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26/03/2012 | FRANCE | N°09MA01425

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 26 mars 2012, 09MA01425


Vu la requête, enregistrée le 22 avril 2009, présentée pour la SARL HEELCAR, prise en la personne de son gérant, dont le siège est au 1 rue Substantion à Montpellier (34000), par la SCP Trias - Verine - Vidal - Gardier-Leonil - Royer ;

la SARL HEELCAR demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0705211 du 6 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la communauté d'agglomération de Montpellier, de la commune de Montpellier et de la société transports de l'agglomération de Mont

pellier (TAM) à lui verser les sommes de 741 281 euros au titre du préjudice ...

Vu la requête, enregistrée le 22 avril 2009, présentée pour la SARL HEELCAR, prise en la personne de son gérant, dont le siège est au 1 rue Substantion à Montpellier (34000), par la SCP Trias - Verine - Vidal - Gardier-Leonil - Royer ;

la SARL HEELCAR demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0705211 du 6 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la communauté d'agglomération de Montpellier, de la commune de Montpellier et de la société transports de l'agglomération de Montpellier (TAM) à lui verser les sommes de 741 281 euros au titre du préjudice commercial résultant pour elle des travaux de réalisation de la deuxième ligne du tramway et de 1 000 000 euros au titre de la cessation définitive d'activité ;

2°) d'ordonner, avant dire droit, la désignation d'un expert aux fins d'indiquer si les travaux de réalisation de la deuxième ligne du tramway ont généré une baisse d'activité, dans quelle proportion et sur quelle période ; de dire si le passage de cette ligne nuit de manière définitive à son activité et, le cas échéant d'évaluer son préjudice, et d'évaluer le coût des mesures qui, si elles existent, sont susceptibles de mettre fin à son préjudice, en évacuant le coût de la réalisation de travaux qui permettraient d'accéder au garage par la rue Proudhon ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge solidaire des collectivités et de la société intimées la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

..................................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 février 2012 :

- le rapport de Mme Menasseyre, rapporteure,

- les conclusions de Mme Fedi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lecard pour la communauté d'agglomération de Montpellier, la commune de Montpellier et la société transports de l'agglomération de Montpellier ;

Considérant que la SARL HEELCAR exploite un commerce de vente de véhicules neufs et d'occasion et de réparation de véhicules automobiles sous l'enseigne Renault, situé au 1 rue de Substantion, à Montpellier ; qu'estimant subir un préjudice lié aux travaux de réalisation de la deuxième ligne de tramway de Montpellier, elle a sollicité une indemnisation auprès de la commission instaurée par la communauté d'agglomération de Montpellier, par délibération du 26 novembre 2003, aux fins d'indemniser les professionnels riverains de la seconde ligne du tramway ; qu'elle a reçu de cette commission une première allocation provisionnelle de 32 500 euros, au titre des préjudices supportés au cours de la période de janvier à octobre 2005, et une seconde allocation provisionnelle de 6 451 euros pour la période de septembre 2005 à avril 2006 ; que le 28 juin 2007, la commission d'indemnisation amiable a refusé de lui allouer une nouvelle indemnisation au titre de la période comprise entre mai et novembre 2006, estimant que la société n'avait pas subi de perte de marge au titre de cette période ; que la société relève appel du jugement du 6 février 2009 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la communauté d'agglomération de Montpellier de la société d'économie mixte Transports de l'Agglomération de Montpellier et de la commune de Montpellier à lui verser la somme de 1 741 281 euros en réparation de ses préjudices ;

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

Considérant que le jugement contesté a été notifié à la société appelante le 24 février 2009 ; qu'ainsi sa requête d'appel, enregistrée le 22 avril 2009, n'est pas tardive ;

Sur la détermination des personnes publiques responsables :

Considérant qu'il ressort des écritures d'appel de la société appelante, qui se réfère en page 4 de sa requête d'appel à une " responsabilité sans faute pour dommages temporaires " et en page 5 de sa requête à une " responsabilité sans faute pour dommages permanents " que la société a entendu renoncer à invoquer une quelconque faute des parties intimées pour obtenir réparation de ses préjudices, et a entendu désormais rechercher leur responsabilité sur le seul terrain des dommages de travaux publics ; que la commune de Montpellier n'a pris aucune part auxdits travaux, et n'est pas maître d'ouvrage, ce qui n'est pas contesté par la société appelante, qui persiste à rechercher la responsabilité de la commune sans critiquer la motivation du jugement rejetant cette partie de ses conclusions comme mal dirigées ; qu'ainsi c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la responsabilité de la commune de Montpellier n'était pas susceptible d'être engagée dans le cadre du régime de responsabilité pour dommages de travaux publics ;

Considérant en revanche qu'en cas de dommage accidentel causé à des tiers par un ouvrage public, la victime peut en demander réparation, même en l'absence de faute, aussi bien au maître de l'ouvrage, au maître de l'ouvrage délégué, à l'entrepreneur ou au maître d'oeuvre ; que c'est donc à tort que le tribunal a jugé que, en tant qu'elles tendaient à la réparation des préjudices liés au déroulement des travaux, les conclusions présentées par la société tendant à la condamnation de la SAEML TAM, maître d'ouvrage délégué, sur le fondement d'un dommage de travaux publics, étaient mal dirigées ;

Considérant enfin qu'en cas de délégation limitée à la seule exploitation de l'ouvrage, si la responsabilité résultant de dommages imputables à l'existence, à la nature et au dimensionnement de l'ouvrage appartient à la personne publique délégante, la responsabilité des dommages imputables à son fonctionnement relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires ; qu'il en résulte que les conclusions de la société tendant à la réparation des préjudices qualifiés de permanents, qui sont liés tant à l'existence qu'au fonctionnement, depuis sa mise en service, de la deuxième ligne de tramway, peuvent valablement être dirigées tant contre la communauté d'agglomération de Montpellier, que contre la SAEML TAM, la responsabilité de cette dernière, exploitant de la deuxième ligne du tramway dans le cadre d'une délégation de service public pouvant être recherchée sur ce terrain ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir d'une part le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général ;

En ce qui concerne le préjudice résultant de la gêne provoquée par les travaux :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'accès au garage exploité par la société requérante a été rendu impossible en raison d'une part de l'interdiction de circulation édictée par arrêté municipal du 8 août 2005, et d'autre part du déroulement du chantier au droit du garage entre le mois d'août et le mois d'octobre 2005, puis, ponctuellement, en raison du déroulement du chantier, au cours du premiers semestre de l'année 2006 ; qu'une telle impossibilité d'accès a engendré pour la société un préjudice anormal et spécial de nature à engager la responsabilité de la communauté d'agglomération ; qu'il résulte également de l'instruction que les travaux se sont déroulés à proximité immédiate du garage au cours de la période comprise entre le mois de janvier 2005 et l'automne 2006 ; que dans cette zone étroite, où aucune voie de circulation n'a pu être maintenue, l'accès au garage des clients et des fournisseurs nécessairement motorisés compte tenu de l'activité en cause a été, durant cette période, rendu très difficile ; que dans les circonstances de l'espèce, la SARL HEELCAR doit être regardée comme établissant que le déroulement des travaux en cause a été pour elle à l'origine d'un préjudice anormal et spécial de nature à lui ouvrir droit à réparation ; qu'en revanche, la société n'est pas fondée à soutenir que les préjudices liés à l'opération de travaux en cause auraient débuté dès l'année 2002 ; que l'éventuelle contraction de son chiffre d'affaires invoquée pour la période située entre l'année 2002 et le début du chantier dans le secteur concerné ne saurait en effet être regardé comme en lien direct avec les travaux, mais résulte principalement de ses propres choix de gestion ;

Considérant que si la société chiffre son préjudice à la somme de 741 281 euros, cette évaluation ne peut être admise au regard des éléments retenus pour son chiffrage, qui ne sont nullement justifiés ; qu'ainsi que le fait valoir la communauté urbaine en défense, elle repose sur une hypothèse d'augmentation linéaire de sa clientèle purement hypothétique, et d'ailleurs démentie par ses propres chiffres dès lors que ceux-ci révèlent une diminution du nombre de ses clients à compter de l'année 2002 ; qu'ainsi que le fait valoir également la même communauté, la marge par client également invoquée apparaît aussi peu réaliste dès lors qu'elle semble, compte tenu des montants invoqués, faire abstraction de l'activité de concessionnaire ; qu'il y a lieu en revanche, pour déterminer l'impact des travaux en cause sur les résultats de la société de se référer aux montants figurant aux bilans déposés par la société, plutôt qu'aux seules déclarations présentées devant la commission d'indemnisation amiable ; que ces bilans font apparaître un chiffre d'affaires de 632 144,12 euros au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2004, exercice de référence, un chiffre d'affaires de 564 879,49 euros au titre de l'exercice clos en 2005, et un chiffre d'affaires de 631 142,33 euros au titre de l'exercice clos en 2006 ; que la perte de chiffre d'affaires constatée s'établit ainsi à 67 264,69 euros au titre de l'exercice clos en 2005, et à 1 001,79 euros au titre de l'exercice clos en 2006 ; que, compte tenu des taux de marge déclarés par la société dans le cadre de sa dernière demande d'indemnisation amiable, de 58,04 % en 2005 et de 59,3 % en 2006, retenus par le tribunal et non contestés en défense, le préjudice commercial de la société peut être évalué à la somme de 39 040,42 euros en 2005 et à la somme de 594,06 euros en 2006, soit un total de 39 634,48 euros ; que la société n'ayant reçu dans le cadre de la procédure d'indemnisation amiable qu'une somme de 38 951 euros, elle est fondée, dans la mesure de la différence entre ces deux sommes, et sans qu'il soit besoin de recourir à l'expertise sollicitée, à soutenir que c'est à tort que le tribunal a refusé de faire droit à sa demande ;

En ce qui concerne le préjudice résultant de l'existence et du fonctionnement de l'ouvrage :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la mise en service de la deuxième ligne de tramway a eu pour effet de contraindre les clients et fournisseurs de la SARL HEELCAR d'emprunter sur une distance de 30 à 40 mètres, un couloir interdit à la circulation générale et réservé au tramway et aux riverains ; que même tempérée par une tolérance de fait, cette modification apportée à la circulation a rendu malaisé l'accès des véhicules au garage ; que si la société fait également valoir que la sortie du garage est devenue particulièrement périlleuse en raison du passage des rames, il ne résulte pas de l'instruction que ces difficultés, pour réelles qu'elles soient, soient sensiblement aggravées par rapport à ce qu'elles pouvaient être antérieurement, du fait de la configuration même des lieux, de l'étroitesse de la rue, de l'implantation de l'entrée du garage, et de la faible visibilité qui en résulte ; qu'ainsi, et malgré ces difficultés, il n'est pas établi par les éléments produits au dossier que, postérieurement à la mise en service de cette ligne, le chiffre d'affaires de la société ait connu une diminution ; qu'il n'est pas davantage établi par les pièces produites au dossier que sa clientèle ait diminué ; que si la société soutenait en première instance que son existence même était en péril, elle n'apporte aucun élément de nature à mettre en évidence des difficultés financières menaçant son existence ; que, dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de recourir à la mesure d'expertise sollicitée, les nuisances qu'elle est amenée à subir du fait de l'existence et du fonctionnement de l'ouvrage ne peuvent être regardées comme présentant le caractère de gravité et d'anormalité qui serait seul de nature à lui ouvrir droit à réparation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SARL HEELCAR est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a estimé que le montant des sommes qui lui avaient été allouées dans le cadre de la procédure d'indemnisation amiable instituée par la communauté d'agglomération de Montpellier réparait de façon suffisante les préjudices qu'elle avait pu subir à raison des opérations de réalisation de la deuxième ligne du tramway de Montpellier, et à obtenir une réparation supplémentaire, dans la limite des motifs exposés ci-dessus ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge solidaire de la communauté d'agglomération de Montpellier la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SARL HEELCAR et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en revanche obstacle à ce que la SARL HEELCAR qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, leur verse une quelconque somme au même titre ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la commune de Montpellier ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 6 février 2009 est annulé.

Article 2 : La communauté urbaine de l'agglomération de Montpellier et la SAEML TAM verseront solidairement à la SARL HEELCAR une somme de 683,48 euros en réparation des préjudices qui ont résulté pour elle des travaux de réalisation de la deuxième ligne du tramway de Montpellier.

Article 3 : La communauté d'agglomération de Montpellier et la SAEML TAM verseront solidairement à la SARL HEELCAR, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la SARL HEELCAR est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la communauté d'agglomération de Montpellier et de la SAEML Transports de l'agglomération de Montpellier et de la commune de Montpellier tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL HEELCAR, à la communauté d'agglomération de Montpellier, à la Société transports de l'agglomération de Montpellier et à la commune de Montpellier.

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N° 09MA01425


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09MA01425
Date de la décision : 26/03/2012
Type d'affaire : Administrative

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère spécial et anormal du préjudice.

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Régime de la responsabilité - Qualité de tiers.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. BENOIT
Rapporteur ?: Mme Anne MENASSEYRE
Rapporteur public ?: Mme FEDI
Avocat(s) : SCP TRIAS - VERINE - VIDAL - GARDIER-LEONIL - ROYER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-03-26;09ma01425 ?
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