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28/06/2012 | FRANCE | N°10MA02049

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 28 juin 2012, 10MA02049


Vu l'arrêt n° 328494 du 2 juin 2010, par lequel le Conseil d'État, statuant au contentieux :

- d'une part, a annulé pour irrégularité l'arrêt n° 07MA05062 du 2 avril 2009 par lequel la cour administrative de Marseille a, à la demande du MINISTRE DE LA SANTE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS, annulé le jugement n° 0503170 du 30 octobre 2007 du tribunal administratif de Marseille et a rejeté la demande indemnitaire de Mlle B au titre du préjudice qu'elle aurait subi du fait de sa vaccination obligatoire contre l'hépatite B et les conclusions de la caisse primaire d'assurance ma

ladie des Bouches du Rhône ;

- d'autre part, a renvoyé l'affaire ...

Vu l'arrêt n° 328494 du 2 juin 2010, par lequel le Conseil d'État, statuant au contentieux :

- d'une part, a annulé pour irrégularité l'arrêt n° 07MA05062 du 2 avril 2009 par lequel la cour administrative de Marseille a, à la demande du MINISTRE DE LA SANTE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS, annulé le jugement n° 0503170 du 30 octobre 2007 du tribunal administratif de Marseille et a rejeté la demande indemnitaire de Mlle B au titre du préjudice qu'elle aurait subi du fait de sa vaccination obligatoire contre l'hépatite B et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône ;

- d'autre part, a renvoyé l'affaire à juger devant la cour ;

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille le 26 décembre 2007, sous le n° 07MA05062, réenregistrée après son renvoi par le Conseil d'État sous le n° 10MA02049, présentée par le MINISTRE DE LA SANTE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS ; le MINISTRE demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0503170 en date du 30 octobre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé la décision ministérielle du 14 mars 2005 rejetant la demande d'indemnisation de Mlle B des préjudices résultant de la sclérose en plaques qu'elle impute à la vaccination obligatoire contre l'hépatite B qu'elle a subie et, d'autre part, a condamné l'Etat à verser à Mlle B la somme de 165 000 euros en réparation de ses préjudices ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mlle B ;

.......................................................................................................................................

Vu l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959, modifiée, relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ayant été informées que le jugement paraissait susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 juin 2012 :

- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;

- les conclusions de Mme Fédi, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Raynaud-Bremond pour Mlle A et Me Lacroix substituant Me Cermolacce pour la caisse des Dépots et Consignations ;

Considérant que Mlle B a été vaccinée contre l'hépatite B dans le cadre de son activité professionnelle d'infirmière au centre hospitalier d'Aubagne ; qu'elle a reçu trois injections de ce vaccin le 12 février 1986, le 17 mars 1986 et le 18 avril 1986 ainsi qu'un rappel le 16 avril 1987 ; qu'ayant développé une sclérose en plaques postérieurement à l'injection du rappel, elle a recherché la responsabilité de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique ; que le MINISTRE DE LA SANTE, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS relève appel du jugement du 30 octobre 2007 par lequel le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé la décision du ministre du 14 mars 2005 rejetant la demande de Mlle B tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle impute à la vaccination obligatoire contre le virus de l'hépatite B qu'elle a subie et, d'autre part, a condamné l'Etat à verser à Mlle B la somme de 165 000 euros en réparation de ses préjudices ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant d'une part qu'aux termes de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique dans sa rédaction initiale qui est demeurée applicable aux demandes d'indemnisation adressées à l'Etat, comme en l'espèce, avant l'entrée en vigueur du décret du 30 décembre 2005 nécessaire à l'application des dispositions du même article dans leur rédaction issue de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 : "Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation d'un dommage imputable directement à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est supportée par l'Etat.(...) " ;

Considérant d'autre part qu'aux termes de l'article 3 de l'ordonnance susvisée du 7 janvier 1959, les agents de l'Etat ou des personnes publiques mentionnées à l'article 7 de cette ordonnance, au nombre desquelles les établissements publics hospitaliers, ou les ayants droit de ces agents, qui demandent en justice la réparation d'un préjudice qu'ils imputent à un tiers " doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci. " ; que cette obligation, dont la méconnaissance est sanctionnée par la possibilité reconnue à toute personne intéressée de demander pendant deux ans l'annulation du jugement, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif de procéder d'office, des personnes publiques susceptibles d'avoir versé ou de devoir verser des prestations à la victime ou à ses ayants-droit et d'en demander le remboursement, par subrogation dans les droits de la victime, à la personne responsable du dommage, qualité que les dispositions précitées de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique confèrent à l'Etat quand le dommage est imputable à une vaccination obligatoire ; que, devant le tribunal administratif de Marseille, Mlle B avait fait connaître sa qualité de fonctionnaire hospitalier ; qu'en ne communiquant pas sa requête à l'établissement hospitalier qui l'employait et à la caisse des dépôts et consignations, en sa qualité de gérante de la caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales à laquelle elle était affiliée, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ; que ce dernier doit, par suite, être annulé ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et, le centre hospitalier d'Aubagne et la caisse des dépôts et consignations ayant été régulièrement mis en cause devant la cour, de statuer sur la demande de Mlle B, telle que complétée en appel ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique qu'il incombe au demandeur souhaitant obtenir réparation d'un dommage sur le fondement de ces dispositions d'apporter la preuve de l'imputabilité directe de son préjudice à la vaccination obligatoire ; qu'alors même qu'un rapport d'expertise n'établirait pas de lien de causalité, la responsabilité de l'Etat peut être engagée en raison des conséquences dommageables d'injections vaccinales contre l'hépatite B réalisées dans le cadre d'une activité professionnelle eu égard, d'une part, au bref délai ayant séparé l'injection de l'apparition du premier symptôme cliniquement constaté d'une pathologie ultérieurement diagnostiquée et, d'autre part, à la bonne santé de la personne concernée et à l'absence, chez elle, de tous antécédents à cette pathologie antérieurement à sa vaccination

Considérant qu'il résulte de l'instruction que des injections ont été administrées à Mlle B les 12 février, 17 mars et 18 avril 1986 contre l'hépatite B, avec rappel le 16 avril 1987 ; que Mlle B a eu une première entorse de la cheville en janvier 1987 et a consulté un rhumatologue, le Dr Luc, le 9 avril 1987 pour une fragilité des membres inférieurs et une dysurie ; que le Dr Luc a demandé, à fin de diagnostic de ces troubles, au centre hospitalier universitaire de Marseille, une hospitalisation qui aura lieu du 19 août au 8 septembre 1987 ; que le diagnostic de la sclérose en plaques a été posé en août 1987 pour la première fois et confirmé définitivement en juin 1989 ;

Considérant que Mlle B fait valoir que le Dr Luc rhumatologue, à l'origine de cette hospitalisation, atteste le 5 novembre 2002 qu'il suivait l'intéressée depuis l'année 1985 en raison de cervicalgies, qu'il n'avait constaté cliniquement aucun symptôme de la sclérose en plaques et que les premiers signes de cette maladie sont apparus quelques mois après les injections de 1986 ; que ce praticien a réitéré le 29 juin 2009 cette attestation en indiquant que les troubles de fatigabilité anormale des membres inférieurs et des troubles mictionnels, pour lesquels il avait été consulté le 9 avril 1987, n'étaient alors évolutifs que depuis quelques mois seulement ; que Mlle B, dont la visite médicale auprès du médecin du travail n'a constaté aucun signe clinique particulier lors de sa titularisation en 1982, a pu poursuivre son activité d'infirmière, sans prendre d'arrêts de travail, entre 1983 et 1987 ; que son dossier de médecine du travail n'indique aucun symptôme invalidant avant 1987 ; que, toutefois, il résulte également de l'instruction que, lors de sa première hospitalisation susmentionnée, Mlle B a déclaré à l'équipe médicale, lors de l'anamnèse de sa maladie, qu'elle avait déjà rencontré des troubles à la marche, symptômes de la sclérose en plaque ; que l'interne du service du Pr Pouget fait état le 8 septembre 1987 d'une faiblesse progressive de la marche depuis 3 ans, soit 1984 ; que le compte rendu de cette hospitalisation fait état d'un déficit moteur depuis 2 ans soit 1985 ; que, le 2 mai 1988, le Pr Lyon-Caen, du service de neurologie de l'hôpital de la Salpêtrière à Paris, fait remonter à 1983 une réduction du périmètre de la marche et une grande fatigue ; que le compte rendu d'hospitalisation du 2 mai au 20 mai 1998 fait aussi état, le 26 mai 1988, de troubles de la marche depuis l'année 1985 et indique également des troubles de l'équilibre ; que la lettre du 11 mars 1993 du Pr Khalil, praticien du service de neurologie de l'hôpital de la Timone qui assurait le suivi médical de Mlle B, fait état d'épisodes neurologiques transitoires et d'un tableau neurologique évoluant depuis 1983 ;

Considérant d'abord que la circonstance que la date d'apparition du premier symptôme de la sclérose en plaques, à savoir les troubles de la marche, date reconnue alors par l'intéressée lors de ses interrogatoires médicaux, et qu'elle conteste désormais devant le juge, diffère selon les praticiens qui l'ont interrogée, ne saurait ôter toute force probante à ces pièces médicales, alors même que ces troubles n'auraient pas été cliniquement constatés par une consultation médicale contemporaine de leur apparition, dès lors qu'elles convergent sur le fait que de tels troubles, identiquement rapportés par ces différents praticiens, sont apparus au moins à compter de l'année 1985, antérieurement à la première injection ; que les attestations susmentionnées du Dr Luc ne peuvent par elles mêmes être regardées comme contestant de façon suffisamment convaincante les pièces médicales susmentionnées émanant de praticiens qui ont pris en charge la patiente à partir de l'été 1987 ; que, si l'expert judiciaire, le Dr Vittini neurochirurgien, désigné par ordonnance du 14 mai 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille, estime, dans son rapport du 28 mai 2003, que Mlle B n'avait manifesté aucun symptôme de sclérose en plaques avant les injections vaccinales, le rapport d'expertise du Pr Ceccaldi professeur en neurologie, réalisée dans le cadre de la procédure de règlement amiable des accidents vaccinaux, affirme, dans son rapport du 15 avril 2004, que le début des signes cliniques de la maladie neurologique est antérieur au 12 février 1986 ; que, dans ces conditions, les signes précurseurs de sclérose en plaques doivent être regardés comme s'étant déclarés antérieurement à la première vaccination sous forme de troubles de la marche ; que, dès lors, la sclérose en plaques dont est atteinte Mlle B ne peut être regardée comme résultant directement de sa vaccination en 1986 contre l'hépatite B ;

Considérant ensuite que, si l'existence d'une prédisposition génétique à une affection démyélinisante n'est pas de nature, par elle-même, à exclure l'imputabilité d'une telle affection à la vaccination contre l'hépatite B, elle ne permet pas en revanche de regarder cette imputabilité comme établie dans l'hypothèse où la survenue des premiers symptômes de l'affection ne serait pas séparée de l'injection du vaccin par un bref délai ; que Mlle B fait valoir que l'Etat, en lui imposant une vaccination obligatoire, lui a fait perdre une chance d'éviter le déclenchement de la maladie, eu égard à la prédisposition qu'elle présentait, en se fondant sur le rapport susmentionné de l'expert M. Vittini, qui affirme que " la probabilité du vaccin VHB de précipiter la sclérose en plaques sur un terrain prédisposé qui, en l'absence de facteur déclenchant, n'aurait pas développé d'affection démyélinisante est très probable dans le cas de Mlle B" ; qu'ainsi qu'il vient d'être dit, la survenue des premiers symptômes est intervenue antérieurement à la première vaccination qu'elle a reçue ; que, si cette dernière circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à sa vaccination, il résulte toutefois de l'instruction, et notamment du rapport susmentionné de l'expert judiciaire M. Ceccaldi que ces vaccinations n'ont pas entraîné, dans un bref délai après l'injection, et contrairement à d'autres cas médicaux rapportés par la littérature scientifique, une aggravation, par poussée neurologique avec signes cliniques évidents, du déficit moteur des membres inférieurs de la patiente ; qu'il en résulte que le lien de causalité entre la vaccination et l'aggravation de l'état de santé de Mlle B n'est pas établi ; qu'en outre, la responsabilité personnelle du médecin qui a pratiqué le rappel ne peut être utilement recherchée devant la juridiction administrative ;

Considérant aussi que les moyens d'ordre général de la demande, tirés d'études scientifiques et statistiques, ne sont pas à eux seuls de nature à établir ce lien de causalité propre à l'espèce ; que, par suite, les moyens tirés notamment de ce que le vaccin administré à Mlle B a été retiré du marché, de l'information selon laquelle l'aluminium présent dans le vaccin serait responsable de manifestations neurologiques, de la mention dans la notice de son vaccin de la sclérose en plaques comme effet secondaire indésirable, des statistiques de la caisse nationale d'assurance maladie, selon lesquelles un doublement du nombre de sclérose en plaques aurait été constaté depuis le début de la campagne vaccinale, doivent être rejetés ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la demande de Mlle B aux fins de voir déclarer l'Etat responsable des conséquences dommageables de sa vaccination doit être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'annulation de la décision ministérielle du 14 mars 2005 rejetant sa demande indemnitaire ; que, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'indemnisation de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône, de la caisse des dépôts et consignations et du centre hospitalier d'Aubagne doivent être rejetés ;

Sur les dépens :

Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de la requérante les frais d'expertise, taxés et liquidés par ordonnance du 23 septembre 2003 à la somme de 2 856,24 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante à l'instance, soit condamné à verser quelque somme que ce soit à Mlle B, à la caisse des dépôts et consignations et au centre hospitalier d'Aubagne au titre des frais non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 30 octobre 2007 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : La demande de Mlle B présentée devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône, de la caisse des dépôts et consignations et du centre hospitalier d'Aubagne sont rejetées.

Article 4 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 856,24 euros, sont mis à la charge de Mlle B.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des affaires sociales et de la santé, à Mlle B, à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône, à la caisse des dépôts et consignations et au centre hospitalier d'Aubagne.

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N°10MA020492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA02049
Date de la décision : 28/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-03-01 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice. Caractère direct du préjudice. Absence.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: Mme FEDI
Avocat(s) : CERMOLACCE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-06-28;10ma02049 ?
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