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12/03/2012 | FRANCE | N°09MA02820

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 12 mars 2012, 09MA02820


Vu la requête, enregistrée le 29 juillet 2009, présentée pour Mme Paule A, demeurant ... (20200) en son nom personnel et pour le compte de M. Jérémy B, son fils mineur, demeurant à la même adresse, par Me Seatelli, avocat ; Mme A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800020 du 18 juin 2009 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 1 934 328,36 euros en réparation du préjudice résultant du décès de son compagnon, M. François Biaggi, au sein de cet h

pital ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Bastia à lui verser l...

Vu la requête, enregistrée le 29 juillet 2009, présentée pour Mme Paule A, demeurant ... (20200) en son nom personnel et pour le compte de M. Jérémy B, son fils mineur, demeurant à la même adresse, par Me Seatelli, avocat ; Mme A demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800020 du 18 juin 2009 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme de 1 934 328,36 euros en réparation du préjudice résultant du décès de son compagnon, M. François Biaggi, au sein de cet hôpital ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Bastia à lui verser la somme totale de 1 940 476,07 euros en réparation de ce préjudice ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré le 20 mai 2011, le mémoire présenté pour le centre hospitalier de Bastia, par Me Le Prado, qui conclut au rejet de la requête ;

............................

Vu, enregistré le 25 octobre 2011, le mémoire présenté pour Mme A et pour M. Jérémy B par Me Seatelli, qui persiste dans ses précédentes écritures ;

........................

Vu l'ordonnance du 29 septembre 2011, prise en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, fixant la clôture de l'instruction au 28 octobre 2011 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 février 2012 :

- le rapport de Mme Carassic, rapporteure ;

- et les conclusions de Mme Fédi, rapporteure publique ;

Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de Mme A et de son fils mineur Jérémy B tendant à la condamnation du centre hospitalier de Bastia à leur verser la somme de 1 934 328,36 euros en réparation du préjudice résultant du décès de leur compagnon et père au sein de cet hôpital ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Haute Corse, régulièrement mise en cause, n'a pas produit d'observations ;

Sur la recevabilité de la requête de Mme A présentée en son nom propre :

Considérant que Mme A établit par les nombreuses pièces, produites tant en première instance qu'en appel, et notamment par le livret de famille, avoir une relation stable et durable avec la victime, avec lequel elle a eu deux enfants, le premier étant né en 1988 ; que, par suite, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la requérante n'avait pas intérêt pour agir en son nom propre, dans le présent litige ;

Sur la responsabilité de l'hôpital :

Considérant qu'à la suite d'un accident de motocyclette, M. Biaggi, polytraumatisé, a été hospitalisé au service des urgences du centre hospitalier de Bastia le 29 avril 2001 ; qu'après avoir été intubé en oro-trachéal en raison d'une détresse respiratoire, il a passé ensuite un scanner ; qu'au cours de la réalisation de cet examen, il a été extubé accidentellement ; que la tentative de réintubation s'étant avérée impossible, il a présenté un arrêt cardiovasculaire hypoxémique et une trachéotomie en urgence a dû être réalisée ; qu'il a présenté ensuite des lésions neurologiques irréversibles ; qu'il est décédé, dans cet état végétatif, le 30 juillet 2004 ;

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

Considérant que, lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages, sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;

Considérant que, si le rapport du 7 août 2006 de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Bastia affirme que l'hypoxie cérébrale à l'origine des séquelles neurologiques irréversibles de la victime et provoquée par l'extubation durant le scanner, constitue un aléa thérapeutique, il ne mentionne pas que la réalisation de ce risque serait exceptionnelle ; qu'en outre, il ne résulte pas de l'instruction que le risque d'hypoxie cérébrale résultant d'une extubation pendant un scanner ait fait l'objet de recension dans des revues scientifiques de la spécialité ou soit documentée statistiquement ; que, l'une des conditions requises pour que la responsabilité sans faute du centre hospitalier de Bastia puisse être engagée n'étant pas satisfaite, les premiers juges ont à bon droit rejeté les conclusions des requérants aux fins d'engagement de la responsabilité sans faute de l'hôpital ; que, dès lors, l'autre moyen, débattu par les parties, tiré de ce que le patient ne présentait pas initialement un état pouvant laisser présager une évolution vers un état végétatif est inopérant ;

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

Considérant qu'il résulte du rapport du 7 août 2006 de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Bastia que la cause de l'état végétatif de la victime, état qui a perduré jusqu'à son décès le 30 juillet 2004, est lié à un oedème cérébral apparu du fait de l'arrêt cardio-respiratoire provoqué par l'extubation accidentelle ;

Considérant que les requérants soutiennent que cette extubation révèle une faute dans l'acte de soin, dès lors que l'expert affirme qu'il est peu probable que le patient, sédaté, se soit auto extubé, même si cet accident pouvait être provoqué spontanément par des efforts de toux et que la cause la plus probable de cette extubation provenait d'une maladresse commise par le personnel hospitalier lors de la manipulation du patient pour réaliser cet examen ; que, toutefois, l'expert, qui précise que ce type d'accident peut survenir sans qu'il existe d'erreur de manipulation ou de défaut de fixation de la sonde d'intubation, a été d'avis qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre du centre hospitalier dans le déroulement de cet examen ; qu'en outre, contrairement à ce qui est soutenu, l'intubation, à l'origine de l'extubation litigieuse, d'un patient ne peut être regardée comme un geste courant à caractère bénin dont les conséquences dommageables, lorsqu'elles sont sans rapport avec l'état initial du patient, seraient présumées révéler une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service ;

Considérant toutefois que les requérants soutiennent aussi que le dommage résulte également d'un défaut de surveillance du patient intubé, dont l'état nécessitait une attention particulière en raison de la gravité de ses traumatismes après l'accident, dès lors qu'aucun réanimateur ou urgentiste n'était présent aux côtés du malade pendant la réalisation du scanner ; qu'il résulte du rapport de l'expert du 7 août 2006 que l'hypoxie cérébrale survenue du fait de l'arrêt cardio respiratoire à l'occasion de cette extubation accidentelle a été probablement prolongée de plus de 15 minutes, le temps que le neurochirurgien " vienne et pratique une trachéotomie " ; que l'expert indique aussi que le guide des bonnes pratiques prévoit qu'un patient traumatisé est accompagné au scanner par un médecin réanimateur et/ou urgentiste, dès lors que le radiologue n'est pas supposé savoir réintuber ; que ce médecin réanimateur et/ou urgentiste n'est pas nommément identifié dans le dossier médical de la victime, qui ne comporte pas non plus de compte rendu de l'événement majeur constitué par cette extubation ; que ces constatations ne sont pas suffisamment contestées par une lettre, produite directement devant les premiers juges et qui n'a pas été soumise à l'examen contradictoire de l'expert en 2006, datée du 11 juin 2008 du Dr Szapiro, neurochirurgien au centre hospitalier de Bastia, indiquant qu'était présent, le 29 avril 2001, le Dr Falcucci, médecin réanimateur, lettre qui au demeurant, ne précise pas si ce médecin réanimateur est resté présent aux côtés du patient pendant tout l'examen ; que cette absence de surveillance, pendant le scanner, du patient constitue une faute à l'origine d'une perte de chance de survie du patient, de nature à engager, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la responsabilité du centre hospitalier ;

Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ; que l'expert indique qu'en l'absence de l'hypoxie cérébrale provoquée par cette extubation, le polytraumatisme subi par M. Biaggi à la suite de son accident de la route aurait entraîné un séjour en centre de rééducation d'environ 6 mois et un arrêt de travail d'un an, que la permanence de l'état végétatif de ce dernier jusqu'au 30 juillet 2004 était une évolution anormale et inhabituelle et que le risque de décès chez ce patient jeune, âgé de 43 ans, et en bonne santé était faible ; que, dans ces conditions, il y a lieu d'évaluer l'ampleur de cette perte de chance à 90 % ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande ;

Sur le préjudice :

En ce qui concerne les préjudices personnels de la victime :

Considérant que l'expert a indiqué que l'incapacité temporaire totale exclusivement imputable à la complication neurologique a duré du 29 avril 2002 jusqu'au décès de la victime le 30 juillet 2004, soit pendant deux ans et trois mois ; que M. Biaggi a enduré d'importantes souffrances physiques évaluées à 6 / 7 ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles portés dans les conditions d'existence de l'intéressé en accordant la somme de 29 000 euros pour ce poste de préjudice à ses ayants droit ;

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux des victimes indirectes :

S'agissant de la perte de revenus :

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'avis d'imposition de l'année 2000 que M. Biaggi percevait un revenu annuel moyen de 114 180 francs, soit 17 407 euros ; que la victime consacrait à l'entretien de sa compagne, âgée de 45 ans à la date du décès, une part de ses revenus qui doit être évaluée à 35 %, soit une rente annuelle de 6 092 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation en fixant le capital dû jusqu'à l'âge de 65 ans, comme le demande Mme A, à la somme de 81 000 euros en réparation du préjudice économique qu'elle a subi ;

Considérant que le capital dû à ce titre au fils de la victime, Jérémy, âgé de 9 ans au moment du décès de son père, par référence à une part de 15 % du revenu annuel de M. Biaggi, soit 2 611 euros, sera justement apprécié, en fixant le capital dû jusqu'à l'âge de 25 ans, à la somme de 37 000 euros ;

S'agissant des frais de transport :

Considérant que Mme A demande l'indemnisation de 181 passages aériens qu'elle aurait été contrainte de réaliser entre son domicile à Bastia et Marseille, pour se rendre au chevet de son compagnon hospitalisé sur le continent, entre mai 2001 et juillet 2004 ; que toutefois, elle n'établit pas, par la pièce qu'elle produit, un lien de causalité direct et certain entre ces voyages et la faute du centre hospitalier ; que ce chef de préjudice devra être écarté ;

En ce qui concerne le préjudice moral des victimes indirectes :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection lié à la perte de leur compagnon et père en allouant à Mme A et à son fils Jérémy les sommes respectives de 20 000 euros et 15 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Bastia doit être condamné à verser la somme de 29 000 euros à Mme A, agissant en son nom propre, et pour le compte de son fils mineur Jérémy, la somme de 101 000 euros à Mme A, et la somme de 52 000 euros à Mme A agissant pour le compte de son fils mineur Jérémy ;

Sur les dépens :

Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 000 euros à la charge du centre hospitalier de Bastia ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Bastia la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme GUAZELLI et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0800020 du 18 juin 2009 du tribunal administratif de Bastia est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Bastia versera la somme de 29 000 euros à Mme A agissant en son nom et pour le compte de son fils mineur Jérémy, la somme de 101 000 euros à Mme A, et la somme de 52 000 euros à Mme A agissant pour le compte de son fils mineur Jérémy.

Article 3 : Les frais d'expertise, d'un montant de 1 000 euros, sont mis à la charge définitive du centre hospitalier de Bastia.

Article 4 : Le centre hospitalier de Bastia versera à Mme A agissant en son nom propre et pour le compte de son fils mineur Jérémy la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A, au centre hospitalier de Bastia et à la CPAM de la Haute Corse.

Copie pour information sera adressée à l'expert.

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N° 09MA028202

md


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09MA02820
Date de la décision : 12/03/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-03 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice. Caractère direct du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. BENOIT
Rapporteur ?: Mme Marie-Claude CARASSIC
Rapporteur public ?: Mme FEDI
Avocat(s) : SEATELLI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-03-12;09ma02820 ?
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