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17/12/2012 | FRANCE | N°10MA02859

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 17 décembre 2012, 10MA02859


Vu, enregistrée le 23 juillet 2010, la requête présentée pour Mme Halima B, demeurant ... (13013), par Me Soumille, avocat ; Mme B demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702836 du 18 mai 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etablissement français du sang (EFS) à lui verser la somme de 250 100 euros, portant intérêts, ainsi que le coût de l'assistance d'une tierce personne, en réparation du préjudice résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C en 1986, et de " donner acte de l

'aggravation de son état de santé " ;

2°) de faire droit à sa demande ...

Vu, enregistrée le 23 juillet 2010, la requête présentée pour Mme Halima B, demeurant ... (13013), par Me Soumille, avocat ; Mme B demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702836 du 18 mai 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etablissement français du sang (EFS) à lui verser la somme de 250 100 euros, portant intérêts, ainsi que le coût de l'assistance d'une tierce personne, en réparation du préjudice résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C en 1986, et de " donner acte de l'aggravation de son état de santé " ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de condamner le défendeur à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.................................

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré le 2 mai 2011, le mémoire présenté pour l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représentée par son directeur en exercice, par Me De la Grange, qui conclut au rejet de la requête;

...........................

Vu, enregistré le 30 septembre 2011, le mémoire présenté pour l'EFS, représenté par son président en exercice, par la SELARL d'avocats Campocasso et associés, qui conclut à sa mise hors de cause, au rejet de la requête en tant qu'elle tend à la condamnation de l'EFS à indemniser le préjudice subi et, en tout état de cause, à la condamnation de la " partie succombante " aux entiers dépens ;

...........................

Vu l'ordonnance du 28 septembre 2012 fixant la clôture de l'instruction au 15 octobre 2012 ;

Vu, enregistré le 15 octobre 2012, le mémoire présenté pour l'ONIAM, représenté par son directeur en exercice, par Me De la Grange ;

Vu les pièces de procédure, desquelles il ressort que, malgré la demande qui lui a été faite le 2 juillet 2012 par le greffe de la cour, la CPAM des Bouches du Rhône n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, notamment son article 102 ;

Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, notamment son article 67 ;

Vu le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 relatif à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus d'immunodéficience humaine ou par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ainsi qu'à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de vaccinations obligatoires ;

Vu le décret n° 2010-252 du 11 mars 2010 relatif à la dotation couvrant les dépenses liées à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 novembre 2012 :

- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;

- les conclusions de Mme Fédi, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Ruimy pour Mme B et de Me Moreau du cabinet Campocasso pour l'EFS ;

1. Considérant que Mme B relève appel du jugement du 18 mai 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 250 100 euros, portant intérêts, ainsi que le coût de l'assistance d'une tierce personne, en réparation du préjudice résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C en 1986 ; que l'ONIAM, substitué à l'EFS, conclut au rejet de la requête ; que l'EFS demande sa mise hors de cause ;

Sur la personne débitrice des indemnités :

2. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du II de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, entré en vigueur à la même date que le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 pris pour son application, soit le 1er juin 2010, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est chargé " de l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang en application de l'article L. 1221-14 " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1221-14 issu du I du même article 67 de la loi du 17 décembre 2008 que la responsabilité de l'ONIAM est engagée dans les conditions prévues par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ; qu'aux termes du IV du même article 67 : " A compter de la date d'entrée en vigueur du présent article, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dans le contentieux qui opposait à la date du 1er juin 2010, Mme B et l'Établissement français du sang, l'ONIAM, qui a produit postérieurement à cette date un mémoire par lequel il faisait d'ailleurs état de cette substitution, est désormais substitué à ce dernier ;

Sur la responsabilité :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert du 13 mars 2006 désigné par le tribunal de grande instance de Marseille, que Mme B a été victime d'une hémorragie lors de son accouchement le 29 septembre 1986 à la clinique Massalia à Marseille ; que le courrier du 25 octobre 2005, joint à ce rapport, de l'obstétricien qui l'a accouchée, affirme que cette hémorragie du post partum d'origine hématique a nécessité une transfusion sanguine ; que l'enquête post transfusionnelle établit d'ailleurs la distribution de 7 concentrés globulaires au nom de Mme B le 28 septembre 1986 et le 30 septembre 1986 ; que la lettre de cet expert du 25 novembre 2005, jointe à ce rapport et adressée au président du conseil départemental de l'ordre des médecins afin de retrouver les coordonnées des médecins présents lors de cet accouchement en 1986, affirme clairement que l'anesthésiste réanimateur de la clinique a transfusé la patiente lors de cet accouchement ; que, par suite, et alors même que le dossier médical de la requérante a été perdu en raison de la disparition de la clinique Massalia, la matérialité des transfusions sanguines subies par Mme B, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges et contrairement à ce que soutient l'ONIAM, doit être regardée comme établie ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : "En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable." ;

6. Considérant que la présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressée a été exposée par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ;

7. Considérant que Mme B, qui a accouché le 28 septembre 1986 par césarienne, a reçu, à la suite de l'hémorragie susmentionnée, une transfusion sanguine, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang ; qu'elle a dû rester hospitalisée pendant 15 jours à cette clinique ; qu'elle a présenté, entre 1986 et 1995, des signes d'asthénie, de dépression, d'amaigrissement et de chute de tension ; que, le 24 avril 1996, une discrète élévation de la gamma GT a été constatée ; que, par ailleurs, depuis 2000, elle est suivie pour le virus de l'hépatite B par le service hépato-gastro-entérologie de l'hôpital Saint Joseph de Marseille, comme l'atteste la lettre de ce service du 23 mai 2006, jointe au rapport d'expertise ; que la sérologie VHC positive a été confirmée en 2001 ; qu'il résulte de l'instruction que l'enquête post transfusionnelle n 'a permis d'établir l'innocuité que de 6 produits sur les 7 qui ont été administrés à la patiente ; que l'expert indique que la contamination transfusionnelle, si elle n'est pas certaine, demeure " parfaitement possible " ; que, si l'ONIAM soutient que Mme B, qui a subi en 1965 un traumatisme abdominal et une résection de 10 centimètres de l'intestin grêle suite à un accident sur la voie publique, dont 3 des 5 accouchements en 1977, 1979 et 1980 ont nécessité une césarienne, qui a été victime en 1991 d'un autre accident sur la voie publique avec blessure de la jambe gauche et qui a du subir en 1995, une arthrodèse vertébrale, présentait des risques d'infection nosocomiale, l'office n'identifie, dans l'histoire médicale de Mme B, aucun signe clinique d'une telle infection et n'établit pas avec suffisamment de précision que sa contamination serait la conséquence d'un de ces actes ; que, si les dosages des transaminases effectués entre 1987 et 1995 n'ont révélé aucune anomalie des fonctions hépatiques sur cette période, l'expert indique que la durée d'incubation du VHC, entre 3 semaines et 3 mois, est suivie par une phase d'hépatite aiguë, qui n'a aucune traduction clinique et qui passe inaperçue et que les premiers symptômes, en particulier l'asthénie, apparaissent 10 ans, voire plus, après la contamination ; que le VHC de Mme B a été découvert en 1996, 10 ans après son accouchement ; que l'expert indique aussi que le mode de vie de Mme B ne présentait aucun facteur de risque ; que, dans ces conditions, la probabilité d'une origine transfusionnelle de la contamination au VHC est manifestement plus élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ; que, dès lors, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de l'EFS, substituée par l'ONIAM, n'était pas engagée et qu'ils ont rejeté la demande indemnitaire de Mme B ;

Sur le préjudice :

En ce qui concerne le préjudice patrimonial :

S'agissant des dépenses de santé :

8. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, malgré la demande qui lui a été faite le 2 juillet 2012 par le greffe de la Cour et malgré une clôture d'instruction fixée au 15 octobre 2012, n'a pas repris en appel ses conclusions de première instance tendant au remboursement de ses débours pour la somme de 59 401,59 euros ; que, par suite, aucune indemnité ne peut lui être allouée au titre des dépenses de santé qu'elle a engagées pour son assurée ;

S'agissant des frais liés au handicap :

9. Considérant que Mme B soutient que, du fait de son asthénie résultant de sa contamination, elle est dans l'incapacité d'accomplir des tâches ménagères et demande à ce titre l'assistance d'une tierce personne ; que, toutefois, l'expert indique dans son rapport que, si " une tierce personne paraît nécessaire si on retient les plaintes de l'intéressée ", l'état antérieur de la victime, et notamment les troubles de la statique vertébrale après l'arthrodèse vertébrale et troubles de l'humeur, en partie entretenus par l'interféron, " a une part au moins égale à celle du VHC dans les handicaps actuels allégués " ; que l'expert indique aussi qu'en 2005, son état général était correct ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que son état se soit aggravé depuis cette date ; que, dans ces conditions, Mme B, compte tenu du constat de l'expert et en l'absence de toute autre preuve produite à l'appui de ses dires, n'établit pas que son état de santé nécessitait l'assistance d'une tierce personne ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande de la requérante ;

En ce qui concerne le préjudice personnel :

10. Considérant que l'expert, eu égard à la persistance d'une cytolyse, d'une cholestase et de virémie C du fait de l'absence de traitement adapté, n'a pas fixé de date de consolidation de Mme B, qui présente une fibrose de type F3 ; que, compte tenu de son déficit fonctionnel permanent fixé à 20 %, de son déficit fonctionnel temporaire de deux jours pour réaliser une ponction hépatite et des souffrances endurées fixées par l'expert à 3 sur une échelle de 7, il y a lieu d'allouer à Mme B la somme de 33 000 euros, qui portera intérêts à compter du 29 janvier 2007, date de la notification de sa demande préalable au directeur de l'EFS ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme B est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande et à demander la condamnation de l'ONIAM, substituée à l'EFS, à lui verser la somme de 33 000 euros au titre du préjudice subi du fait de sa contamination ;

Sur les intérêts :

12. Considérant que Mme B a droit aux intérêts légaux sur la somme totale de 33 000 euros qui lui est due à compter du 29 janvier 2007, date de réception de sa demande préalable par le directeur de l'Etablissement français du sang ;

Sur les conclusions tendant à " donner acte de l'aggravation de son état de santé " :

13. Considérant qu'il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur ce type de conclusions, qui doivent être rejetées ; que, toutefois, en cas d'aggravation de son état de santé, il sera alors loisible à Mme B de solliciter, si elle s'y croit fondée, une indemnisation complémentaire du fait de cette aggravation ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à verser la somme de 2 000 euros à Mme B au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 18 mai 2010 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : L'ONIAM versera la somme de 33 000 (trente trois mille) euros à Mme B. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2007.

Article 3 : L'ONIAM versera la somme de 2 000 (deux mille) euros à Mme B au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à l'Etablissement français du sang et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Copie pour information sera adressée à l'expert.

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N° 10MA028592

MD


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA02859
Date de la décision : 17/12/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-04-02 Procédure. Instruction. Moyens d'investigation.


Composition du Tribunal
Président : M. DUCHON-DORIS
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: Mme FEDI
Avocat(s) : RUIMY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-12-17;10ma02859 ?
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