Vu la requête, enregistrée le 08 septembre 2010 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, sous le n° 10MA03552, pour Mme Marie-Josée A, demeurant au ..., par la SELARL d'avocats Adden ;
Mme Marie-Josée A demande à la cour :
1°) d'annuler les jugements n° 0608061 des 2 juillet 2009 et 7 juillet 2010, rectifiés par une ordonnance du 29 juillet 2010, par lesquels le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à lui verser la somme de 569 415 euros, qu'elle estime insuffisante, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er août 2006 au titre de la réparation de la perte de bénéfices résultant du refus illégal d'ouvrir une officine de pharmacie qui lui a été opposé le 27 février 1998 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 175 000 euros au titre de la perte patrimoniale et la somme de 933 185,60 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis autres que la perte patrimoniale, du fait de la faute commise par le préfet en refusant illégalement, par arrêté du 27 février 1998, de lui délivrer une licence d'officine de pharmacie ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 avril 2012 :
- le rapport de Mlle Josset, premier conseiller,
- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Giudicelli substituant la SELARL d'avocats Adden, pour Mme A ;
Considérant que, par décision en date du 4 avril 2003, confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 6 juillet 2004, le tribunal administratif de Marseille a annulé les arrêtés du 24 décembre 1997, autorisant le transfert demandé par M. B, du 27 février 1998 refusant la création de pharmacie demandée par Mme A sur le territoire de la commune du Rove, au motif, notamment, que la demande de transfert était prioritaire, et du 5 mars 1999 autorisant M. B a transférer son officine dans cette commune ; que, par une lettre en date du 30 juillet 2006, Mme A a demandé au préfet des Bouches-du-Rhône réparation des préjudices résultant de la décision illégale du 27 février 1998 pour un montant de 2 110 000 euros ; que par jugement du 2 juillet 2009, le tribunal administratif de Marseille a considéré que la perte patrimoniale dont Mme A demandait réparation était sans lien direct avec la décision illégale du préfet des Bouches-du-Rhône du 27 février 1998 et a ordonné avant dire droit une expertise aux fins de déterminer la perte de revenus engendrée par cette même décision illégale ; que, par jugement du 7 juillet 2010, ce même tribunal a condamné l'Etat à verser une somme de 569 415 euros correspondant à la perte de revenus subie pour la période du 1er juillet 1998 au 14 août 2003 ; que Mme A fait appel de ces deux jugements ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant que par arrêtés en date des 24 décembre 1997 et 27 février 1998, le préfet des Bouches-du-Rhône a, respectivement, autorisé le transfert d'une officine de pharmacie sur le territoire de la commune du Rove demandé par M. B et rejeté la demande de Mme A tendant à l'octroi d'une licence pour l'exploitation d'une officine de pharmacie sur le territoire de cette commune ; que ces arrêtés ont été annulés aux motifs, d'une part, que la demande de Mme A, initialement formée en 1989, était prioritaire par rapport à la demande postérieure de transfert de pharmacie formée par M. B et, d'autre part, qu'il n'est pas établi, compte tenu de l'appréciation alors portée sur les besoins de la population, que le préfet des Bouches-du-Rhône aurait rejeté la demande de Mme A s'il n'avait pas tenu compte de la demande de M. B ; qu'ainsi la décision illégale du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 27 février 1998 a illégalement privé Mme A de son droit à ouvrir une officine de pharmacie sur le territoire de la commune du Rove ; que, par suite, elle est fondée à demander réparation des préjudices directs et certains qui en résultent ;
Sur les préjudices :
Considérant que l'indemnité susceptible d'être allouée à la victime d'un dommage causé par la faute de l'administration a pour vocation de replacer la victime, autant que faire se peut, dans la situation qui aurait été la sienne, si le dommage ne s'était pas produit, c'est-à-dire, lorsque la faute résulte d'une décision illégale, si celle-ci n'était jamais intervenue ;
En ce qui concerne le préjudice né de la perte du fonds de commerce :
Sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'administration ;
Considérant que Mme A demande à être indemnisée, à hauteur de 1 175 000 euros de la perte de valeur du fonds de commerce dont elle serait actuellement propriétaire si une autorisation d'ouverture d'une officine de pharmacie lui avait été accordée ; que toutefois, un tel préjudice ne présente qu'un caractère éventuel dès lors que la réalisation d'une plus-value serait subordonnée aux conditions dans lesquelles interviendrait la revente de ladite officine ; que, par suite, cette demande doit être écartée ;
En ce qui concerne la perte de bénéfice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A a sollicité un devis qui a été établi le 22 avril 1998 en vue de réaliser des travaux dans le local où devait s'installer l'officine, pour un montant de 69 867,38 euros dont 28 443,94 euros de mobiliers ; que, dans ces conditions, et compte tenu de l'importance des travaux à réaliser dans ledit local et du mobilier nécessaire à l'exercice de l'activité, il y a lieu d'estimer que le début d'exploitation n'aurait pas pu intervenir avant un délai de 10 semaines à compter de la signature du devis, soit au plus tôt le 1er juillet 1998 ; qu'ainsi, la période d'indemnisation court à compter du 1er juillet 1998 au 14 août 2003, date de la nouvelle décision du préfet des Bouches-du-Rhône lui opposant un nouveau refus à sa demande dont la légalité a été confirmée en dernier lieu par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 24 septembre 2008 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que l'évaluation des frais de personnel tient compte des coûts salariaux sur la base de coefficient minimum par catégorie de personnel et que les effectifs ont été calculés en tenant compte de l'évaluation du chiffre d'affaires et d'une ouverture de l'officine 6 jours sur 7 et correspond au ratio chiffre d'affaires sur effectifs conforme aux pratiques de la profession ; que, si l'intéressée fait valoir qu'elle n'aurait pas engagé un préparateur, comme le prévoit l'expert dans son rapport, il est constant que l'étude réalisée à sa demande par le cabinet Safidex faisait état de l'embauche d'un tel salarié ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et comme l'a d'ailleurs admis l'expert, que le chiffre d'affaires à retenir pour la période courant du 1er janvier 2003 au 14 août 2003 s'élève à la somme de 889 357 euros et non à celle de 764 116 euros retenue par erreur ; que, par suite et comme le demande Mme A en appel la somme fixée par l'expert doit être majorée de la somme de 21 949 euros compte tenu de l'incidence des coûts des cotisations sur la marge supplémentaire de bénéfice et non de 12 061 euros comme demandée en première instance ; qu'ainsi il y a lieu de majorer le bénéfice initialement retenu de 569 415 euros de 9 888 euros ;
Sur l'indemnisation des dépenses engagées pour assurer sa défense :
Considérant que Mme A sollicite le remboursement du coût de prestations de conseil à laquelle elle a eu recours antérieurement et postérieurement aux opérations d'expertise mandatées par le tribunal dans son jugement en date du 2 juillet 2009 ; que les frais d'étude et de conseil qu'elle a dû exposer pour évaluer le préjudice subi ne sont pas distincts de ceux que les sommes demandées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ont vocation à compenser ; que dès lors, Mme A n 'est pas fondée à demander réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à ces différents titres ;
Sur les autres préjudices :
Considérant que la personne qui a demandé la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge de première instance, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état dans le délai de recours contentieux, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée dans ledit délai, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement à ce délai , sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle ; que ces mêmes règles sont applicables lorsque le tribunal a statué par un jugement avant dire droit ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A a saisi le tribunal d'une demande tendant au versement d'une indemnité globale de 2 060 000 euros ; qu'à la suite du jugement avant dire droit, elle a sollicité après avoir réduit sa demande de 300 000 euros en ce qui concerne la réparation de la perte de revenus, la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 67 581 euros au titre de la perte des droits à la retraite et 15 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ; qu'en rejetant ces demandes, alors qu'elle se rattachaient aux conséquences dommageables du fait générateur invoqué dans la demande initiale devant le tribunal, qu'elles demeuraient dans la limite de l'indemnité globale chiffrée devant lui et que le montant du préjudice indemnisable n'avait pas été définitivement tranché par le jugement avant dire droit, le tribunal a commis une erreur de droit ; que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté les conclusions tendant à l'indemnisation de ces deux chefs de préjudice ;
En ce qui concerne la perte des droits à retraite :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 642-1 du code de la sécurité sociale que toute personne exerçant une activité professionnelle de pharmacien est tenue de s'affilier au régime d'assurance vieillesse des professions libérales ; que le défaut de versement de cotisations à ce régime par Mme A durant la période considérée résulte directement du refus illégal d'ouvrir une officine qui a été opposé par l'Etat à l'intéressée ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert et comme le fait à bon droit valoir Mme A, que le préjudice résultant du manque à gagner subi pendant la période considérée par l'intéressée, a été évalué en se fondant sur le bénéfice net de l'officine, après déduction des cotisations sociales obligatoires, replaçant ainsi implicitement la requérante dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si elle avait pu verser lesdites cotisations ; que, dans ces conditions, la perte de droits à la retraite résulte directement de l'illégalité du refus d'ouvrir une pharmacie ; qu'il sera fait une juste appréciation de la perte des droits à la retraite subie par Mme A durant la période courant du 1er juillet 1998 au 14 août 2003 en l'évaluant, compte tenu des documents produits par la caisse des pharmaciens à la somme, non contestée par l'administration de 67 581 euros ;
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des troubles apportées dans les conditions d'existence de Mme A en lui allouant une somme de 10 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est seulement fondée à demander à ce que la somme à laquelle l'Etat a été condamnée soit portée de 569 415 euros à 656 884 euros ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme A et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les sommes que l'Etat a été condamné à verser à Mme A par le jugement susvisé du tribunal administratif de Marseille du 7 juillet 2010 sont portées, au principal, de 569 415 euros à 656 884 euros.
Article 2 : Le jugement susvisé est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Marie-Josée A et au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
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