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28/06/2012 | FRANCE | N°09MA02209

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 28 juin 2012, 09MA02209


Vu la requête, enregistrée le 23 juin 2009, présentée pour M. Vincent A demeurant ..., par Me Lescudier ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0606858 en date du 14 avril 2009 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etablissement français du sang (EFS) ainsi que sa compagnie d'assurance, la société Axa Assurances, à lui verser une provision de 10 000 euros sur le montant ultérieurement fixé de son préjudice corporel ainsi qu'une somme de 200 000 euros en réparation de son préjudice

spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C qu'il impute a...

Vu la requête, enregistrée le 23 juin 2009, présentée pour M. Vincent A demeurant ..., par Me Lescudier ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0606858 en date du 14 avril 2009 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etablissement français du sang (EFS) ainsi que sa compagnie d'assurance, la société Axa Assurances, à lui verser une provision de 10 000 euros sur le montant ultérieurement fixé de son préjudice corporel ainsi qu'une somme de 200 000 euros en réparation de son préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C qu'il impute aux transfusions qui lui ont été administrées de 1981 à 1987 et à la désignation d'un expert médical ;

2°) de condamner l'EFS à lui verser une provision de 10 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice ainsi que la somme de 200 000 euros en réparation du préjudice spécifique de contamination et de désigner un expert médical aux fins de chiffrer ses différents postes de préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'EFS la somme de 5 000 euros au titre des frais d'instance ;

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Vu le jugement attaqué ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 juin 2012,

- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteure ;

- les conclusions de Mme Fedi, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Meyer du Cabinet Lescudier pour M. A, de Me Moreau du Cabinet Campocasso pour l'Etablissement français du sang et de Me Bonnet du Cabinet de la Grange pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;

Considérant que M. Vincent A relève appel du jugement du 14 avril 2009 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etablissement français du sang (EFS) et de sa compagnie d'assurance, la société Axa Assurances, à lui verser une provision de 10 000 euros à valoir sur son entier préjudice corporel ainsi qu'une somme de 200 000 euros en réparation de son préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C qu'il impute aux transfusions qui lui ont été administrées entre 1981 et 1987 et à la désignation d'un expert médical ; qu'en appel, et dans le dernier état de ses écritures, M. A dirige ses conclusions contre l'EFS et contre l'ONIAM ;

Sur l'origine de la contamination :

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ;

Considérant que la présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, né le 2 janvier 1981, en raison de la maladie génétique de Cooley dont il était atteint, a été régulièrement transfusé à l'hôpital de la Timone entre le 6 octobre 1981 et le 6 janvier 1987 à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C ; que, notamment, l'innocuité des 24 lots d'hématies congelées administrés à M. A entre le 6 octobre 1981 et le 9 décembre 1982 n'a pu être démontrée en l'absence d'archives permettant de retrouver les donneurs pour cette période ;

Considérant que, contrairement à ce que soutient l'ONIAM, l'hépatite C dont est porteur M. A n'a pas été diagnostiquée le 25 mars 1996 dès lors qu'il résulte de l'instruction que " l'anticorps anti-hépatite C " était déjà positif lors d'une ponction biopsie effectuée le 22 février 1996 et que le praticien qui assurait le suivi médical de l'intéressé mentionnait dans un courrier du 18 juin 1993 que celui-ci était atteint, à cette date, d'une hépatite C et qu'il était envisagé, en l'absence notable d'amélioration de son bilan hépatique, l'administration d'un traitement par Interféron Alpha ; qu'il résulte, par ailleurs, d'un courrier daté du 29 août 1989 rédigé par l'un des autres praticiens qui assurait le suivi médical de M. A, que ce dernier présentait déjà en avril 1989 une hépatite et que l'expert nommé par le tribunal de grande instance de Marseille a mentionné dans son rapport qu'à compter du mois d'octobre 1983, soit deux ans après le début des premières transfusions qui lui ont été administrées de manière régulière pendant plusieurs années, le taux de transaminases de l'intéressé n'a plus jamais été normal ; qu'enfin, si l'expert judiciaire, a précisé que " l'atteinte hépatique de M. A peut être d'origine mixte, virale mais également en relation avec sa thalassémie ", il résulte également de ce rapport d'expertise, non contesté sur ce point par l'ONIAM, qu'une enquête réalisée au cours de la période du 1er janvier au 31 mars 2002 par le Direction des Hôpitaux dans 93 de ses services que, sur 1 532 patients présentant une hépatite C chronique, 39 % d'entre eux avaient été contaminés par voie de toxicomanie intraveineuse, 30 % à la suite de transfusions de produits sanguins, 3 % à la suite d'une infection nosocomiale, 1 % à la suite d'une exposition professionnelle, 1 % par son entourage proche et les 6 % pour d'autres raisons ;

Considérant que la double circonstance que l'expert a estimé que M. A est porteur d'une hépatite C de " diagnostic difficile " avec un test " non A et non B " qui s'est révélé négatif en 1989 et que l'intéressé a bénéficié d'une greffe de moelle osseuse en 1987 et subi une appendicectomie en 1993 l'ayant exposé à d'autres facteurs de risques n'est pas de nature à démontrer que la cause d'une origine étrangère aux nombreuses transfusions effectuées à l'hôpital de la Timone est manifestement plus vraisemblable que l'origine transfusionnelle de sa contamination dans la mesure où l'homme de l'art, spécialisé en hématologie, a relevé, ainsi qu'il a été dit ci-dessus et sans être contredit sur ce point, qu'à compter du mois d'octobre 1983, le taux de transaminases de l'intéressé, alors âgé d'à peine trois ans, n'a plus jamais été normal et que le lien entre lesdites transfusions et l'hépatite C de génotype 1b de M. A était " possible " eu égard au nombre de donneurs non contrôlables ; que celui-ci doit, en conséquence et au vu de l'ensemble des éléments ci-dessus rappelés, être regardé comme établi ; que M. A est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à être réparé des conséquences résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

Sur la personne débitrice des indemnités :

En ce qui concerne le transfert à l'ONIAM des obligations de l'Etablissement français du sang :

Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du II de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, entré en vigueur à la même date que le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 pris pour son application, soit le 1er juin 2010, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) est chargé " de l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang en application de l'article L. 1221-14 " ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1221-14 issu du I du même article 67 de la loi du 17 décembre 2008 que la responsabilité de l'ONIAM est engagée dans les conditions prévues par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ; qu'aux termes du IV du même article 67 : " A compter de la date d'entrée en vigueur du présent article, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, dans le contentieux qui opposait à la date du 1er juin 2010, d'une part, M. A et la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et, d'autre part, l'Etablissement français du sang, l'ONIAM, qui a produit postérieurement à cette date un mémoire par lequel il informe la cour de son intervention volontaire en application de l'entrée en vigueur desdites dispositions, est désormais substitué à l'Etablissement français du sang ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône sollicite la somme de 980,59 euros au titre des dépenses de santé exposées pour le compte de son assuré, M. A, pour la période du 22 au 23 février 1996 ; que toutefois, il résulte du rapport de l'expertise judiciaire que cette période correspond au " bilan systématique dix ans post greffe " ; qu'ainsi, la somme demandée, dépourvue de lien avec la contamination par le virus de l'hépatite C post transfusionnelle, ne peut qu'être rejetée ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. A, à qui aucun traitement antiviral n'a été prescrit, ait conservé à sa charge des frais de nature patrimoniale qui seraient liés à sa contamination ; qu'il n'allègue pas, en outre, avoir subi une quelconque perte de revenus en lien avec sa virémie et n'invoque aucune incidence professionnelle ou scolaire ;

En ce qui concerne les préjudices personnels :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que M. A est porteur du virus de l'hépatite C mais qu'il n'a subi aucune incapacité temporaire en relation avec sa contamination, n'a fait l'objet d'aucun traitement antiviral à raison de sa positivité à ce virus et ne souffre d'aucune incapacité permanente partielle ; qu'en 1996 et 1997, le bilan hépatique de M. A était normal et qu'en 2001, les aspects histologiques militaient en faveur d'une hépatite C chronique de score 4 de Knodell et de score Métavir A1.F2 ; que le fibrotest réalisé en 2003 a montré une activité A0 et une fibrose F0 ; que M. A fait valoir, dans ses écritures, la stabilisation de son état depuis 2009 ; que, dans ces conditions, et sans qu'il soit utile de procéder à l'expertise sollicitée par M. A, il sera fait une juste appréciation de l'asthénie dont il a souffert ainsi que des troubles dans les conditions d'existence, y compris l'anxiété spécifique ressentie, induits par la découverte de sa contamination par le virus de l'hépatite C, eu égard à son âge, en les fixant à la somme de 10 000 euros ; que, toutefois, en cas d'aggravation de son état de santé, il lui sera alors loisible de solliciter, s'il s'y croit fondé, une indemnisation complémentaire ;

Sur les frais d'expertise et dépens :

Considérant que M. A demande le remboursement des frais de l'expertise médicale ordonnée en référé par le tribunal de grande instance de Marseille et des dépens de la procédure de référé devant ce même tribunal ; que, toutefois, il ne justifie ni du montant, ni du paiement de ces frais par la seule production de l'ordonnance du 27 février 2002 du président du tribunal de grande instance de Marseille, statuant en référé, lui demandant de consigner au greffe de ce tribunal dans les trois mois de la date de l'ordonnance la somme de 609,80 euros à titre de provision sur les honoraires d'expert ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0606858 du 14 avril 2009 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à M. A la somme de 10 000 euros.

Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à M. A la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la demande de M. A et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Vincent A, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à l'Etablissement français du sang, à la compagnie AXA Assurances et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

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N°09MA02209


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09MA02209
Date de la décision : 28/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Problèmes d'imputabilité.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Absence ou existence du préjudice.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Troubles dans les conditions d'existence - Troubles dans les conditions d'existence subis par la victime d'un accident.


Composition du Tribunal
Président : M. BENOIT
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: Mme FEDI
Avocat(s) : W., J.-L. et R. LESCUDIER - AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-06-28;09ma02209 ?
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