Vu, enregistré le 8 septembre 2009, la requête présentée pour Mme Maura A et pour son mari, M. Claudio B, de nationalité italienne, ayant élu tous deux domicile chez Maître Masliah, demeurant ...; Mme A et M. B demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0606802 du 6 mai 2009 du tribunal administratif de Nice en tant qu'il a limité l'indemnisation, par l'Etablissement français du sang (E.F.S.) de Mme A à la somme de 7 500 euros au titre de sa contamination par le virus de l'hépatite C en novembre 1985 et celle de M. B à celle de 3 000 euros au titre de la contamination de son épouse ;
2°) de condamner l'EFS Alpes-Méditerranée à verser à Mme A la somme de 20 000 euros portant intérêts au taux légal, en réparation de son préjudice patrimonial et la somme de 60 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence du fait de cette contamination ;
3°) de condamner l'EFS Alpes-Méditerranée à verser à M. B la somme de 20 000 euros portant intérêts au taux légal en réparation des différents préjudices qu'a subis son épouse du fait de cette contamination ;
4°) de mettre à la charge de l'EFS Alpes-Méditerranée la somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
5°) de mettre à la charge de l'EFS Alpes-Méditerranée les entiers dépens, y compris les frais d'expertise ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, notamment son article 102 ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, notamment son article 67 ;
Vu le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 relatif à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus d'immunodéficience humaine ou par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ainsi qu'à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de vaccinations obligatoires ;
Vu le décret n° 2010-252 du 11 mars 2010 relatif à la dotation couvrant les dépenses liées à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 juin 2012 :
- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;
- les conclusions de Mme Fédi, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Moreau du Cabinet Campocasso pour l'EFS et Me Bonnet du Cabinet de la Grange pour l'ONIAM ;
Considérant que Mme A, de nationalité italienne, a subi, lors d'une intervention chirurgicale réalisée le 20 novembre 1985 à la clinique Lutetia, désormais appelée la clinique Clinica, à Cannes une transfusion sanguine ; qu'eu égard à la détérioration de son état de santé, elle a été hospitalisée en Italie du 3 janvier 1986 au 26 janvier 1986 ; qu'un diagnostic de contamination par le virus de l'hépatite C a été posé le 25 janvier 1986 ; que, saisi par la victime, le tribunal de grande instance de Grasse, par jugement définitif du 20 avril 1999, a estimé que le centre de transfusion sanguine des Alpes Maritimes était responsable de la contamination, lors de cette transfusion, de Mme BIANCHI GENESA par le virus VHC et a condamné ce centre de transfusion à verser à la requérante la somme de 300 000 francs à titre de réparation de l'ensemble des préjudices subis du fait de cette contamination ; que, l'état de santé de la victime continuant à se dégrader, un autre expert a été désigné à sa demande par ordonnance du 17 septembre 2004 du juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille ; que cet expert, dans son rapport du 28 février 2005, mentionnait que la victime avait subi de nouveaux dommages depuis le jugement susmentionné du 20 avril 1999 ; que la requérante a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'EFS à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation de ces nouveaux préjudices ; que M. B a demandé la somme de 20 000 euros à titre de réparation des préjudices résultant de la contamination de son épouse ; que, par le jugement attaqué du 6 mai 2009, le tribunal administratif a condamné l'EFS à verser à Mme A la somme de 7 500 euros et à M. B la somme de 3 000 euros au titre des préjudices subis du fait de l'aggravation des effets de cette contamination ; qu'en appel, Mme A demande que sa réparation soit portée à la somme totale de 80 000 euros portant intérêts au taux légal et M. B qu'elle soit portée à 20 000 euros ; que l'ONIAM, substituée à l'EFS, ne conteste pas sa responsabilité du fait de cette contamination et demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a fixé l'indemnité due à Mme A à la somme de 7 500 euros, qu'il estime excessive, et le rejet des autres conclusions des requérants ; que l'EFS demande sa mise hors de cause ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que, lorsque la victime d'un accident saisit la juridiction administrative pour obtenir réparation du préjudice subi en faisant état de son affiliation à une caisse de sécurité sociale, il incombe à la juridiction saisie de mettre en cause la caisse dans l'instance, que celle-ci soit au nombre des caisses mentionnées à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ou qu'elle ait son siège à l'étranger ; que, dans cette seconde hypothèse, il incombe d'abord au juge de vérifier s'il existe une convention internationale de sécurité sociale entre la France et l'Etat du siège de la caisse comportant des règles sur la subrogation des caisses dans les droits des personnes qui y sont affiliées ; qu'à défaut, il lui incombe d'inviter la caisse à lui indiquer si la loi de l'Etat dans lequel elle a son siège prévoit une telle subrogation et à lui fournir tous les éléments de droit relatifs à cette subrogation, avec leur traduction ; qu'il lui appartient alors de tirer les conséquences des éléments fournis ou, le cas échéant, de l'absence de réponse de la caisse, pour apprécier les droits de cette dernière à être subrogée dans les droits de la victime ; que, devant le tribunal administratif de Nice, Mme A avait fait connaître son affiliation à une caisse de sécurité sociale italienne ; qu'en ne communiquant pas sa requête à cette caisse, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité ; que ce dernier doit, par suite, être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et, les organismes de sécurité sociale italiens cités par la requérante ayant été régulièrement mise en cause devant la cour, de statuer sur la demande de Mme A ;
Sur la personne débitrice des indemnités :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du II de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, entré en vigueur à la même date que le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 pris pour son application, soit le 1er juin 2010, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est chargé " de l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang en application de l'article L. 1221-14 " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1221-14 dudit code issu du I du même article 67 de la loi du 17 décembre 2008 que la responsabilité de l'ONIAM est engagée dans les conditions prévues par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ; qu'aux termes du IV du même article 67 : " A compter de la date d'entrée en vigueur du présent article, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dans le contentieux qui opposait à la date du 1er juin 2010, Mme A et l'Établissement français du sang, l'ONIAM, qui a produit postérieurement à cette date un mémoire par lequel il faisait d'ailleurs état de cette substitution, est désormais substitué à ce dernier ;
Sur l'évaluation du préjudice:
En ce qui concerne la victime directe :
S'agissant du préjudice patrimonial :
Considérant qu'il résulte du rapport du 28 février 2005 de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille que, si l'incapacité temporaire totale de la requérante résultant de sa contamination, fixée par l'expertise de mars 1996, à un mois, du 24 décembre 1985 au 25 janvier 1986 n'a pas été modifiée par cette seconde expertise en 2005, en revanche, la période de déficit fonctionnel temporaire, évaluée à 50 %, a été prolongée de 8 mois supplémentaires, en 1997-1998 et de juillet 2002 à décembre 2002, correspondant à des arrêts de travail itératifs en raison d'un traitement thérapeutique pénible suivi par la victime ; que toutefois, la requérante n'établit pas plus en appel qu'en première instance, avoir subi une perte de revenus pendant cette période supplémentaire d'incapacité ; que, si Mme A fait aussi valoir qu'elle a été contrainte de cesser son activité professionnelle d'enseignante eu égard à son asthénie chronique, en se prévalant du rapport de l'expert mentionnant son abstentionnisme répété à son travail du fait de sa maladie, elle n'apporte aucun élément permettant au juge d'apprécier le bien fondé de sa demande ; qu'ainsi, il y a lieu d'écarter la réparation demandée au titre du poste de préjudice lié à la perte de revenus ;
Considérant que les frais et dépens qu'a supporté une personne en raison d'une instance dans laquelle elle était partie, sont au nombre des préjudices dont elle peut obtenir réparation, devant le juge, de la part de l'auteur du dommage, lorsque l'expertise judiciaire diligentée par la victime a été utile, comme en l'espèce, pour déterminer les causes et le montant du préjudice ; que, toutefois, si Mme A soutient avoir versé la somme de 1 000 euros de frais pour les expertises rendues par l'expert désigné par le tribunal de grande instance de Grasse en 1996, puis par le tribunal de grande instance de Marseille en 2005, elle n'établit ni ce montant, ni avoir versé cette somme ; que ce chef de préjudice matériel doit être rejeté ;
S'agissant du préjudice personnel :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport susmentionné de l'expert du 28 février 2005, que depuis la première expertise réalisée en mars 1996 et le jugement définitif du tribunal de grande instance de Grasse du 20 avril 1999, condamnant le centre de transfusion sanguine des Alpes Maritimes à verser à la victime une somme de 300 000 francs, soit 45 800 euros environ, au titre de sa contamination post transfusionnelle au VHC, l'état de Mme A n'est pas consolidé en raison de l'évolution potentielle de sa maladie ; que, si son état de santé ne s'est pas aggravé depuis la première expertise, la requérante est en situation d'échec thérapeutique à défaut de traitement mettant fin à sa contamination ; que son déficit fonctionnel temporaire total d'un mois, pour la période du 24 décembre 1985 au 25 janvier 1986, déjà indemnisé, ne s'est pas aggravé ; qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, son déficit fonctionnel temporaire, évalué à 50 %, a été prolongé de 8 mois supplémentaires, en 1997-1998 et de juillet 2002 à décembre 2002 ; que son pretium doloris , fixé à 3 sur une échelle de 7 en 1996, a été évalué par l'expert en 2005 à 3,5 sur cette échelle ; que son préjudice d'agrément, qui n'est pas mentionné par l'expert, et qui est caractérisé, selon la requérante, notamment par de l'asthénie, des douleurs et autres désagréments, font l'objet d'une réparation au titre des troubles de toute nature dans les conditions d'existence et des souffrances endurées ; que le préjudice sexuel et de procréation n'est pas établi ; qu'il y a lieu de fixer à 7 500 euros la réparation de l'ensemble des troubles de toute nature dans les conditions d'existence de la requérante, en raison de la maladie et des traitements qu'elle a subis depuis 1996, des craintes légitimes qu'elle peut entretenir quant à l'évolution de son état de santé, ainsi que des souffrances endurées ;
Considérant toutefois qu'il faut déduire de cette somme la provision d'un montant de 3000 euros au versement de laquelle l'Etablissement français du sang a été condamné par une ordonnance du 24 octobre 2004 du juge du tribunal de grande instance de Marseille, Mme A ne contestant pas avoir perçu cette somme ;
Considérant qu'après déduction du montant de cette réparation déjà accordée, l'indemnité due par l'office du fait de la contamination de Mme A est de 4500 euros ;
En ce qui concerne la victime indirecte :
Considérant que, si M. B soutient que la maladie de sa femme l'a contraint à renoncer à une carrière prometteuse dans le journalisme pour prendre soin d'elle, il n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité d'une perte de salaire depuis la contamination de son épouse ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, le préjudice moral de M. B, dont il ressort des pièces du dossier qu'il est l'époux de la requérante, consécutif à la contamination de son épouse par le virus de l'hépatite C sera justement indemnisé en lui allouant la somme de 6 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ONIAM, substitué à l'Etablissement français du sang, doit verser à Mme A la somme de 4 500 euros et à M. B celle de 6 000 euros, au titre des préjudices subis ; que les requérants ont droit aux intérêts aux taux légal sur ces deux sommes à compter de la date d'enregistrement de leur demande devant le tribunal administratif de Nice le 21 décembre 2006 ;
Sur les dépens :
Considérant que la présente affaire ne comporte aucun dépens au sens de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ; que les conclusions tendant à la prise en charge par l'Etablissement français du sang des dépens doivent être rejetées ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge d'une partie une quelconque somme à verser à l'autre au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 6 mai 2009 du tribunal administratif de Nice est annulé .
Article 2 : L'ONIAM, substitué à l'Établissement français du sang, versera la somme de 4 500 euros à Mme A et la somme de 6 000 euros à M. B. Ces deux sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 21 décembre 2006.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A et de M. B et les conclusions de l'ONIAM sont rejetés.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié à Mme A , à M. B, à l'ONIAM et à l'Etablissement français du sang, à Assistenza Sanitaria et à la Direzione Generale Sicurezza Sociale.
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N°09MA3432 2