département de Vaucluse, représenté par son président en exercice, par la SELARL d'avocats Pezet-Perez, qui persiste dans ses précédentes écritures et fait valoir en outre que :
- la requête introductive d'instance, enregistrée le 16 février 2011 au greffe de la cour, est irrecevable en application de l'article R. 412-1 du code de justice administrative, dès lors que le requérant n'a produit le jugement attaqué que dans son mémoire enregistré le 8 juin 2011 ;
- le droit à un environnement sain reconnu par le droit international est un " objectif-droit " vers lequel doit tendre toute législation nationale, mais qui n'a pas donné lieu à la condamnation de l'Etat français pour méconnaissance de ce droit ;
- en tout état de cause, la collectivité ne devait pas construire un mur anti bruit sur une parcelle non construite ;
- le requérant n'établit pas que l'article 1er de la Charte de l'environnement a été méconnu ;
- en tout état de cause, les moyens tirés de la méconnaissance de l'atteinte à son droit à la vie privée et à un environnement sain ne sont assortis d'aucune précision permettant d'examiner leur bien-fondé ;
- la théorie de la pré-occupation trouve à s'appliquer, dès lors que le mur n'a pas aggravé les nuisances sonores ;
Vu, enregistré le 18 octobre 2011, le mémoire présenté pour M. F...par la SCP Penard-G..., qui persiste dans ses précédentes écritures et soutient en outre que :
- la requête est recevable car le jugement attaqué a été joint au mémoire introductif d'instance ;
- le permis de construire délivré le 6 avril 2006 indiquait que des mesures d'isolement acoustiques seraient prises pour protéger son habitation ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la Constitution ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 janvier 2013 :
- le rapport de MmeD..., rapporteure ;
- les conclusions de MmeA..., rapporteure publique ;
- et les observations de Me G...pour M. F...et de Me C...de la SELARL d'avocats Pezet-Perez pour le département de Vaucluse ;
1. Considérant que M. F...demande l'annulation du jugement du 16 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département de Vaucluse à lui verser la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la construction du chemin départemental n° 942 constituant la déviation nord de la commune de Carpentras ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant que M. F...a acquis le 11 octobre 2005 une parcelle de terrain à bâtir, située 370 chemin Saint Roch, en bordure de la déviation du chemin départemental 942 à Carpentras, dont le projet avait été déclaré d'utilité publique le 19 juin 1986, prorogé le 30 mai 1991 ; que les travaux de déviation ont débuté en juin 2005 ; que le maire de Carpentras a délivré au requérant un permis de construire le 6 avril 2006 pour édifier sa villa sur cette parcelle ; que M. F...demande réparation, d'une part, du dommage permanent causé par la présence de cette route et, d'autre part, du dommage résultant de l'absence d'un mur anti bruit le long de sa propriété, sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques ;
En ce qui concerne la responsabilité pour dommage de travaux publics :
3. Considérant qu'il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général ;
4. Considérant que M. F...soutient qu'il subit un préjudice anormal et spécial dès lors qu'ainsi qu'en atteste un procès-verbal d'huissier du 17 mai 2011, la clôture de sa propriété est située à une douzaine de mètres de la route et que le niveau du bruit généré par le passage des véhicules sur cette route à quatre voies est " important ", expliquant que le département de Vaucluse ait fait édifier un mur anti bruit pour protéger les habitations des nuisances sonores générées par le trafic ; qu'il résulte toutefois des pièces du dossier que M. F...a acquis son terrain le 11 octobre 2005, soit près de dix ans après la déclaration d'utilité publique en date du 19 juin 1986, prorogée le 30 mai 1991, et après le commencement des travaux de la déviation en juin 2005, ce qui n'est pas utilement contesté par le requérant ; qu'ainsi, lors de l'acquisition de son bien, M. F...a accepté le risque de nuisance allégué ; que, par suite, le département de Vaucluse est fondé à faire valoir que, pour ce motif, le requérant ne saurait demander aujourd'hui réparation du dommage que lui causerait la présence de l'ouvrage public ;
En ce qui concerne la rupture d'égalité devant les charges publiques :
5. Considérant que si le requérant fait valoir aussi que l'interruption de la construction de ce mur anti bruit par le département de Vaucluse au droit de sa propriété rompt l'égalité de traitement des citoyens, dès lors que les autres habitations situées le long de cette route bénéficient toutes de cette protection sonore, il résulte de l'instruction que, lorsque les études de construction du mur anti bruit ont été réalisées, après la déclaration d'utilité publique susmentionnée prorogée le 30 mai 1991, et lors du début des travaux de construction du muret en juin 2005, le terrain du requérant était nu, ce qui justifiait, par souci légitime d'économie des deniers publics, l'interruption de la construction du mur au droit de ce terrain vierge ; que le requérant n'établit pas, ni même n'allègue que l'interruption de l'édification du mur n'a pas été effectuée dans l'intérêt général ; qu'en toute hypothèse, le requérant ne justifie pas, notamment par la production d'études acoustiques permettant de comparer le niveau sonore que subit sa propriété avec celui qu'elle subirait si elle bénéficiait du mur anti bruit, qu'en ne le faisant pas profiter de la protection de ce mur, la commune lui aurait causé un préjudice en soit anormal ; que le permis de construire qui lui a été délivré le 6 avril 2006 indiquait dans son article 6 que " la construction projetée se trouve dans un secteur situé au voisinage d'une infrastructure de transport terrestre affecté par le bruit : des mesures d'isolement acoustiques déterminées en application de l'arrêté ministériel du 30 mai 1996 devront être prises " ; que le défaut de réalisation de ces mesures, dont l'arrêté ne précise pas la personne qui en serait chargée, ne saurait en tout état de cause qu'engager la responsabilité pour faute de l'administration ; qu'en outre, après l'édification de sa maison, le département a proposé au requérant de prolonger un merlon de terre au droit de sa propriété, ce que le requérant a refusé, en affirmant, sans l'établir, que ce merlon serait inefficace contre le bruit ; qu'eu égard à la situation particulière du terrain nu du requérant à la date des travaux, M. F...n'est pas fondé à soutenir qu'il serait ainsi porté atteinte au principe de l'égalité de traitement des citoyens ;
6. Considérant que le moyen tiré de ce que l'absence de mur méconnaîtrait le droit de M. F...à un environnement sain, reconnu tant par des textes internationaux que par le préambule de la Constitution et par l'article L. 110-1 du code de l'environnement n'est assorti d'aucune précision permettant au juge d'en apprécier le bien fondé ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que M. F...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département de Vaucluse au titre des dispositions de cet article ; que le département de Vaucluse n'étant pas la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à sa condamnation à verser à M. F...la somme que celui-ci réclame à ce titre ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. F...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département de Vaucluse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...F...et au département de Vaucluse.
Copie pour information sera adressée à l'expert.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2013, où siégeaient :
- M. Duchon Doris, président de chambre,
- MmeE..., première conseillère,
- MmeD..., première conseillère,
Lu en audience publique, le 11 février 2013.
La rapporteure,
M.C. D...Le président,
J. C. DUCHON DORIS
Le greffier,
P. AGRY
La République mande et ordonne au préfet de Vaucluse en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
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N° 11MA00642