Vu la requête, présentée par télécopie, enregistrée le 18 janvier 2005, présentée pour la SAS FERRERO COSTRUZIONI, représentée par son gérant en exercice, dont le siège est route de la mer à Ghisonaccia (20240), par Me Alessandri, avocat ; La SAS FERRERO COSTRUZIONI demande à la Cour :
1°/ à titre principal, d'une part, d'annuler le jugement n° 040183, en date du 15 octobre 2004, par lequel le Tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision, en date du 3 janvier 2003, par laquelle le maire de Ghisonaccia a ordonné l'interruption des travaux entrepris au lieu-dit Bruschetto sur le territoire de cette commune et, d'autre part, d'annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision ;
2°/ à titre subsidiaire, de l'autoriser à achever les travaux entrepris sur le bâtiment n° 11 ;
3°/ en toute hypothèse, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5.000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 juin 2007,
- le rapport de Mme Fedi, rapporteur,
- les observations de Me Alessandri pour la SAS FERRERO CONSTRUZIONI ;
- et les conclusions de M. Cherrier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la SAS FERRERO COSTRUZIONI interjette appel du jugement, en date du 15 octobre 2004, par lequel le Tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision, en date du 3 janvier 2003, par laquelle le maire de Ghisonaccia a ordonné l'interruption de travaux entrepris lieu-dit Bruschetto à Ghisonaccia ;
Sur la recevabilité de la première instance :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R.421-1 du code de justice administrative : «Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée.» ; qu'aux termes de l'article R.421-5 dudit code : «Les délais de recours contre une décision déférée au tribunal ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.» ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en date du 3 janvier 2003 ne contenait pas la mention des voies et délais de recours ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la lettre de notification de cet arrêté comportait lesdites mentions ; que, par suite, le délai de recours contentieux ouvert contre cette décision n'a en tout état de cause pas couru à l'égard de la SAS FERRERO COSTRUZIONI ; que, dès lors, même si l'absence de mention des voies et délais de recours est sans influence sur la légalité de ladite décision, la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de cette société enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bastia le 23 février 2004 doit être écartée ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article R.600-1 du code de l'urbanisme auquel renvoie l'article R.411-7 du code de justice administrative : «En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un document d'urbanisme ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation. Cette notification doit aussi être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un document d'urbanisme ou une décision relative à l'occupation du sol. L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. La notification prévue au précèdent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du déféré ou du recours. La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation, est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception auprès des services postaux.» ; que, contrairement à ce que soutenait le préfet de la Haute Corse en première instance, la décision par laquelle un maire, agissant au nom de l'Etat, ordonne l'interruption des travaux n'entre pas dans le champ d'application de l'article R.600-1 précité ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de notification de la demande de première instance doit être écartée ;
Sur la légalité :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 : Sauf urgence ou circonstances exceptionnelles, sous réserve des nécessités de l'ordre public et de la conduite des relations internationales, et exception faite du cas où il est statué sur une demande présentée par l'intéressé lui-même, les décisions qui doivent être motivées en vertu de la loi du 11 juillet 1979 susvisée ne peuvent légalement intervenir qu'après que l'intéressé ait été mis à même de présenter des observations écrites ; qu'il est constant que la personne intéressée, c'est-à-dire la SAS FERRERO COSTRUZIONI, n'a pas été mise à même de présenter des observations écrites avant la signature de l'arrêté litigieux ; que lorsqu'il constate la péremption d'un permis de construire et la réalisation de travaux postérieurement à cette date, le maire est conduit nécessairement à porter une appréciation sur les faits ; qu'il ne se trouve donc pas, pour prescrire par arrêté l'interruption de ces travaux, en situation de compétence liée rendant inopérants les moyens relatifs aux vices de procédure dont serait entachée la décision ; qu'en l'espèce, l'arrêté litigieux étant fondé sur la caducité des travaux, l'administration qui n'était donc pas en situation de compétence liée, ne pouvait, en l'absence d'urgence ou de circonstances exceptionnelles alléguées, s'abstenir de recourir à la procédure contradictoire prévue à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 précité ; qu'il suit de là que l'arrêté litigieux a été pris sur une procédure irrégulière et se trouve entaché d'illégalité ;
Considérant, d'autre part, que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions ; que, toutefois, il en va autrement lorsque la légalité d'une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ; que, dans cette hypothèse, l'autorité de la chose jugée s'étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal ;
Considérant que l'arrêté du maire de Ghisonaccia, en date du 3 janvier 2003, ordonnant à l'interruption des travaux en cause est intervenu en application des dispositions de l'article L.480-2 du code de l'urbanisme aux termes duquel : «Dès qu'un procès-verbal relevant une des infractions prévues à l'article L.480-4 a été dressé le maire peut également, si l'autorité judiciaire ne s'est pas encore prononcée, ordonner par arrêté motivé l'interruption des travaux. Copie de cet arrêté est transmise sans délai au ministère public. L'autorité judiciaire peut à tout moment… se prononcer sur la mainlevée ou le maintien des mesures prises pour assurer l'interruption des travaux. En tout état de cause, l'arrêté du maire cesse d'avoir effet en cas de décision de non-lieu ou de relaxe» ; qu'il résulte de ces dispositions que la légalité de l'arrêté du maire de Ghisonaccia était subordonnée à la condition que la réalisation des travaux dont l'interruption était ordonnée ait été constitutive d'une infraction pénale ;
Considérant que, par un jugement en date du 22 mars 2005, dont il n'est pas allégué qu'il ne serait pas devenu définitif, le Tribunal correctionnel de Bastia a prononcé la relaxe des fins de poursuites dirigées contre le gérant de la SAS FERRERO COSTRUZIONI au motif qu'il n'était pas établi que les travaux auraient été entrepris sans permis de construire, dès lors que la caducité de l'autorisation dont bénéficiait la SAS FERRERO COSTRUZIONI en raison de l'interruption des travaux durant plus d'un an n'était pas établie ; qu'en raison de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à ce jugement, l'infraction alléguée n'étant pas établie, l'arrêté interruptif de travaux litigieux doit être regardé comme dépourvu de base légale ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement, que la SAS FERRERO COSTRUZIONI est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande ; qu'il y a donc lieu, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les conclusions présentées à titre subsidiaire par la SAS FERRERO COSTRUZIONI, d'annuler le jugement en date du 15 octobre 2004 et la décision en date du 3 janvier 2003 ; qu'en l'état de l'instruction, aucun autre moyen n'est susceptible d'entraîner également l'annulation de la décision en litige ; qu'en outre, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à la SAS FERRERO COSTRUZIONI la somme de 1.500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Bastia en date du 15 octobre 2004 et l'arrêté en date du 3 janvier 2003 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la SAS FERRERO COSTRUZIONI la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS FERRERO COSTRUZIONI et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.
Copie en sera adressée à la commune de Ghisonaccia, au préfet de la Haute Corse et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bastia.
N° 05MA00083 2
SR