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03/11/2011 | FRANCE | N°09MA03078

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 03 novembre 2011, 09MA03078


Vu la requête, enregistrée le 10 août 2009, présentée par Me Benoit Jorion pour M. Christan A, élisant domicile ... ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800666 rendu le 6 juillet 2009 par le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande tendant à être indemnisé du préjudice subi du fait du blocage de sa carrière au sein de La Poste ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et La Poste à lui verser la somme de 116 824 euros, avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;

3°) de mettre solidairement

la charge des intimés la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de...

Vu la requête, enregistrée le 10 août 2009, présentée par Me Benoit Jorion pour M. Christan A, élisant domicile ... ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800666 rendu le 6 juillet 2009 par le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande tendant à être indemnisé du préjudice subi du fait du blocage de sa carrière au sein de La Poste ;

2°) de condamner solidairement l'Etat et La Poste à lui verser la somme de 116 824 euros, avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable ;

3°) de mettre solidairement à la charge des intimés la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

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Vu le code civil ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

Vu la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 ;

Vu le décret n° 57-1319 du 21 décembre 1957 portant règlement d'administration publique pour la fixation du statut particulier des corps des services de la distribution et de l'acheminement des postes, télégraphes et téléphones ;

Vu le décret n° 90-1224 du 31 décembre 1990 relatif au statut particulier des corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste ;

Vu le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;

Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre exceptionnel, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 septembre 2011 :

- le rapport de Mme Busidan, rapporteur,

- les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public,

- et les observations de Me Giroud, substituant Me Jorion, pour M. A et de Me Bellanger, de la SCP Granrut avocats, pour La Poste ;

Considérant que, par lettres datées du 6 décembre 2007, M. Christian A, agent titulaire du corps de reclassement d'agent d'exploitation de la distribution et de l'acheminement, a vainement demandé au président de La Poste et au ministre de l'économie l'indemnisation de préjudices qu'il estime avoir subis à cause du blocage de sa carrière, faute en particulier qu'aient été établies des listes d'aptitude permettant l'accès aux corps supérieurs de conducteur de travaux de la distribution et de l'acheminement et de conducteur-chef de transbordement ; que, saisi par M. A d'une demande indemnitaire dirigée à la fois contre La Poste et l'Etat, le tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 6 juillet 2009, rejeté l'ensemble de sa demande ; que M. A fait appel de ce jugement, étant précisé qu'il n'a pas été fait application des dispositions de l'article R. 351-8 du code de justice administrative ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par les réclamations préalables sus-évoquées, M. A énonçait de manière suffisante, au regard notamment de sa situation personnelle, les moyens présentés à l'appui de ses demandes à fin d'indemnité ; que, par suite, contrairement à ce que soutient La Poste, le contentieux a été valablement lié par l'appelant ;

Sur le fond :

En ce qui concerne la prescription quinquennale :

Considérant qu'aux termes de l'article 2227 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 : L'Etat, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers et peuvent également les opposer ; qu'aux termes de l'article 2262 du même code, dans sa rédaction antérieure à la même loi : Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ; que selon l'article 2277, dans la rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 : Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement : / Des salaires (...) et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ;

Considérant que l'action de M. A tendant à la réparation des préjudices résultant d'un blocage de sa carrière dans un corps de reclassement, en raison des fautes commises tant par La Poste que par l'Etat, n'est pas soumise au délai de prescription fixé par les dispositions précitées de l'article 2277 du code civil, qui ne s'applique qu'aux actions relatives aux rémunérations, des agents publics notamment, et non à celles tendant à la réparation de préjudices de la nature de ceux dont M. A demande l'indemnisation à raison des fautes qu'il invoque ; que, dès lors, La Poste ne peut utilement opposer à ladite action la prescription quinquennale prévue par les dispositions de l'article 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ;

En ce qui concerne la responsabilité de La Poste et de l'Etat :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public des postes et télécommunications : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ; que l'article 31 de la même loi a permis à LA POSTE d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...) non seulement par voie de concours, selon les modalités définies au troisième alinéa de l'article 19 ci-dessus (...), mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission administrative paritaire du corps d'accueil (...) ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé pas des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification, ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement, en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires reclassés non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de La Poste, que par l'effet du décret du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste;

Considérant ainsi qu'en s'abstenant illégalement, comme il vient d'être dit, de prendre les mesures susceptibles de permettre l'application du droit à la promotion interne garanti aux fonctionnaires reclassés comme de veiller au respect de ce droit, La Poste et l'Etat ont, respectivement, commis des fautes de nature à engager leur responsabilité solidaire ; que, toutefois, elles ne peuvent ouvrir droit à réparation au profit du requérant qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par lui ;

En ce qui concerne les préjudices :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. A, né le 3 juillet 1957 et ayant accédé en 1988, après concours interne, au grade d'agent d'exploitation de la distribution et de l'acheminement, remplissait les conditions statutaires pour être promu au choix au grade de conducteur de travaux de la distribution et de l'acheminement à compter de l'année 1997 ; que les fiches d'évaluation le concernant portent une appréciation globale en Excellent à partir de l'année 2007, accompagnée d'appréciations louant notamment sa faculté d'adaptation, son esprit d'équipe, sa mentalité professionnelle, sa disponibilité et son implication ; que, dans ces conditions et si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993, M. A doit être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'être promu au grade de conducteur de travaux de la distribution et de l'acheminement en fin de période de blocage ; que les pièces du dossier ne permettent pas, en revanche, d'établir, comme il l'allègue, une perte de chance sérieuse de promotion dans le grade supérieur de conducteur chef du transbordement ; que, dès lors, il sera fait une juste appréciation du préjudice de carrière subi par M. A en lui allouant une somme de 3 000 euros ;

Considérant, en second lieu, que l'appelant est également fondé à soutenir qu'il a droit à une indemnité au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, même dans le cas particulier où l'intéressé n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en lui allouant la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté l'ensemble de ses conclusions indemnitaires et à obtenir l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral, ainsi que de son préjudice de carrière ; qu'ainsi, il y a lieu pour la Cour d'annuler le jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser une indemnité totale de 8 000 euros, étant précisé que ce montant s'entend en y incluant tous intérêts échus au jour du présent arrêt ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre solidairement à la charge de La Poste et de l'Etat le versement à M. A de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par ce dernier, et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que La Poste présente au même titre ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 0800666 rendu le 6 juillet 2009 par le tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : La Poste et l'Etat (ministère de l'économie, des finances et de l'industrie) sont condamnés solidairement à verser à M. A la somme de 8 000 (huit mille) euros, tous intérêts échus au jour du présent arrêt.

Article 3 : La Poste et l'Etat verseront solidairement à M. A une somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de toutes les parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Christian A, à La Poste, à l'association de défense des reclassés des PTT et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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N° 09MA03078 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09MA03078
Date de la décision : 03/11/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Hélène BUSIDAN
Rapporteur public ?: Mme VINCENT-DOMINGUEZ
Avocat(s) : SCP GRANRUT AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2011-11-03;09ma03078 ?
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